C’est l’été, c’est les vacances, le soleil darde ses rayons mordorés, tu décides de donner quinze jours de congé à ta conscience écologique et de sillonner les routes de France et de Navarro au volant de ton fidèle destrier qui fait du 6 litres au cent, sauf quand tu profites un peu que sur les routes de France et de Navarro les radars arrivent pas à te rattraper pour rouler à 131 kilomètres heure (environ).
Méfie-toi d’un piège inéluctable, preuve supplémentaire de l’existence d’un terrible et sinueux complot mondial: le Raccourci.
Un piège d’autant plus retors qu’il se dissimule souvent sous des traits familiers pour te prendre dans ses rets. Tu as dîner de famille, tu évoques ton prochain voyage pour Zanzibar ou Montcuq et là ton oncle Jean-Hans te lance “ah ben nous, on sort toujours juste après le péage de Choufflottes-sur-Meuse, c’est plus direct”, avant de s’étonner: “et comment tu fais, toi ? ah, tu suis les panneaux ? tiens, faudrait que j’essaie…”, mais tu sens bien qu’il dit ça comme il dirait faudrait que j’essaie les tripes à l’huile de chorizo.
Du coup, tu décides de tenter l’Aventure. Et là, c’est le drame. Tu sors à Choufflottes-sur-Meuse. Tu peux continuer à gauche sur la N147 (Porphyse-sous-Choufflottes) ou à droite sur la N212/212 moins le quart (Sainte-Gudule). Tu essaies quand même de déchiffrer la carte, manque de bol entre tes plans Languedoc-Roussillon, France du Nord et Routes un peu chelou au centre de pas grand chose, il te manque juste le secteur où tu te trouves juste là maintenant, et inutile de préciser que ton oncle Jean-Hans est sur répondeur. Comme tu sais pertinemment que quel que soit ton choix, ce sera le mauvais, tu décides de partir à gauche et, à 100 mètres, de faire un tourner sur route.
Tu finis quand même par trouver la bonne route, continues quelques kilomètres, avant de te retrouver derrière trois camions, un tracteur et un belge qui s’est manifestement perdu et avance à 3 kilomètres heure en dodelinant du clignotant tous les 10 mètres. De fil en aiguille, il commence à être l’heure d’avoir faim et tu essaies de te remonter le moral en te disant qu’au moins, le repas sera meilleur que les sandwiches mous de l’autoroute. Tu t’arrêtes donc dans la riante bourgade de Scheultenberg (vitraux, musée de la saucisse, cartes postales pittoresques, usine de pneus). Tu demandes à un indigène où il y a un bon restaurant, pas loin. Il t’indique l’auberge des trois canards et du pneu, à à peine 11 kilomètres, sur la route du col. Tu décides de faire semblant de pas comprendre le patois local et continue sur la route principale, avec le mal que tu as eu à la trouver, tu vas pas la reperdre, bordel.
Tu finis par trouver une auberge. Mais on te signale que la cuisine est fermée avec un regard qui veut dire Non mais tabarnak ces touristes ils se figurent qu’on peut manger à 12 heures 18, tu m’étonnes qu’ils deviennent nerveux avec des horaires pareils, non mais 12 heures 18, on commence comme ça et on finit danseuse au FBI, quand je raconterai ça à Mathilde, elle va bien rire, comme avec le coup du cheval, fan de chichoune. (C’est une auberge où ils sont super forts en regards).
Bref tu continues jusqu’à la prochaine grande ville, Poiteranges d’Arzière, il ne te faut que trente minutes pour parcourir les 13 kilomètres, tu es grisé par la vitesse et le soleil et tu t’arrêtes dans un restaurant typique dont le nom provient d’un animal farouche et fier de la région, l’hippopotame. Tu manges un plat traditionnel à base de viande hachée et de pain.
Puis tu repars, non sans t’être arrêté au magasin de souvenirs local, ils font de superbes chevaux en raffia. 300 mètres plus loin survient le nouveau drame, habilement déguisé en déviation.
Mais tu finis par arriver, après 712 marches arrière et autant de pleurs. Tu te consoles quand même en traversant des villages riants et enchanteurs, dont un qui organise la fête de la tomate farcie, tu reviendrais bien, si seulement tu avais la moindre idée de l’endroit où il se trouve. Tu constates qu’effectivement, le Raccourci t’a fait gagner 100 mètres. Par contre, à l’Hôtel de la Marmotte Chenue, ils ont loué ta chambre à des Belges, tu avais dit que tu arrivais avant 17 heures et là il est tout de même 4 heures du matin. Et c’est après 3 heures de sommeil enrichissant dans ta voiture que ton oncle décide de te rappeler et te signale que non, nous on passe plus par Choufflottes-sur-Meuse, on a regardé la carte et c’est plus long que de sortir à Saint-Tabouret-sous-Mogettes.