Archive for October, 2013

Bouts de ficelles

Tuesday, October 22nd, 2013

Partout, les mouvements populistes gagnent en popularité. Bien fait. Ca leur pendait au nez. Une fois qu’ils auront bien prouvé que non, y en a marre de tous ces politiciens corrompus qui ne comprennent pas les vrais problèmes de la population qui souffre ne constitue pas un programme de gouvernement, ils devraient sombrer un moment dans l’anonymat.

Il est donc temps de préparer l’après. Et de déjà lancer l’extrême populisme.

Parce que c’est vrai, quoi. Y en a marre.

Y en a marre de ce temps, déjà. Mais là, bon, on ne peut rien y faire.

Y en a marre des bouchons sur les autoroutes, des trains bondés. Introduisons donc le début de la journée de travail à 10 heures, pour que je puisse être peinard sur la route quand je vais bosser à 7h30.

Y en a marre des riches qui mangent le pain sur notre dos. Interdisons la richesse.

Y en a marre des ces oisifs qui se royaument pendant que les honnêtes travailleurs s’épuisent à la tâche. Mettons donc les chats et les vaches au travail. Y a pas de raison.

Non mais j’étais sérieux, y en a marre de ces oisifs qui se royaument pendant que les honnêtes travailleurs s’épuisent à la tâche. Interdisons donc l’oisiveté et le royaumage.

Mais d’un autre côté, y en a marre de cet état fouineur qui veut nous dire comment vivre, donc n’interdisons pas trop quand même.

Parce qu’y en a marre de tous ces gens qui veulent nous dire quoi penser. Interdisons la pensée.

Y en a marre de la bouffe de la cantine, renvoyons chez eux ces cantiniers étrangers.

Y en a marre que nos impôts servent à financer une culture élitiste alors qu’il y a un très bon film qui passe sur TF1 ce soir.

D’ailleurs, y en a marre que nos impôts servent à financer des routes où je ne vais jamais, des crèches où je ne vais jamais non plus, des policiers alors que je n’ai jamais fait de mal à personne, ou alors par hasard. Faisons payer les routes par les automobilistes, la sécurité par les délinquants, les crèches par les enfants.

En fait, quand je résume, y en a marre des gens. Interdisons-les. Ou alors chez eux, dans leur pays.

Accordons donc le droit à tout un chacun de créer son propre état indépendant, de battre monnaie et de porter drapeau. Et imposons des contrôles stricts aux frontières. Parce que y en a marre de ces étrangers qui nous prennent nos boulots et nos quiches. Et puis ça règlera le problème de tous ces délinquants, chômeurs, cantiniers, animateurs radio, qu’on ne pouvait jusqu’alors pas renvoyer chez eux car ils ne sont pas étrangers.

(et au passage, y en a marre de tous ces gens qui n’ont pas encore Le sens du poil)

Profiterolles

Thursday, October 17th, 2013

“Il faut profiter”, asséna-t-il soudain. Il avait l’air enjoué, comme le sont souvent ceux de sa race, les présentateurs météo de la radio, mais je sentis une larme de menace vibrer au fond de son regard que j’imaginais purpurin, car j’imagine souvent n’importe comment à potron-minet moins le quart. “Il faut profiter.” Pas il faudrait, pas moi je serais vous c’est ce que je ferais, non, il faut profiter. Une zone de haute pression centrée sur la Tanzanie entraîne des masses d’air chaud dans nos régions, mais gare, les précipitations devraient faire leur retour en deuxième partie de journée dimanche alors profitez, et plus vite que ça, exécution, marche.

J’arrivai sur mon lieu de travail. “Il faut profiter”, dis-je à mon patron. “Vous croyez que c’est en profitant que j’ai réussi dans la vie ?”, me répondit-il.
– Je ne sais pas, mais en tout cas, ils l’ont dit à la radio, il faut profiter, alors…
– Ah mais si c’est la radio, c’est différent… Ils ont bien dit “Il faut profiter ?”, pas “Il faudrait, enfin si j’étais vous, je profiterais” ?
– Non non. Il faut profiter.
– Bon, prenez votre journée, mon petit. J’espère que les autres n’ont pas écouté la radio, il ne manquerait plus qu’ils profitent aussi.

Je pris donc mes cliques et mes claques et partis m’installer sur un banc, les cheveux dans le vent, le regard dans l’horizon, le coeur ouvert à l’inconnu. Le soleil se levait, ses rayons évanescents se moirant dans l’étendue nacrée d’un lac atrabilaire. Seul le gazouillis insouciant des foulques macroules venait troubler la solennité de l’instant.

Je m’emmerdais comme un rat mort.

Je contemplai ces rivages bénis où, jadis, Robert Walser avait inventé l’eau minérale, cette île St-Pierre, sauvage, où Rousseau aimait à se balader et qui lui inspira son célèbre tube “Tu m’oublieras”.

Non, franchement, je me serais moins ennuyé à un congrès sur la poterie ou, tiens, au boulot. Mais il fallait profiter. Ils l’avaient dit à la radio. Si au moins, inpettai-je, ils prévenaient la veille ! On pourrait se préparer un peu, prendre un bouquin, une planche de fromages, enfin, de quoi profiter un peu mieux, mais là, c’est pas pratique.

Soudain, la maréchaussée arriva.
– Que faites-vous là, monsieur ?
– Je profite.
– Vous vous rendez compte, si tout le monde faisait comme vous ?
– Non. Et puis c’est la radio qui a dit.
– Ah, vraiment ? Attendez un instant. Je me renseigne…”
Trois instants et demi plus tard, il revint.
– C’est bon, c’est bon, la radio a dit, ça ira pour cette fois. Mais la prochaine fois que vous profitez, essayez au moins de mettre un slip, c’est gênant pour tout le monde.”
Il partit. Je le trouvais nul en profit, il ne faut pas s’étonner que les caisses de l’état soient vides.

Je m’ennuyais tellement que je réfléchissais à une bonne occasion d’utiliser le mot “truchement”. Je m’ennuyais tellement que je me posais des questions sur l’épilation des sourcils.

J’appelai la météo.
– Bonjour, je suis en train de profiter.
– Rien de plus normal, monsieur.
– Seulement, je n’ai pas grand chose à faire, le soleil brille trop pour passer mon niveau de Candy Crush sur mon téléphone portatif, j’ai déjà compté mes doigts de pieds plusieurs fois, toutes mes maîtresses sans exception habitent des pays imbéciles où il pleut et je ne peux pas aller lire le café en buvant mon journal, le bistro du coin a rentré sa terrasse…
– Un instant, un instant, monsieur, je vous passe le département loisirs créatifs.
(Musique d’attente)(Lara Fabian)
– Ah, personne ne répond, monsieur, ils sont tous partis profiter. Ils préparent leur jardin pour l’hiver, je crois.
– Je ne vois pas le rapport.

J’étais à deux doigts de filer en douce ne pas profiter, je songeais à aller manger une fondue au fond d’une cave sous deux montagnes (superposées, un phénomène très rare) en tenue de camouflage, mais j’avais bien trop peur que la brigade des profiteurs ne me débusque et ne me rappelle à l’ordre et puis il était à peine huit heures du matin alors bon, la fondue.

Puis soudain, la météo rappela pour dire “non, c’est bon, on s’est trompés, il va peut-être y avoir encore deux jours de beau en novembre, vous profiterez à ce moment-là”, et je me sentis soudain bien soulagé.

The Bachelor

Wednesday, October 16th, 2013

Grâce au service public, j’ai appris les pitchs des cinq romans les plus vendus entre août 2012 et août 2013. Dans La vérité sur les haricots verts de Joël Dicker, Demain, j’aimerais que tu m’attends quelque part, seras-tu là, de Placide Musso et Inferno, de David Ciccone, il y a un personnage professeur d’université. Dans cinquante nuances d’Earl Grey et le Sermon sur la chute de Rome, non, mais presque.

Du coup, j’ai revu mes projets de best-seller pour prendre en compte ces données. Je suis donc en train d’écrire l’histoire d’un trentenaire désabusé qui décide de tout plaquer pour enseigner le droit canon à Navarone. Ou alors un roman haletant dans lequel un jeune étudiant doit rallier Pérolles à Miséricorde en quinze minutes pour ne pas rater le début de son cours de méthodologie appliquée, mais en chemin des professeurs de théologie ninja essaient de l’arrêter alors il va boire une bière aux Grands Places. Ou bien encore une ½uvre touchante, dans laquelle une professeur de français dans une prestigieuse université française, passionnée par son travail, au détriment hélas de sa vie personnelle, apprend à ses étudiants les plus brillants à écrire leur prénom. Ou alors l’histoire de Kikinou, la chatte angora professeure de statistiques appliquées, qui danse la ronde de l’amitié avec tous ses amis, Pélican, le canard assistant en sociologie et Klaus, la loutre doctorante en théories de la communication sociale.

Puis je me suis souvenu de l’époque où, jeune et insouciant, j’usais mes culottes sur les bancs de l’Université (et ça a été difficile parce que bon, j’y allais encore moins souvent qu’un protagoniste moyen d’Hélène et les garçons) et de ce brillant cours d’Histoire, “le sud de la Moldavie entre juin 1917 et octobre 1917, évolution de la culture de betteraves fourragères”. Mais le professeur qui le donnait, un homme ô combien passionnant, portait une barbiche et des pulls, et je me suis dit que ça n’allait pas faire un très bon héros. Alors j’ai repensé à cette amusante anecdote à propos de mon professeur de droit des médias : il avait un bateau. Ça sera un best-seller très court, rep a sa Amélie Nothomb.

Puis je me suis demandé : Pourquoi les professeurs d’université fascinent-ils autant que les vampires ? Pourquoi assurent-ils aux auteurs qui les choisissent félicité et prospérité, alors qu’eux, pendant ce temps, continuent de donner des séminaires de macro-économie II (présence obligatoire) ? Pourquoi, dans toutes ces ½uvres majeures de la littérature moderne que sont les romans de Brown et Musso, les professeurs sont-ils si flamboyants, alors que dans la réalité, la chaire est triste, hélas ?

Je ne sais pas. Je n’ai aucune thèse. Sans doute à cause de la licence poétique.

Time machine

Friday, October 4th, 2013

N’empêche, quand ils ont conçu la vie, ils ont pas tellement réfléchi aux détails. Par exemple, ils ont absolument pas prévu de fichiers de sauvegarde, alors que ça tombe sous le sens, quand même.

Ça serait super pratique. En cas de major failure, nouveau boulot qui avait l’air bien mais finalement pas tant que ça, superbe maison en bordure de la future autoroute, décision de reprendre le sport, retour de l’être aimé, on pourrait revenir à la dernière sauvegarde, comme quand tu décides d’attaquer les Incas dans Civilization VII et qu’en fait c’était une super mauvaise idée, lol. Comme quand tu lisais des Livres dont vous êtes le héros et que tu devais tourner les pages avec le nez parce que tous tes doigts te servaient déjà à marquer un paragraphe délicat où tu pourrais bien devoir revenir en cas de grabuge.

Il y aurait les inquiets de nature. On les verrait errer, l’âme en peine, incapables de répondre à la question “la mémoire est pleine, êtes-vous sûr de vouloir écraser la dernière sauvegarde”, parce que tout de même, c’était juste avant de décider “plutôt des croissants ou un pain à la chocolatine ?”, et bon, c’est pas une décision qui se prend à la légère alors bon.

Il y aurait les désorganisés, incapables de nommer correctement leurs fichiers de sauvegarde, les distraits, qui se tromperaient de bouton et devraient recommencer leur vie à zéro alors qu’ils voulaient juste revenir au moment où ils avaient dit “mais bien sûr que c’est à gauche, enfin”, il y a cinq minutes. Les insatisfaits de nature, qui revivraient la même journée encore plus souvent que Bill Murray.

Et puis le commun des mortels, les gens qui se diraient “ah oui, ça fait longtemps que j’ai plus fait de sauvegarde, tiens, faudrait que j’y songe, mais bon, pas ce soir, ça prend trop de temps, allez demain”, puis, un jour, “non finalement c’était une connerie d’accepter cette invitation chez les Poucherolles, allez, on revient à la dernière sauvegarde… Non, non, je veux pas aller à l’école, regarde, j’ai de la fièvre !”

Il y aurait aussi les gens qui sauvegardent régulièrement et soigneusement, mais un jour, “le fichier de sauvegarde est corrompu, restauration de la sauvegarde précédente, non, non, je veux pas aller à l’école, regarde, j’ai de la fièvre”.

Et puis comme les autres gens aussi pourraient sauvegarder et restaurer, ça créerait parfois des situations embarrassantes, des moments de spleen où tu te dirais “Je n’aurais jamais dû quitter Pétrouchka, elle faisait si bien le houla-hop”, alors tu reviendrais à la sauvegarde, mais comme elle se serait dit dans le même temps, “Je n’aurais jamais dû rencontrer Athanagor”, ça serait pas super pratique, surtout que tous ces différents retours en arrière finiraient par créer un conflit de versions qui entraînerait une déchirure dans le continuum espace temps et à la fin, juste parce que tu te serais dit non, finalement, les croissants, c’était bien, une chose en entraînant une autre, tu finirais par te retrouver dans un présent parallèle où des limaces bleues de sept mètres de haut ont établi une dictature militaire.

Et maintenant, une page de publicité !
– Moi, depuis que je lis le Sens du poil, je me sens bien au sec, vraiment protégé !