Soudain, il y eut un terrible BUG, un bug collectif qui s’attaquait à nos mémoires : était-il vraiment possible que nous ayons, pas plus tard qu’en 2007, envoyé publiquement ce mot doux ridicule à cette fille rencontrée la veille, dont on ne se serait probablement pas rappelé le nom cinq ans plus tard à l’ère pré-facebookienne, et dont on ne se rappelait d’ailleurs plus trop pourquoi elle était dans nos amis jusqu’au fameux bug.
Heureusement, nous avions à notre disposition une DeLorean, la possibilité d’aller assez facilement revoir à quoi ça ressemblait, facebook, en 2007.
Séquence nostalgie, comme ils disaient à la télé, quand on regardait encore la télé les soirs où il n’y avait rien sur Internet.
En 2007, 2007 et demi, tu as débarqué la fleur aux dents sur ce “Facebook” dont ils parlaient sur les blogs spécialisés et parfois dans les journaux. C’était un peu comme Copains d’avant, mais en mieux, semblait-il, tu n’avais pas grand chose à faire ce jour-là alors tu t’es dit que tu allais essayer, pour voir. Poli, Facebook t’a suggéré d’ajouter des amis en allant regarder dans tes e-mails. Il t’a proposé plein de noms qui ne te disaient rien : ce jour-là, tu as découvert avec angoisse que tu avais plus de blogueurs que de gens de la “vraie vie” dans ton carnet d’adresse et avec satisfaction que tous ces blogueurs avaient des noms, des visages et tout ce genre de choses, alors tu les as demandé en amitié.
Puis tu as cherché des noms : anciens camarades de classe ou collègues de boulot, amis d’adolescence et même, dans un instant d’égarement, compagnons de galère obligatoire pour tous les mâles suisses entre 20 et 32 ans. Las : la vraie vie n’avait pas encore cédé. Elle allait y venir, malgré 221 743 articles intitulés “Facebook c’est fini” et autant de “Scandale, Facebook mange des bébés dauphins” sur les blogs spécialisés. Alors tu as ajouté des amis inconnus. Facebook te demandait comment tu les connaissais alors tu répondais n’importe quoi, c’était hilarant, enfin, sur le moment, enfin, peut-être pas tant que ça mais que veux-tu, c’était 2007, on n’avait encore un humour très fruste. Puis tu leur as lancé des moutons, tu as fait des quiz et des jeux pour savoir qui avait le plus gros cerveau et perdre un peu de temps, tu as poké des inconnues dans l’espoir secret de pécho et le plus étonnant, c’est quand ça a marché, et tu as rédigé des status en franglais parce qu’ils devaient commencer par is et que tu avais déjà fait toutes les blagues en is thme et is térique. Tu trouvais ça un peu dommage qu’on ne puisse pas commenter, par moments. Tu as exploré un peu plus les possibilités du truc et tu étais très fier que ton groupe “Je mange 35 fruits et légumes le dimanche pour être tranquille la semaine” ait plus de 200 membres. Puis tu as exploré un peu plus le truc et tu t’es rendu compte que “si toi ocii tuu èm paa léécol” en dénombrait 217 425. La vraie vie était arrivée pendant ce temps. Tu lui as dit salut ça va, elle a répondu et toi, tu as dit que deviens-tu et ça s’est arrêté là, même si elle regardait avec un air légèrement interloqué l’adolescent timide et le jeune homme vaguement sérieux qu’elle avait connu lancer des moutons tous azimuts. C’est à ce moment-là que tu as commencé à t’intéresser aux paramètres de confidentialité. Puis une nouvelle version de Facebook est arrivée et franchement, tu trouvais la précédente mieux.
Un soir maussade, sans doute un dimanche, tu t’es mis à rechercher tes ex, il y en a une qui était devenue mariée, bien fait et une autre qui était restée célibataire, bien fait (cinq ans plus tard, beau joueur, tu likes régulièrement des photos de Ramountcho, son petit deuxième). Puis une nouvelle version de Facebook est arrivée et franchement, tu trouvais la précédente mieux.
Entre-temps, c’était devenu le sujet de conversation de prédilection de la vraie vie, quand elle te racontait un truc elle ajoutait “tu le mettras pas sur Facebook lol”, elle te trouvait accro alors qu’elle venait de passer trois heures à prendre des tas de photos pour que le monde sache qu’elle était à un concert dont elle n’avait rien vu puisqu’elle était en train de prendre des photos. Puis ton prof de lutrin t’a demandé pour la première fois de l’ajouter à ses amis et là tu as craqué, tu as ouvert un deuxième compte au nom de ton lapin nain.
Puis une nouvelle version de Facebook est arrivée et franchement, tu trouvais la précédente mieux.
Puis un jour des mecs se sont mis à explorer une version de Facebook qui avait plusieurs mois, ce qui en faisait une version archaïque, ils y ont découvert des trucs qu’ils ne comprenaient pas alors dans le doute, ils ont dit que c’était dangereux et le monde entier s’est mis à courir dans tous les sens en hurlant et en sautant par la fenêtre et c’est ainsi que la fin du monde a débuté. Puis une nouvelle version de Facebook est arrivée et franchement, tu trouvais la précédente mieux.