C’était probablement le deuxième jour de l’école de recrue et donc un mardi et même si ce n’était pas un mardi, disons que oui, à cause de la nostalgie. Moi, j’étais toujours aussi étonné d’être là. Je me disais qu’au bout d’un moment quelqu’un allait dire non mais c’est bon, on sait jamais, si sur un malentendu l’Ennemi débarque, c’est mieux pour tout le monde, sauf peut-être pour l’Ennemi, que vous soyez à la maison en train de jouer à Civilization plutôt qu’ici à marcher au pas, allez, filez et si on vous demande, dites que vous n’êtes jamais venu mais bon, personne m’a dit ça.
A la place, on m’a fait mettre en file indienne par ordre alphabétique avec des tas d’autres types et on nous a donné à chacun un fusil, au cas où l’Ennemi débarquerait. Il est pas venu, mais c’est pas le sujet. Moi, au lieu du fusil, j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai dit non, merci, c’est gentil mais moi je ne suis pas sur terre pour tuer des pauvres gens, c’est un très beau fusil et tout, je dis pas, enfin si on aime, moi j’aime pas trop alors je peux pas vraiment dire mais les gens qui aiment ils doivent le trouver joli, donnez-leur donc le mien. Non, en fait j’ai pas dit tout ça, j’ai juste dit non. En réalité, je n’aurais jamais tenté un tel acte de bravoure si un type, deux rangs devant moi, n’avait pas fait exactement la même chose, heureusement que j’avais eu l’idée d’avoir un nom de famille juste deux rangs après le sien sinon j’aurais probablement pris mon fusil, bien que sans conviction.
Après, je me suis dit qu’on allait me jeter au cachot, me houspiller, ou que sais-je encore mais en fait on m’a mené devant le capitaine qui a été très gentil et franchement, dans un contexte kaki, c’est toujours louche. Et puis ensuite je suis passé devant une commission à qui j’ai expliqué pourquoi je voulais pas trop trop passer quinze semaines dans une caserne infâme avec des plus cons que moi et ils ont bien examiné ma conscience, surtout un psy avec un noeud papillon rigolo qui posait plein de questions pas rigolotes et ils ont dit si, si, en fait vous allez quand même faire ça.
Le sergent-major, c’est un grade à l’armée et c’est un type qui aime bien crier et que tout soit bien aligné m’a dit bon en fait il va falloir quand même prendre un fusil et là y avait pas le type deux rangs devant moi, lui il s’était fait renvoyer à la maison, alors j’ai pas dit oui, mais j’ai pas dit non, j’ai rien dit, j’ai pris l’objet et j’ai même appris à m’en servir, ça fait du bruit, franchement je déconseille, à l’époque il n’y avait pas internet sinon j’aurais mis 0 étoiles sur 5, ou même sur 10, et cinquante-huit semaines plus tard, j’ai fini mes quinze semaines d’école de recrue mais à cause que c’est la Suisse, j’ai dû garder le fusil quelque part au fond de ma cave. Finalement, mon acte de bravoure ne m’avait servi à rien du tout, ça fait juste une anecdote à raconter.
Et pourquoi je vous la raconte alors que même quand les blogs n’était pas morts, ce blog-ci n’a jamais été ce genre de blogs-là ? Eh bien, parce que c’est un peu une métaphore, mais je peux pas trop vous dire de quoi, on va encore trouver que je parle pour rien dire alors voilà, voilà.