Archive for April, 2014

Run to the hills

Tuesday, April 22nd, 2014

C’était un mardi. L’ascenseur était en retard, tu as décidé d’y aller par les escaliers. Quelle ne fut pas ta surprise, une demi-volée de marches plus bas, de retrouver tes poumons gisant sur le sol, implorant ta pitié, rassemblant leur maigre dernier souffle pour clamer “plus jamais ça”.

Tu t’es alors dit : “Faudrait peut-être que je me mette au sport”. Et tu as choisi la course à pied. Tu en avais déjà fait, dans le temps, le jour où tu avais failli rater le bus et où tu l’avais finalement raté. Et puis c’est très à la mode, mais bon, ça, c’est pas de ta faute.

Tu t’es dit : la course à pied, c’est facile. Il suffit de déplacer ses pieds d’avant en arrière de manière cyclique et, si possible, rapide. C’est bien plus simple que le plongeon synchronisé ou que le surf des neiges. Première erreur.

Tu as aussi pensé : et puis c’est pas très cher. Des chaussures, un slip et vogue la galère. Deuxième erreur.

Jeune naïf. Tu as confondu le noble art de la course à pied avec le jogging du dimanche.

Tu es parti dans la forêt, les oiseaux gazouillaient, les rivières frétillaient, les chiens batifolaient, les jeunes se droguaient, c’est le problème des forêts urbaines. Alors que ton coeur battait la chamade et tes pieds la campagne, tu t’es dit que ce ne serait pas si facile que ça. De sa douce voix mélancolique, l’application que tu venais de télécharger afin de t’accompagner dans tes vélléités kenenisabekeleïennes annonça sans l’ombre d’un trémolo, “Time : 5 minutes. Distance : 5 meters. I call the ambulance.”

Comme tu es un garçon méthodique, tu t’es dit : de la méthode, de la méthode. De retour dans le confort de ton canapé, tu as enfourché ton navigateur internet et tu as googlé “astuces running” (car on ne dit plus course à pied mais running, de même qu’on ne dit plus auto-portrait mais selfie, mais avant de faire des selfies de ton running, attends d’arriver vivant au coin de l’immeuble, veux-tu?). Et là, drame, catastrophe, patatras: en réalité, c’est hyper compliqué. Il faut faire des fractionnés, des cotes, dire des choses comme j’étais à peine à 83% de mon cardio. Ca avait l’air tellement scientifique que même le curling t’apparaissait soudain moins nébuleux.

Il te fallait des chaussures adaptées à la courbure de ton pied, des chaussettes adaptées à la courbure de tes chaussures, un porte-téléphone-portable adapté à ton téléphone portable et comme, jeune rebelle, tu en possède un qui ne prend pas de i devant, tu as dû faire fabriquer l’objet sur mesure par des enfants aveugles, une casquette aérodynamique, des boissons isotoniques et une compilation de chants de l’armée rouge soigneusement étudiée pour épouser au mieux ta progression rythmique.

Une fois équipé, tu étais plus pauvre que si tu avais opté pour la voile, le golf ou le cheval. Mais tu pouvais enfin te remettre à galoper, libre et flamboyant, au milieu des oiseaux, des ruisseaux, des chiens et des jeunes.

Tu n’avais jamais réalisé à quel point, quand ils construisent les villes, il ne réfléchissent pas au côté plat du truc. Ca monte, ça descend, ça remonte, franchement, c’est n’importe quoi.
Alors tu as pris ton courage à deux mains et ta voiture à propulsion mécanique pour aller au bord du lac. Comme exactement 17 932 autres coureurs, car le temps était maussade ce jour-là. Très bien ! Tu en as profité pour observer attentivement les autres athlètes dominicaux.
Il en existe plusieurs types : les vrais sportifs, que l’on reconnaît à leur foulée altière et régulière, les gens à qui leur médecin a ordonné de faire du sport dans les cinq minutes, que l’on reconnaît à leurs exhalations rauques et au regard désespéré qu’ils jettent à l’horizon, les Parisiens, que l’on reconnaît à leur équipement dernier cri, cuissettes hypothermiques et slip fuselé en titane, et au fait qu’ils pratiquent le running en petites grappes de 5000 sous les yeux étonnés de touristes étonnés.
Tu as attrapé au vol la foulée d’un membre éminent de la deuxième catégorie et tu t’es senti poussé des ailes quand tu l’as irrémédiablement lâché dans la première difficulté du jour, tel un Cancellara des grands jours, mais en plus modeste.
Tu as poursuivi ta folle chevauchée des sentiers de la gloire oh tiens un coin à ail des ours si je m’arrêtais un moment pour en ramasser un peu.

Puis il a plu sur cette plage et ton doux visage a disparu. Tu as fait une petite pause dans ton entraînement, à peine une semaine – huit mois. Quand tu as voulu t’y remettre, tout était à refaire. Je te propose donc de relire ce billet depuis le début pendant que je vais me faire un café.

Rusé, tu t’es dit, cette fois, je n’abandonnerai pas dès les premier frimas comme ces onze dernières années, et puis l’hiver a été doux alors ça va : tu t’es inscrit à une course. Une vraie, avec des podiums, mais ne t’inquiète pas, tu ne les verras que de loin, des dossards et un ravitaillement à mi-chemin, qui s’avèrera décevant, ni entrecôte, ni champagne millésimé, à peine un verre d’eau.

Tu t’es entraîné dur avec un objectif précis : ne pas finir dernier. Tu as observé attentivement les résultats des huit dernières années et tu t’es dit que cet exploit historique serait possible, à condition de te munir de petits clous rouillés à glisser dans les chaussures de tes contradicteurs. Puis, de fil en aiguille, ce fut le jour J. Tu es arrivé en avance sur le lieu de ton forfait, tu as eu le temps de t’échauffer et, surtout, de copieusment t’ennuyer. Puis ce fut le coup de feu signalant le départ, et tu pris tes jambes à ton cou, virevoltant comme un cabri malicieux dans le peloton effréné.
Très vite, tu trouvas ta juste place, loin derrière les Kenyans égarés et les vrais sportifs, loin derrière les gens venus là pour se dégourdir les jambes avant leurs seize marathons de la semaine prochaine, loin derrière pas mal de monde, mais tout de même pas derrière tout le monde, tu devançais fièrement de nombreux sportifs et tu feignis de ne pas voir que la plupart couraient dans la catégorie plus de 110 ans amputés des deux jambes et + de 7 paquets / jour.
Tu jouais des coudes pour te faufiler dans cette masse suante, tu remontais allègrement de la 913 à la 828e place, quand soudain, un panneau “1km”, ça alors, le temps passe vite, plus que 14, plus que cette montée qui se profile au loin, et les huit suivantes, putain, qu’est-ce que je fous là ?

Puis, perclus de crampes, un peu vexé d’avoir terminé 107 rangs plus loin que le dernier classé, tu t’es surpris à dire : bon, c’est quand, la prochaine ?

Et c’est pour ça que je voulais te prévenir : fais bien attention, petit, le sport, ils y mettent plein de saloperies pour que ça rende accro, et en plus c’est dangereux pour la santé, alors fais bien attention, c’était un message de prévention de l’association pour la prévention contre le sport.