Parfois, dans la vie, tu cherches un appartement : tu épluches les annonces en ligne (ou dans les journaux, mais je te trouve très XXe siècle), tu élimines celles qui disent beaucoup de cachet, en l’état, cuisine pittoresque, loyer audacieux, tu vas visiter, comme 3520 autres personnes, jeunes, sémillantes et pour tout dire, une gueule à avoir plus de chances que toi d’avoir cet appart’ beau comme une demeure de roi, enfin, c’est surtout que c’est le 128e que tu visites et du coup tu ne vois plus du tout qu’il donne sur un magasin de pizzas odorifère et une rue vrombissante: plus le temps passe, moins tu te souviens pourquoi la vue sur le lac, la baignoire, la piscine pour les chats et la place sur le balcon pour y mettre un trampoline te semblaient si importants au début.
Enfin, en réalité, il y a plusieurs degrés : si l’appart’ que tu cherches est, par exemple, lémanique, ça se passe comme ça jusqu’au jour où tu apprends que le copain d’un copain cherche quelqu’un pour reprendre son doux foyer parce que selon son bail, il n’a le droit de quitter son appartement qu’un 17 janvier, à condition que ça tombe un mercredi et qu’il fasse beau mais un peu couvert, sinon il doit encore payer 390 mois de loyer et déposer le cadavre d’un bébé faon près de l’ancien port à minuit en guise de garantie. Si c’est à Paris que tu cherches logis, tu devras prendre cinq années sabbatiques pour avoir une chance de trouver un studio plus petit que certains placards à balais. Alors que dans le Jura du sud, les gérances t’offriront trois mois de loyer gratuit et un bol de pistaches si tu t’engages à rester au moins six mois dans la région.
Mais, quoi qu’il en soit, il y a forcément un moment où tu visites. Tu vas chez des gens que tu ne connais pas, tu ouvres leurs placards, observes leur chambre à coucher, berceau jadis de leurs amours naissantes, et te dis que toi tu aurais plutôt mis le lit dans l’autre sens pour profiter de la vue sur les poubelles, et leur poses des questions sur le quartier, la buanderie, les voisins et le sens de la vie.
Et là, il y a un mystère que je m’explique à peine. Tous, toujours, quel que soit le quartier, la ville, te répondent la même chose. Invariablement. “L’immeuble est plutôt sympa… enfin, à part la vieille dame du premier qui a tendance à beaucoup se plaindre du bruit et à toujours contrôler que les jours de lessive soient respectées.” Dans tous les immeubles du monde, il y a cette dame, elle vit seule, elle a des chats, et elle téléphone à la gérance quarante fois par mois pour se plaindre de violations graves au règlement de l’immeuble, comme un vélo rangé à 7 centimètres des places pour vélo, une poubelle sortie le mauvais jour ou l’enthousiasme un peu trop enthousiaste du petit dernier à l’occasion de sa première leçon de banjo. Elle téléphone si souvent à la gérance qu’elle a même une ligne spéciale. Pourquoi fait-elle ça, pourquoi font elles-ça, pourquoi n’habitent-elles pas toutes dans le même immeuble ? Sont-elles membres d’une organisation secrète, d’un complot mondial visant à rendre la vie de locataire moins chatoyante ? Est-ce la même personne qui loue en réalité des millions d’appartements ? Je n’en sais rien.
Tout ce que je sais c’est que, oh, un studio pour 1452 francs par semaine dans un quartier proche de la gare (moins de 4 h en transports publics) et des commerces (de peinture) avec vue sur un superbe mur authentique et une cuisinière à bois, visite publique le 18 mai de 18 heures 23 à 18 heures 24 ! Quelle chance !