Archive for January, 2014

Nadal surf

Sunday, January 26th, 2014

Ce dimanche, Stanislas Wawrinka a remporté le premier tournoi du Grand Chelem de sa carrière, entrant ainsi dans le cercle très fermé des joueurs ayant remporté le premier tournoi du Grand Chelem de leur carrière ce dimanche. Avant ce succès, Stan est longtemps resté dans l’ombre du meilleur joueur de tennis de Suisse, du monde et de tous les temps, Roger Federer. Une rivalité mêlée d’admiration à laquelle Eminem avait consacré une émouvante chanson, Stan.

Eminem ft. Dildo – Stan

My tea’s gone cold, I’m wondering why I got out of bed at all

Mon thé est froid, je me demande pourquoi je suis sortie du lit
Parce que c’est vrai qu’une finale à 9h30, un dimanche, c’est un peu tôt.

The morning rain clouds up my window and I can’t see at all

La pluie du matin embue ma fenêtre et je ne peux rien voir

And even if I could it’ll all be gray but your picture on my wall

Et même si je pouvais, tout serait gris mais ta photo sur mon mur

It reminds me, that it’s not so bad, it’s not so bad

me rappelle que tout ne va pas si mal, tout ne va pas si mal
Dans ce “sample”,comme disent nos amis les rappeurs, on entend une jeune fan de Federer, inconsolable après la défaite de Roger Federer en demi-finales contre Nadal, alors qu’elle devrait commencer à avoir l’habitude, mais bon, vous savez ce que c’est, on se dit « cette fois, ça va passer » et en fait, ça passe pas, en plus il fait gris, il fait froid. Mais elle se souvient de ce type, là, elle l’avait vu une fois à une manifestation de Swiss Tennis, Federer avait pas pu venir, comment il s’appelait, déjà ? Wowronec ? Bon, il était sympa, il lui avait offert une photo dédicacée. Ben apparemment, il serait en finale. Donc c’est pas si mal, pas si mal. Enfin, mieux que rien, quoi.

[Verse 1]

Dear Slim, I wrote you but you still ain’t callin’

Cher Maigre, je t’écris mais tu ne m’appelles pas
Il s’agit d’un document exclusif, mis en musique par Eminem : une lettre écrite par Wawrinka à son idole Federer. Il essaie de ne pas faire preuve de trop de déférence, alors il se moque un peu du physique, mais tout de même on sent une légère, très légère, adulation.

I left my cell, my pager and my home phone at the bottom

J’ai laissé mon numéro de portable, mon page et mon numéro de téléphone à domicile en bas
On apprend également, au passage, l’identité de la seule personne à avoir jamais acquis un pager.

I sent two letters back in autumn, you must not’ve got em
There probably was a problem at the post office or something
Sometimes I scribble addresses too sloppy when I jot em

J’ai écrit deux lettres en automne, tu ne dois pas les avoir reçues, il y a probablement eu un problème avec la Poste ou quoi, des fois j’écris pas très très bien les adresses
Non mais ça arrive, les problèmes avec la Poste, une fois, j’avais écrit un poème à une fille (non mais ça va, c’était y a longtemps), elle avait jamais répondu, salope de Poste.

But anyways, fuck it, what’s been up man, how’s your daughter
My girlfriend’s pregnant too, I’m bout to be a father

Mais bon, on s’en fout, ça va mec ? Et ta fille ? Ma copine est enceinte aussi, je vais être papa.
Apprenant la paternité de Federer, Wawrinka se dit tiens, bon, tennistiquement, je suis encore loin de lui mais là, au moins, je peux rivaliser. Mais là où le maître avait une paire de jumelles, son disciple n’a qu’un monocle.

If I have a daughter, guess what Imma call her, Imma name her Bonnie

Si j’ai une fille, devine comment je vais l’appeler ? Je vais l’appeler Bonnie !
En hommage à la célèbre joueuse de tennis Bonnie Gadusek.

I read about your Uncle Ronnie too, I’m sorry
I had a friend kill himself over some bitch who didn’t want him

J’ai entendu parler de ton oncle Ronnie, je suis désolé, j’ai un ami qui s’est suicidé à cause d’une désillusion amoureuse
Stan idolâtre Federer, d’accord, mais il le confond probablement avec quelqu’un d’autre

I know you probably hear this every day, but I’m your biggest fan
I even got the underground shit that you did with Skam
I got a room full of your posters and your pictures, man
I like the shit you did with Rawkus too, that shit was phat
Anyways, I hope you get this man, hit me back
Just to chat, truly yours, your biggest fan, this is Stan

Je sais que tu entends ça tous les jours, mais je suis ton plus grand fan, j’ai même cette merde underground que tu as faite avec Skam, j’ai une pièce pleine de tes posters et photos, mec, j’aime aussi la merde que tu as faite avec Rawkus, c’était trop bien, bref, j’espère que tu auras ça, rappelle-moi, juste pour causer, sincèrement, ton plus grand fan, c’est Stan
Stan est tellement fan de Roger qu’il est même au courant pour ce tournoi exhibition de double mixte avec une haltérophile lituanienne à Pattaya.

[Hook]

Crochet

[Verse 2]
Dear Slim, you still ain’t called or wrote; I hope you have a chance
I ain’t mad, I just think it’s fucked up you don’t answer fans
If you didn’t wanna talk to me outside the concert
You didn’t have to, but you coulda signed an autograph for Matthew
That’s my little brother man, he’s only six years old
We waited in the blistering cold for you for four hours and you just said no
That’s pretty shitty man, you’re like his fucking idol
He wants to be just like you man, he likes you more than I do
I ain’t that mad though, I just don’t like being lied to

Cher Maigre, tu n’as ni appelé, ni écrit, je ne suis pas en colère, je trouve juste que ce n’est pas très sympa de ne pas répondre aux fans, si tu ne veux pas me parler après le concert, tu ne dois pas mais tu pourrais au moins signer un autographe pour Matteo, c’est mon petit frère, mec, nous t’avons attendu dans le froid pendant des heures et tu as dit non, c’est fort peu civil, mon gars, tu es son idole, il veut être comme toi, il t’aime encore plus que je t’aime, je ne suis pas en colère, mais j’aime pas trop trop qu’on me mente, t’as vu
Stan devient alors incohérent : il confond matches et concert et surtout, il ne se rappelle plus très bien des noms des membres de sa famille.

Remember when we met in Denver
You said if I’d write you, you would write back

Tu te souviens, quand nous nous étions rencontrés à Denver, tu m’avait dit que si je t’écrivais tu me répondrais
Au deuxième tour du tournoi de Denver, Federer avait battu Wawrinka en deux sets, c’était le bon vieux temps. Puis, à l’heure du serrage de mains, il lui avait dit : « Ouais, ouais, écris-moi, je pourrai t’arranger un cours de tennis ou au moins un DVD de mes meilleurs coups. »

See, I’m just like you in a way
I never knew my father neither
He used to always cheat on my Mom and beat her

Tu vois, je suis un peu comme toi, je n’ai jamais connu mon père, il trompait ma mère et la battait
Mais enfin, c’est parfaitement faux ! il s’appelle Wolfram, il était dans l’Illustré !

I can relate to what you’re saying in your songs

Je peux m’identifier à ce que tu dis dans tes chansons
Car Federer, on le sait peu, adore chanter sous la douche

So when I have a shitty day, I drift away and put ’em on
Cause I don’t really got shit else, so that shit helps when I’m depressed
I even got a tattoo of your name across the chest

Alors quand je passe une mauvaise journée, je les écoute, le reste m’importe peu alors ça m’aide en cas de déprime. J’ai même ton nom tatoué sur la poitrine
Mais enfin, Stanislas, vous perdez la raison ! Ton tatouage, c’est sur le bras et ça dit « Ever tried. Ever failed. No matter. Try again. Fail again. Fail better », c’est pas hyper sympa de prétendre que Fail better, ça veut dire Federer.

Sometimes I even cut myself to see how much it bleeds
It’s like adrenaline, the pain is such a sudden rush for me
See everything you say is real, and I respect you cause you tell it
My girlfriend’s jealous cause I talk about you 24/7
But she don’t know you like I know you Slim, no one does
She don’t know what it was like for people like us growing up

Parfois, je me coupe pour voir à quel point ça saigne. C’est comme de l’adrénaline, la douleur me booste, tu vois, tout ce que tu dis es vrai, je te respecte parce que tu le dis, ma copine est jalouse parce que je parle de toi tout le temps. Mais elle ne te connaît pas aussi bien que moi, Maigre, personne ne le fait, elle ne sait pas comment les personnes comme nous grandissent
Car oui, on le dit trop peu mais l’existence des joueurs de tennis est faite de sacrifices.

You gotta call me man, I’ll be the biggest fan you’ll ever lose
Sincerely yours, Stan
P.S. We should be together too

Tu vas m’appeler, mec, je serai le plus grand fan que tu vas perdre. Sincèrement, Stan. PS : Nous devrions être ensemble.

Au passage, Stan rappelle à Roger qu’il serait pas contre une petite Coupe Davis avec lui.

Dear Mr. I’m-Too-Good-to-Call-or-Write-My-Fans
This’ll be the last package I ever send your ass
It’s been six months and still no word, I don’t deserve it ?
I know you got my last two letters, I wrote the addresses on ’em perfect
So this is my cassette I’m sending you, I hope you hear it

Cher M. Je-suis-trop-bien-pour-appeler-ou-écrire-à-mes-fans, c’est la dernière fois que j’écris à ton cul. Six mois et pas un mot, je ne le mérite pas ? Je sais que tu as eu mes deux dernières lettres, je me suis bien appliqué pour l’adresse, avec des coeurs sur les i et tout, je t’envoie une cassette, j’espère que tu l’entendras
Soudain, Stan pète méchamment les plombs et envoie une compil’ à son idole. Sur cassette, alors que tout le monde a des baladeurs MP3 de nos jours.

I’m in the car right now, I’m doing 90 on the freeway

Je suis dans la voiture, je fais du 90 sur l’autoroute
Ah ben oui, moquez-vous, moquez-vous, mais dans le canton de Vaud, c’est super rapide.

Hey Slim, I drank a fifth of vodka, you dare me to drive

Hé, Maigre ! J’ai bu deux décis de vodka et tu me laisses conduire ?
Soudain, lassé de voir son idole ne pas lui répondre, Stan fait quelque chose de terrible, d’horrible, d’affreux : il décide de s’entraîner avec Marc Rosset.

You know the song by Phil Collins “In the Air of the Night”
About that guy who coulda saved that other guy from drowning
But didn’t, then Phil saw it all, then at a a show he found him

Tu connais la chanson de Phil Collins “Dans l’air de la nuit” ? A propos de ce mec qui aurait pu sauver un autre de la noyade, mais en fait non et Phil a tout vu et après il l’a trouvé ?
Je veux pas parler pour Roger, mais ça donne pas tellement envie d’écouter ta compil.

That’s kinda how this is, you coulda rescued me from drowning
Now it’s too late, I’m on a thousand downers now, I’m drowsy
And all I wanted was a lousy letter or a call
I hope you know I ripped all of your pictures off the wall
I loved you Slim, we coulda been together, think about it
You ruined it now, I hope you can’t sleep and you dream about it
And when you dream, I hope you can’t sleep and you scream about it
I hope your conscience eats at you and you can’t breathe without me
See Slim, shut up bitch, I’m tryna talk
Hey Slim, that’s my girlfriend screamin’ in the trunk
But I didn’t slit her throat, I just tied her up, see I ain’t like you
Cause if she suffocates she’ll suffer more and then she’ll die too
Well gotta go, I’m almost at the bridge now
Oh shit I forgot, how am I supposed to send this shit out

C’est un peu la même chose, tu aurais pu me sauver, maintenant c’est trop tard, j’ai pris des tranquillisants, je suis endormi, tout ce que je voulais c’était une lettre ou un coup de fil. J’espère que tu sais que j’ai arraché toutes les photos du mur, je t’aimais, Maigre, nous aurions pu être ensemble, penses-y, tu as tout gâché, j’espère que tu ne peux pas dormir et que tu en rêves et quand tu rêves, j’espère que tu ne peux pas dormir et que tu cries, j’espère que ta conscience te bouffe et que tu ne peux pas respirer sans moi, tu vois, Maigre, ta gueule, je parle, hé Maigre, c’est ma copine qui crie dans la trompe, mais je n’ai pas tranché sa gorge, je l’ai juste attachée, tu vois, je ne suis pas comme toi, parce que si elle étouffe, elle souffrira plus et elle mourra aussi. Bon je dois y aller, je suis près du pont. Oh zut, j’ai oublié comment envoyer cette merde !

C’est quand même un tout petit peu une drama queen, le Stan. Tout ça pour un refus de jouer en double…
Rassurez-vous tout de même : depuis cette croustillante anecdote, Stan et sa compagne s’entendent mieux.

[Hook]

[Verse 4]

Dear Stan, I meant to write you sooner but I just been busy

Cher Stan, je voulais t’écrire, mais j’étais très occupé
Ça peut avoir l’air d’une excuse, mais il faut savoir qu’à l’époque, Federer était très occupé à gagner ses tournois. Un jour, il a décidé d’arrêter et Mirka lui a rappelé ce fan un peu lourd qui l’agonissait de lettres.

You said your girlfriend’s pregnant now, how far along is she
Look, I’m really flattered you would call your daughter that
And here’s an autograph for your brother, I wrote it on a Starter cap
I’m sorry I didn’t see you at the show, I musta missed you
Don’t think I did that shit intentionally just to diss you
But what’s this shit you said about you like to cut your wrists too?
I say that shit just clowning dog, come on, how fucked up is you
You got some issues Stan, I think you need some counseling

Tu dis que ta copine est enceinte, de combien de mois ? Ecoute, je suis flatté que tu appelles ta fille come ça et voilà un autographe pour ton frère, sur une casquette de démarrage. Je suis désolé de ne pas t’avoir vu au show, j’ai dû te rater, ne pense pas que j’ai fait cette vilennie pour t’enquiquiner. Mais que me chantes-tu là, à propos de tes poignets ? Je dis que c’est un chien-clown, allons, allons, ne serais-tu pas déraisonnable ? Tu as des soucis, Stan, je pense que tu as besoin de conseils !
Suite à cette missive, Stan a décidé de changer d’entraîneur.

To help your ass from bouncing off the walls when you get down some
And what’s this shit about us meant to be together
That type of shit’ll make me not want us to meet each other
I really think you and your girlfriend need each other
Or maybe you just need to treat her better
I hope you get to read this letter, I just hope it reaches you in time
Before you hurt yourself, I think that you’ll be doing just fine
If you relax a little, I’m glad I inspire you, but Stan
Why are you so mad
Try to understand, that I do want you as a fan
I just don’t want you to do some crazy shit
I seen this one shit on the news a couple weeks ago that made me sick
Some dude was drunk and drove his car over a bridge
And had his girlfriend in the trunk, and she was pregnant with his kid
And in the car they found a tape, but they didn’t say who it was to
Come to think about it, his name was, it was you, damn

Pour aider ton cul à rebondir quand tu tombes des murs ! Et que viens-tu me dire que nous devrions être ensemble ? Cela ne m’incite pas à te rencontrer ! Je pense que toi et ton amie avez besoin l’un de l’autre et que tu devrais la traiter mieux ! J’espère que tu liras cette lettre, que tu la recevras à temps avant de te blesser, j’espère que ça ira si tu te détends un peu. Je suis heureux de t’inspirer, mais Stan, pourquoi es-tu si foufou ? Essaie de comprendre que je ne veux pas de toi comme fan car je ne veux pas que tu fasses des folies. L’autre jour, un type bourré est tombé d’un pont avec sa copine enceinte d’un enfant, rends-toi compte, d’un enfant, et en plus il y avait une cassette dans la voiture, une cassette, mais dans quel monde on vit, ils n’ont pas dit pour qui elle était, mais j’y songe, son nom était, mais ça alors, comme par hasard, c’était toi ! Quelle étrange coïncidence !
Bon, en fait, non. C’était quelqu’un d’autre.

C’est une très belle chanson, porteuse d’espoir : celui que le type à qui vous avez écrit un jour et qui ne vous a jamais répondu sera bien attrapé le jour où vous serez devant lui. Bon, moi, c’était ma correspondante australienne alors ça va me faire une belle jambe, mais tout de même.
En revanche, j’ai l’impression que Roger n’est pas super chaud à l’idée de rejouer la coupe Davis. Et ça, c’est un peu triste, parce que c’est une chanson belle, mais mélancolique.

Tout ce qui est Legolas porte un joli nom

Monday, January 13th, 2014

Soudain, l’impétueuse Gunda me convoqua dans son bureau.
– Dis, je ne comprends pas quel rôle tu joues au juste sur ce blog”, dis-je à mon ancienne community manager imaginaire qui m’avait jadis quitté pour refaire sa vie avec un blog à succès.
– Ne change pas de conversation ! J’ai lu ton dernier post, là. Alors tu crois que c’est ça, l’humour ? Du pain, du fromage ?
– C’était du jambon.
– Non, l’humour ce n’est pas ça. L’humour c’est dire avec le rire ce qu’on ne pourrait pas dire autrement, l’humour, c’est s’engager, c’est dénoncer.
– Oh non, je laisse ça aux Français. Moi, tu sais, j’aurais bien trop peur de rire pour des idées n’ayant plus cours le lendemain.
– Mais enfin, il y a des combats pour lesquels il est beau de s’engager. La lutte contre l’antisémitisme, contre le sexisme.
– Oh mais les gens qui me lisent sont intelligents, et les gens intelligents ne sont pas antisémites…
– …tu perds ton sang-froid !
– …ni sexistes.
– Comment oses-tu dire ça alors que ta community manager imaginaire est, comme par hasard, une femme splendide aux formes affriolantes et au décolleté vertigineux ?
– Oui, alors le décolleté, je voulais t’en parler, tu devrais te couvrir. Pour le reste, franchement, tu n’as jamais été trop mon genre.
– Alors c’est ça, tout de suite, parce que je suis une femme, je devrais correspondre à tes canons !
– Mais enfin, Gunda.
– Mais enfin ! Mais enfin ! Alors voilà, tout de suite, le paternalisme !
– Mais non, mais pas du tout, mais c’est…
– Tout de suite, le mansplaining ! Tu imagines que tu sais mieux que moi ce qu’est le sexisme.
– Bon, bon, ne t’énerve pas…
– Oui oh, c’est facile, ça. Je m’énerve parce que j’ai mes règles, c’est ça ?
– Mais enfin, Gunda, tu as 7 ans ! Bon. Je vais bien trouver un truc, mais quoi ?
– Mais le monde regorge de causes pour lesquelles s’engager. Les nazis. La pollution. La pêche en haute mer. La viande.
– Je n’y connais rien.
– Oh mais ce n’est pas ça qui est important, c’est que tout le monde soit d’accord avec toi. Pour que les gens partagent sur Facebook en disant “Tellement vrai !!!”
– Les chats ?
– Non, arrête avec ça.
– Ah, je sais ! Bilbo ! Il y a une demi-heure de scènes d’action inutiles, dans ce film.
– Ce n’est pas engagé, ça !
– Mais si, c’est de l’antihobbitime primaire de penser qu’il faut absolument aller chercher Legolas pour jouer les clowns. Et même, j’ai trouvé ça un peu antielfiste, les réduire comme ça à ce rôle…
– Non. Arrête. Un vrai combat.
– Laisse-moi, je sens que je tiens un truc, là. Alors comme ça, ça a l’air anecdotique, on me dira qu’il y a d’autres combats plus importants, c’est toujours facile de minimiser les luttes des autres, mais moi j’ai le courage de dire tout haut que ce monde où on estime que pour tenir en haleine les spectateurs pendant trois heures, il faut absolument faire sauter un mec de branche en branche me répulse, car c’est faire peu de cas de l’intelligence et d’ailleurs, pourquoi absolument vouloir que ça dure trois heures ? Pourquoi prolonger ainsi cette histoire ? Hé bien parce que pendant ce temps-là, on ne réfléchit pas aux vrais problèmes de la société tels que par exemple le fait que les gens ne réfléchissent plus aux vrais problèmes de la société, et ça arrange bien nos politiciens ! Avec la complicité des journalistes ! Et tout ça aux frais du contribuable, bien sûr.
– Bon ben, c’est un début.
– Tu ne me feras pas taire.
– Non, pas du tout, je…
– Oh, oui, c’est facile de rire, c’est facile de dire pas du tout je, on disait la même chose à Voltaire et à Zaz, mais je dirai ce que j’ai sur le coeur !
– Bon, bon, d’accord.
– Oui donc, voilà, il y a une bonne demi-heure de scènes d’action inutiles dans le Hobbit.
– Ouais, pas faux.
– Tiens, trois minutes déjà que j’ai publié ce post et aucun like.
-Evidemment. Ils veulent te faire taire. Tu déranges.

Album panini

Monday, January 6th, 2014

Peut-être, ce lundi était-il synonyme pour toi de rentrée. Peut-être, après des semaines de bombance, t’es-tu rabattu sur ce grand classique de l’alimentation des classes travailleuses, le sandwich au jambon.
Non mais un bon, hein, avec du beurre, de la moutarde, de la salade, des cornichons, et même de l’oeuf quand même pas le pauvre baguette rassie – jambon translucide de bas de gamme.
Tout de même, tout de même, tu as eu du mal à être transporté de bonheur par la préparation, pourtant tartinée avec amour par un employé enthousiaste de “à la mie qui vous veut du bien”, la boulangerie-charcuterie au bas de ton travail.

Alors que pour que tu manges ce sandwich, des gens ont risqué leur vie, des gens ont souffert. Y as-tu songé ?

Ca ne m’étonne pas.

Le pain, déjà. De la farine, un peu d’eau, du sel, de la levure. Rien de bien compliqué.
Pour arriver à faire du pain, il a fallu un long cheminement. Quelque part, dans un faubourg de Sumer, le jeune Ugror est en train de moudre des trucs. C’est son hobby, moudre des trucs. Il est un peu pénible avec ça, même. Mais ses parents, qui se sont attachés à lui pour des raisons sentimentales, ne veulent pas le priver de ce petit plaisir. Alors ils lui donnent du grain à moudre : des céréales qu’on ramasse parfois parce que c’est rigolo, ça fait comme du chewing-gum, mais là elles ont séché alors c’est moins bon. Ca fera de mal à personne s’il les réduit en poudre. Puis un jour, Ugror abandonne là sa préparation, et il se met à pleuvoir, et j’aime mieux te dire que c’est pas tous les jours, dans les faubourgs de Sumer. La poudre devient pâteuse. Ugror, au lieu de la jeter aux cochons, la mange. C’est pas très bon et ça donne mal au ventre. De rage, il la fait cuire. Dans les cinq minutes, tout le village, par l’odeur alléché, vient lui demander de lui filer un pain.

Ensuite, le jambon. Ca n’a l’air de rien, comme ça, le jambon. Mais pense à ces gens qui, plus ou moins à la même époque, à deux trois milénaires près, décident de se mettre à élever des animaux. Au début, probablement, ils ont un peu tout essayé. Les chèvres et les moutons, les aurochs, les impalas, les fourmis rouges, les palourdes, les okapis, les outardes, les pandas roux. Plusieurs de ces projets ont été abandonnés parce qu’il n’y a franchement rien à bouffer, sur ces bestiaux, plusieurs autres parce que c’est pas mauvais, mais bon, il vient encore de me bouffer un bras. Et un jour, le jeune Gruur revient avec un petit marcassin trop mignon. C’est son truc. La semaine passée, il avait ramené une fouine, mais elle arrêtait pas de se battre, la précédente un héron, celle d’avant un bousier, aucune de ses tentatives ne sont franchement couronnées de succès. Mais ses parents n’ont pas le coeur de lui dire “ok c’est trop chou, tu ferais de la vue sur Youtube avec ça si toutes ces conneries existaient, mais il va nous ravager les plantations comme tous ceux de sa race, alors je sais pas si c’est bien la peine”. Le jeune marcassin, appelons-le Naf-Naf ou Kookai, ravage tout, l’expérience tourne court, mais Gruur se dit qu’il tient une idée business, il insiste, et un jour, le jambon. Manque de bol, quelques semaines plus tard, un de ses voisins invente la religion et c’en est fini de ces cochonneries.

Ce qui nous amène au beurre. Il a donc fallu inventer l’agriculture et l’élevage, réaliser que ces grosses bêtes, en fait, elles sont plutôt placides, sauf celles qui ne le sont pas. Il a fallu avoir l’idée de les traire. Ca ne vient tout de même pas au premier venu, tout de même. Mais bon, admettons. Pourquoi pas. Ensuite, il faut avoir l’idée de l’écrémer. Là, bon, en période de régime, je ne dis pas, chacun son truc. Puis il faut se dire “tiens, de la crème, si je la barattais”. Je ne suis pas complètement réfractaire à l’idée de jouer avec la nourriture, j’ai un très bon ami cavalier, mais pour avoir l’idée de baratter sa crème, il faut avoir pas mal de temps à perdre.

Pour l’oeuf, c’est un peu le même principe, sauf que là, c’est la poule qui est à blâmer : pondre chaque jour, poussin ou non, c’est un peu irresponsable, comme comportement.

Après tout ça, le cornichon et la feuille de salade, ça n’a l’air de rien. Et pourtant. Avant de se dire “tiens, ça c’est pas très bon mais je vais de ce pas tenter de voir ce que ça donnerait dans du jus de raisis macéré”, il a fallu goûter et essayer des centaines de feuilles, de racines, de rhizomes et de fruits. Je ne sais pas, peut-être, toi, tu es du genre à toujours prendre la même chose sur la carte. Je veux dire, tu as quand même mangé un sandwich au jambon, à midi. Mais les aventureux, ceux qui se sentent obligés de toujours tout goûter, ceux qui adoreraient prendre le tartare, c’est toujours bon, le tartare, mais il y a du filet mignon d’anguille à la carte, c’est pas tous les jours, ceux qui souvent comprennent pourquoi c’est pas tous les jours : leurs ancêtres ont souffert mille maux pour découvrir que non, les petites baies rouges, c’est déconseillé, ou alors seulement poché 3 minutes à 42 degrés exactement.

Et je ne te parle pas de la mayonnaise, car d’une part, la personne qui s’est un jour dit “tiens, j’ai de l’oeuf, j’ai de l’huile, j’ai pas mes règles, je vais tenter d’émulsionner tout ça lol” m’inquiète un peu, d’autre part, “à la mie qui vous veut du bien” est un endroit sérieux, il n’y a pas de mayo dans leurs sandwiches, ni même de place pour la mayo dans leurs vies.

Voilà. La prochaine fois, je t’expliquerai comment un dangereux maniaque s’est un jour dit : tiens, c’est excellent, le brochet ! je vais mélanger ça avec de la farine et de l’eau, ça sera informe et sans goût, on appellera ça quenelle, le système sera bien embêté !