Archive for March, 2011

Trouble diGestIF

Thursday, March 24th, 2011

Justin Bieber, Indochine, Tokio Hotel… c’est facile de se moquer, alors qu’on n’aura jamais une coupe de cheveux aussi cool.
Une fois n’est pas broderie, j’ai donc décidé de vous parler d’une chanson non pour me gausser facilement mais, au contraire, pour souligner la beauté de son écriture. Ça va un moment, les conneries.
Rebecca Black, 13 ans, prouve que la précocité n’attend pas le nombre des années et renvoie Nelligan et Rimbaud au sanatorium. Ma traduction ne peut, hélas !, rendre hommage à toute la profondeur de ce texte.

Rebecca Black – Friday

Rebecca Noire – Vendredi
On pense évidemment immédiatement au Vendredi de Robinson Crusoé, même s’il s’agit ici de naufrage au sens métaphorique du terme.

Seven a.m., waking up in the morning

Sept heures du matin, je me réveille le matin.
Redondance du mot matin pour bien accentuer l’idée matinale : le quotidien nous arrache à la chaleur douillette de nos rêves pour nous enchaîner dans la triste inéluctabilité du temps qui passe.

Gotta be fresh, gotta go downstairs

Je dois être fraîche, je dois descendre
Immédiatement, les conventions sociales nous rattrapent, sans nous laisser la moindre seconde de répit.

Gotta have my bowl, gotta have cereal

Je dois trouver mon bol, je dois prendre mes céréales
Rebecca Black profite de lancer une pique à la dictature du bien manger.

Seein’ everything, the time is goin’
Tickin’ on and on, everybody’s rushin’

Je vois tout, le temps passe, seconde par seconde, tout le monde court
Hommage évident à Baudelaire, « Horloge! dieu sinistre, effrayant, impassible,
Dont le doigt nous menace et nous dit: “Souviens-toi! », dénonciation d’une époque où la vie de famille se perd à cause d’un stress omnipotent.

Gotta get down to the bus stop
Gotta catch my bus, I see my friends (My friends)

Je dois aller à l’arrêt de bus, je dois prendre le bus, je vois mes amis (mes amis)
On sent ici un changement dans le rythme narratif. La douleur de prendre le bus, de s’arracher à la douceur de son foyer, est atténuée grâce à la force de l’amitié, comme mille dauphins qui roulent dans nos coeurs.

Kickin’ in the front seat
Sittin’ in the back seat

Je donne un coup de pied dans le siège de devant, je m’assied sur le siège arrière
Balancement entre indignation et résignation.

Gotta make my mind up
Which seat can I take?

Je dois me décider. Quel siège puis-je prendre ?
Décision qui a l’air anecdotique et qui pourtant souligne le diktat des conventions sociales. Enfin je sais pas vous, mais les grands veulent jamais qu’on aille derrière.

It’s Friday, Friday
Gotta get down on Friday
Everybody’s lookin’ forward to the weekend, weekend
Friday, Friday
Gettin’ down on Friday
Everybody’s lookin’ forward to the weekend

C’est vendredi, vendredi, il faut attaquer ce vendredi, tout le monde attend le week-end, week-end. C’est vendredi, vendredi, il faut attaquer ce vendredi, tout le monde attend le week-end, week-end.
Dans cette triste absurdité d’une vie passée à combler le temps qui sépare deux fins de semaine, le vendredi symbolise la dernière étape avant la délivrance, journée sacrifiée, entièrement passée à penser à la tarte qu’on amènera pour la crémaillère de Ramuncho. Enfin, c’est un exemple.

Partyin’, partyin’ (Yeah)
Partyin’, partyin’ (Yeah)
Fun, fun, fun, fun
Lookin’ forward to the weekend

Faire la fête, faire la fête (ouais), faire la fête, faire la fête (ouais), plaisir, plaisir, plaisir, plaisir, attendant le week-end avec impatience
On sent poindre le côté obsessionnel de l’amusement, seul dérivatif à un quotidien morne.

7:45

7:45
Déjà ? le temps passe vite !

, we’re drivin’ on the highway
Cruisin’ so fast, I want time to fly

Nous conduisons sur l’autoroute, si vite, j’aimerais que le temps vole
Subtile métaphore entre la vitesse du bus et la lenteur du temps qui passe.

Fun, fun, think about fun

Plaisir, plaisir, penser au plaisir
Là encore, le fun devient obsessionnel, un autre diktat.

You know what it is

Tu sais ce que c’est
Dame, oui !

I got this, you got this
My friend is by my right, ay

J’ai ça, tu as ça, mon ami est à ma droite, yay
Certains analystes ont vu dans ce passage un troublant message politique, je n’y vois qu’une précision géographique. L’Histoire tranchera.

I got this, you got this
Now you know it

J’ai ça, tu as ça, maintenant tu le sais
Avec ce “maintenant tu le sais”, Rebecca Black prend l’auditeur à témoin, elle insiste sur l’importance du message qu’elle veut faire passer.

[Refrain]

Yesterday was Thursday, Thursday
Today i-is Friday, Friday (Partyin’)

Hier c’était jeudi, jeudi. Aujourd’hui c’est vendredi, vendredi (faire la fête)
J’entends déjà les rieurs se moquer. Facile ! Il y a dans cette apparente candeur la volonté d’insister sur l’engrenage infernal du temps qui jamais ne s’arrête. Après tout, ceux qui se moquent oseraient-ils rire de Vivaldi quand il chante les quatre saisons ?

We-we-we so excited
We so excited

Nous nous nous si excités, nous si excités,
L’idée même de week-end devient si obsédante que la narratrice bafouille, oublie des mots : nous sommes tellement conditionnés par cette opposition temps libre / temps de travail que nous en perdons nos moyens.

We gonna have a ball today

nous aurons un bal aujourd’hui
Le choix du mot “bal” n’est bien entendu pas dû au hasard : en utilisant à dessein une expression désuète, on inscrit ici la thématique de cette chanson dans une temporalité qui n’est pas seulement celle de la génération des adolescents de 2011, tant la situation qu’elle dénonce est universelle.

Tomorrow is Saturday
And Sunday comes after … wards
I don’t want this weekend to end

Demain c’est samedi, et dimanche vient après, je ne veux pas que ce week-end se termine
Là encore, cette façon d’égrener le calendrier peut sembler futile et pourtant, c’est la situation qu’elle décrit qui est futile, il n’est encore que vendredi matin et déjà l’angoisse du dimanche soir nous saisit.
Certains analystes ont vu dans ce passage un plaidoyer pour la semaine de quatre jours. Les gens disent n’importe quoi, de nos jours.

Patrice Wilson

Oh, un changement de narrateur. Chic.

R-B, Rebecca Black

R-B, Rebecca Black
Donc, je t’explique si tu n’es pas familier avec la musique de jeunes, il y a là un passage rappé dans lequel un dénommé Patrice Wilson s’adresse, tel un Deus ex machina, à la jeune Rebecca. Mais un Deus ex machina qui ferait du rap, quoi.

So chillin’ in the front seat (In the front seat)
In the back seat (In the back seat)

Ainsi, tu te relaxes sur le siège avant (sur le siège avant), sur le siège arrière (sur le siège arrière)
Ignorant tout des terribles tourments qui agitent la pauvre enfant, le dénommé Patrice l’imagine en train de rêvasser, manière de souligner à quel point cette angoisse du temps qui passe peut sembler anodine pour une tierce personne. On notera que la chanteuse a choisi de ne pas nous dire, en définitive, quel siège elle avait choisi, pour nous laisser donner notre propre réponse à cette question centrale.

I’m drivin’, cruisin’ (Yeah, yeah)

Je conduis, conduis (ouais, ouais)
Il y a peut-être un jeu de mots entre cruise et cruise, ce serait amusant. L’individu apostrophant la pauvre enfant est un automobiliste, seul au volant, symbole évident de liberté.

Fast lanes, switchin’ lanes
Wit’ a car up on my side (Woo!)

Voies rapides, changements de voie,
avec une voiture à côté de moi. (Woo!)

Il semble très amusé par l’autoroute. Apparemment, il vient de la campagne, où l’on sait encore prendre le temps de regarder le temps passer. Mais bon, où on vient quand même passer le week-end en ville, faut pas non plus déconner.

(C’mon) Passin’ by is a school bus in front of me
Makes tick tock, tick tock, wanna scream

Un bus scolaire passe devant moi, il fait tic-tac tic-tac, j’ai envie de crier
Non, l’histoire ne se passe pas à Gaza, ne t’inquiète pas : nous ne sommes pas ici face à un autobus piégé mais face à une métaphore filée, c’est nettement plus classe.

Check my time, it’s Friday,

Je regarde l’heure, c’est vendredi.
Oui, il a une montre qui indique les jours. Puisque je te dis qu’il vient de la campagne !

it’s a weekend

c’est le week-end
Encore une de ces feignasses qui bossent à 80% !

We gonna have fun, c’mon, c’mon, y’all

Nous allons nous amuser, viens, viens, tout le monde
Car nul n’échappe à la spirale infernale des semaines.

[Refrain]

C’est une chanson très profonde, très engagée et, évidemment, porteuse d’espoir et sur ce, je dois y aller, je vais écrire un tube sur les fruits et légumes.