Archive for June, 2013

Nul ne le conteste

Wednesday, June 26th, 2013

– Bonjour, ici Paul-Emile Grüffenhagen, secrétaire de rédaction au Courrier Picard International.
– Oui, que puis-je ?
– Eh bien, j’ai un cas de “tous les experts s’accordent à dire” dans le papier d’un stagiaire, j’ai besoin de fact-checker.
– Aïe. Mais enfin, il devrait savoir que les experts ne s’accordent jamais. C’est une de nos prérogatives ! Nous autres, experts, adorons ne pas être d’accord, juste par principe. A la limite, s’il avait écrit “Tous les experts s’accordent à dire, sauf ce con de Jean-Claude”
– Non mais là c’est pas ça, et puis ça va faire serré au niveau des signes.
– C’est moi, Jean-Claude. Mais je sais bien que les autres experts me détestent à cause de mes positions à contre-courant.
– Bon, je vais juste virer cette phrase. Fatiguez-vous pas.
– La liberté de pensée dérange ! C’est quoi, au juste, le sujet de l’article ? Encore le printemps pourri ?
– Non. Pas cette fois.
– Dommage, parce que j’avais trouvé un expert qui estime que le printemps n’a pas été pourri, vu qu’avec son arthrite et son cholestérol, c’est mieux quand il fait un peu humide.
– Mais là, non, c’est pas ça. C’est le dopage dans le cyclisme.
– Ah, alors attendez, ça peut marcher, on n’en a presque plus, des experts, on devrait réussir à les faire s’accorder à dire ! Mais ça va prendre un peu de temps parce qu’ils sont à l’apéro, à cette heure.
– Oui mais là, l’heure du bouclage approche et j’ai encore un “de tout temps” qui traîne.

Révision du spoiler

Sunday, June 9th, 2013

Cette nuit s’achèvera sur HBO la saison 3 de la série Game of Thrones. Je ne sais pas si vous en avez entendu parler. C’est une série avec plein de gens qui veulent devenir rois, des dragons, des zombies, un nain et deux sectes rivales et déterminées qui s’affrontent dans le sang et les larmes, Ceux qui regardent d’abord la série et Ceux qui lisent les livres.

Pour le moment, Ceux qui lisent les livres gagnent. Car ils savent que dans le tome 6, de terribles évènements se produisent, impliquant un personnage, mais je ne veux pas trop en dire, par respect, mais quand vous verrez ça, vous allez être surpris, surtout le passage avec les deux jodleurs norvégiens et le trampoline, mais patience. J’espère qu’ils ne le supprimeront pas dans la série.

Mais Ceux qui regardent la série tiendront bientôt leur revanche. Quand ils connaîtront le dénouement de cette histoire, alors que leurs éternels rivaux en seront encore à attendre “The Winds of Winter”, qui devrait paraître vers 2014 ou 2023, puis sa suite, “The Ponies of Vaumarcus”, prévue pour 2053.

Car le malheureux George René René Martin s’est totalement empêtré dans son histoire, ses septante-deux mille neuf-cent quatre-vingt-trois personnages, ceux qu’on croit morts mais qui ne le sont pas, ceux qu’on croit vivants mais qui ne le sont pas, ses intrigues enchevêtrées, ses complots alambiqués.

Tu me connais, je suis un gars serviable. J’ai donc imaginé quelques idées de fins qui permettraient à George Ramuncho Rakham Martin de s’en tirer sans trop de dommages.

  • Tout le monde meurt. Sauf un personnage ultra secondaire qu’on avait déjà oublié au chapitre quatre du livre I. Il devient roi de Westeros mais trouve le temps un peu long, alors il se souvient de jadis et ressort sa collection de bannières. Puis il les énumère pendant 900 chapitres.
  • Tout le monde meurt, sauf les dragons et les marcheurs blancs, qui se retrouvent pile au milieu de Westeros et se neutralisent pendant 251 ans. Puis ils se lassent et repartent chez eux.
  • L’arrière-petit-fils de Jaime Lannister et Brienne de Torth rencontre son rival de toujours, l’arrière-petit-fils de Loras Tyrell et de Rickon Stark. Alors qu’il est sur le point de l’égorger, il lui demande : “Mais pourquoi on se battait, déjà ?”. Comme aucun des deux n’en a la moindre idée, ils décident de plutôt aller boire l’apéro avec les 9412 morts des tomes précédents, qui n’étaient pas vraiment morts, en fait.
  • Eddard Stark se réveille chez lui, à Winterfell. “Ouf, tout ceci n’était qu’un rêve !”, se dit-il. Mais une armée de manticores ninjas l’attaquent. À ce moment-là, Lady, la chienne de Sansa Stark, se réveille. “Ouf, tout ceci n’était qu’un rêve”, se dit-elle. Mais alors qu’elle va avalaer une plâtrée de Canigou spécial direwolf empoisonnée, Jean Sola, le traducteur, se réveille. “Une rêverie, cestuy se révèle n’avoir été tertou en mon for”, constate-t-il alors.
  • Soudain, Nagui arrive au milieu du champ de bataille. “Après 20 ans, la production de “Tout le monde veut prendre son trône s’arrête”, lance-t-il. Alors des gens lancent une pétition sur internet et le ministre des jeux télé intervient.
  • Westeros est exsangue après 150 ans de guerre. Les Français débarquent et prennent possession de l’île. Ils partent alors à la recherche de quelqu’un qui pourrait enfin gagner Roland Garros. Mais ils ne trouvent pas.
  • Alors que la guerre fait rage, une blogueuse se fend d’un billet enflammé soulignant à quel point toute cette situation est sexiste. Les belligérants, émus, laissent alors gagner Daenerys. Mais une autre blogueuse se fend d’un billet enflammé soulignant à quel point cette situation est nanophobe.
  • Alors que la guerre fait rage et que le pays est exsangue, le fantôme de Jacques Martin apparaît et s’exclame “Voilà, tout le monde a gagné !”
  • À la fin, tout le monde danse la ronde de l’amitié et part à Dorne manger des glaces au piment. C’est à cette occasion qu’est composée la fameuse “Chanson de la glace et du feu”

Vine Bar

Wednesday, June 5th, 2013

Observons un peu ce qui se passe lors de l’émergence d’un nouveau média social :

Les premiers utilisateurs commencent à s’y intéresser. Ils développent leurs propres codes, en parlent un peu autour d’eux, sous l’oeil sarcastique de tous ceux qui pensent que de toutes façons, ça ne marchera jamais.

– Tiens, Ugror ! Tu as entendu parler de ce truc, la “sédentarisation” ? Tu en penses quoi ?
– Bah, ça ne durera qu’un temps ! C’est comme leur histoire de pierre polie, des modes, rien de bien sérieux.
– Je crois que je vais quand même essayer. Tu sais pas où je pourrais trouver une invitation ?

Ensuite, deux solutions. Soit ça ne prend pas. La plupart des early adopters partent, seule une petite poignée reste curieusement fidèle jusqu’à la mort.
– Alors, toujours dans tes histoires de “village” ?
– Ouais… ok, pour le moment, ça ne marche pas très bien, mais tu verras, c’est l’avenir.
– Oui, oui, je verrai. C’est vrai que vous avez fini par vous manger entre vous ?
– Non. Enfin, pas tous. Ok, on n’est plus que deux, mais franchement, c’est vraiment bien !

Soit ça prend et on voit alors arriver des nouveaux qui adoptent scrupuleusement les codes des premiers.
– Ca, c’est une boulangerie. On doit y aller le matin pour acheter du pain, parler de la météo en attendant son tour et faire une blague sexiste à la boulangère (elle a de belles miches).
– C’est obligé ?
– Ouais, on a toujours fait comme ça. Tiens, voilà le “Guide des usages en village”, écrit par Uggrur, un ancien, il est là depuis deux semaines. C’est très pratique.
– “Le gazon devra être tondu, sinon tout le monde te regarde de travers”… Je comprends rien. C’est quoi, du gazon ? Pourquoi on ne peut pas regarder de travers ?
– Parce que ça fait mal aux yeux, je crois. Non mais tu verras, c’est pas si compliqué que ça, à l’usage.

Au début, la communauté est encore réduite. Tout le monde se connaît. Il faut impérativement : un relou qui drague tout le monde, un relou qui drague tout le monde mais ça marche, un(e) comique se service, un(e) râleur(se) de service, et assez rapidement des soirées IRL fortement alcoolisées.

– Dis, Ugroohr a trouvé le moyen de faire fermenter du jus de raisin, il paraît que ça fait encore plus rigoler que le jus de pain rassis, on fait une soirée demain, tu viens ?
– Y aura Ugraura ?
– Ben ouais.
– Ah ouais, ouais, alors je sais pas si je peux, parce que je lui ai un peu brisé le coeur et tout…
– Non mais elle a pas l’air au courant ! Elle est avec Gurghruhr, là.
– Ah. Ouais, ouais, alors je sais pas si je peux.

La communauté continue de s’étoffer : quelques professionnels de la communication, des journalistes, des stars suivies d’une cohorte de fans… Quelqu’un fait un top 25 des comptes à suivre sur son blog puis, onze mois plus tard, quelqu’un fait un top 25 des comptes à suivre dans les Inrocks (il comprend douze célébrités et treize amis de l’auteur).
– C’est quoi ce truc débile dont tout le monde parle, là, “les 25 villageois avec qui aller boire un jus de pain rassis” ?
– Ah ouais, c’est débile, ce truc.
– Ouais mais tout le monde en parle.
– Non mais c’est pas important, de toutes façons, c’est Ugrorr qui a fait ça pour déconner. Sacré Ugrorr. T’es combien, toi ?
– On s’en fout.
– Moi je suis huitième.
– Je suis pas dedans.
– Ah. Bon mais de toutes façons, c’est pas important.
– On est 23 dans le village et je suis pas dedans.

La communauté grandit et se scinde en petites communautés.
– Bon alors là, c’est le quartier des chasseurs-cueilleurs, je les aime pas trop, ils sont un peu réac, là, c’est le quartier des potiers, des artistes enfin, tu vois le genre…
– Et toi, tu es où ?
– Bah, j’ai préféré m’installer dans une grotte, à l’ancienne, tu vois.

Deux adolescents utilisent le média social pour s’insulter. Des journaux relaient l’affaire. Un député fait une intervention.
– Hé ben, tu vois bien que c’est dangereux, ces “villages” ! Y a deux adolescents qui se sont battus à GruuuhrVille!
– Deux quoi ?
– Des adolescents… Des gens de 14-15 ans.
– Des vieillards.
– Non… Parce que bon, ils vivent plus vieux, dans les villages, parce qu’ils mangent plus, et leurs sorciers sont mieux formés… Du coup, ils ont été obligés d’inventer d’autres âges que “enfant” ou “vieillard”.
– Hé ben, quelle décadence !
– Ouais, la fin de la civilisation.

Une nouvelle version du média social apparaît. Les utilisateurs la détestent, ils menacent de partir si on ne remet pas l’ancienne. On ne remet pas l’ancienne. Ils restent.
– C’est quoi ce truc, là, des portes aux maisons ? Mais pour quoi faire ?
– Tu verras, c’est super pratique.
– Non mais à chaque fois, il faut les ouvrir, les fermer… C’est une terrible perte de temps, je peux pas accepter ça.

Un nouveau média social apparaît et éclipse l’ancien.
– Oh, tu sais pas, dans mon village, on vient d’ouvrir un bar !
– Un quoi ?
– C’est un genre d’endroit où tu peux aller acheter du jus de pain rassis et du jus de raisin fermenté.
– Mais à quoi ça sert ?
– Ah ben on boit un verre, on discute, on drague Ugraura…
– Mais on peut déjà faire tout ça !
– Ugru, le sculpteur, y est tous les soirs.
– Justement, on peut déjà faire tout ça et en plus l’éviter.
– Tu comprends rien au cool, mon pauvre.

L’ancien média social tombe peu à peu en désuétude. Yahoo ! le rachète.
– Alors, toujours dans tes histoires de “village en balsa” ?
– Ouais… je vois pas pourquoi je changerais, ça a toujours très bien marché.
– C’est vrai que vous avez fini par vous manger entre vous ?
– Non. Enfin, pas tous.

La nation reconnaissante

Sunday, June 2nd, 2013

Gunda, ma community manager imaginaire, aimerait que je parle plus souvent de musique de jeunes. Justement, le nouvel album de The National vient de sortir.

Mais bon, là, c’est une vieille chanson.

The National – Fake Empire

Le National – faux empire

Stay out super late tonight picking apples, making pies

Rester dehors super tard ce soir, cueillir des pommes, faire des tartes
Il s’agit donc d’une chanson qui explore un univers assez peu exploité dans le domaine musical, celui de la cuisine.

Put a little something in our lemonade and take it with us

Mettre un petit quelque chose dans notre limonade et l’emporter avec nous
Voilà. La mienne, je la préfère pas trop sucrée, merci.

We’re half awake

Nous sommes à moitié réveillés
Ah oui ben à force de rester dehors toute la nuit, aussi !

in a fake empire
We’re half awake in a fake empire

Dans un faux empire. Nous sommes à moitié réveillés dans un faux empire
Je pense qu’il s’agit ici d’une dénonciation assez virulente des émissions modernes de télé-réalité culinaire.

Tiptoe through our shiny city with our diamond slippers on

Sur la pointe des pieds à travers notre ville brillante avec nos chaussons en diamant
Oui parce que dans les émissions de cuisine, ils se contentent pas de laisser les gens préparer un soufflé. Non. Il faut qu’ils leur imposent des épreuves du genre “vous avez une heure pour enfiler un tutu, aller acheter une rascasse à l’autre bout de la ville, la vider et préparer un dessert avec, tout en répétant une chorégraphie.”

Do our gay ballet on ice,

Faire notre ballet homosexuel sur la glace
Ou alors, on leur a juste dit d’utiliser un casse-noisette et du sorbet, et ils ont tout compris de travers.

bluebirds on our shoulders

des oiseaux bleus sur nos épaules
Normalement, ils auraient dû s’en servir pour leur entrée, mais ils n’ont pas eu le courage.

We’re half awake in a fake empire
We’re half awake in a fake empire

Nous sommes à moitié éveillés dans un faux empire. Nous sommes à moitié éveillés dans un faux empire
Toutes ces épreuves, forcément, ça fatigue.

Turn the light out say goodnight, no thinking for a little while
Let’s not try to figure out everything at once
It’s hard to keep track of you falling through the sky

Eteindre la lumière et dire bonne nuit, ne plus penser pour un moment.
Essayer de ne pas tout comprendre à la fois
C’est difficile de garder trace de soi-même tombant du ciel

Ils se sont fait éliminer rapidement de l’émission et ils surréagissent un peu : je te rappelle qu’on parle quand même de gens qui pensaient devenir Top Chef avec une pauvre tarte aux pommes et deux boules de glace noisette et bouvreuil.

We’re half awake in a fake empire

We’re half awake in a fake empire

Nous sommes à moitié réveillés dans un faux empire. Nous sommes à moitié réveillés dans un faux empire.
C’est une très belle chanson porteuse d’espoir, puisqu’elle rappelle aux enfants qu’il faut avoir un peu de respect pour la télé-réalité. Mais Gunda, ma community manager imaginaire, me signale que ce n’est pas vraiment de la musique de jeunes non plus, au temps pour moi.