agapi dit :
t’imagines le calvaire d’un mec par exemple qui ressemble à Patrick Sébastien, qui a la même voix, mais qui le déteste ?
– Monsieur, monsieur…
– Oui, oui, je sais, je sais, le petit bonhomme en mousse qui s’élance et rate le plongeoir, je sais.
– Mais…
Qu’est-ce qui lui avait pris, aussi ? Il aurait dû se douter que maître-nageur, ce n’était pas un job pour lui…
Des années que Sébastien Brotanches était conscient de sa ressemblance physique avec l’animateur télé préféré de sa grand-mère. Il avait tout essayé, changer de coiffure, se laisser pousser la moustache, être drôle, et pourtant, quelqu’un finissait toujours par l’aborder et lui demander un autographe. Si au moins il avait pu être le sosie de quelqu’un d’autre, même de Jean-Pierre Darroussin, même de n’importe quel Jean-Pierre… Mais là, non, ce n’était plus possible. Il avait même entrepris des démarches pour changer de prénom, mais avait fui quand l’officier d’état civil s’était mis à lui demander d’imiter Bourvil.
– Brotanches, expliquez-moi pourquoi vous avez mis si longtemps à intervenir cette après-midi, quand on vous a signalé cette noyade ?
– Hum euh, c’est-à-dire… J’ai cru qu’on me prenait pour Patrick Sébastien…
– Quoi ? Vous rêvez, jeune homme, vous rêvez. Monsieur Sébastien, tiens c’est marrant c’est votre prénom, n’aurait jamais refusé de se mouiller pour sauver un innocent, c’est un homme bon, un homme…
– Non mais c’est parce que je lui ressemble.
– Ne faites pas de mauvais esprit. Vous êtes viré, allez faire tourner les serviettes ailleurs.
***
Sébastien Brotanches n’avait pas connu beaucoup de femmes dans sa vie. Chaque fois que l’une d’entre elles feignait de s’intéresser à lui, il s’imaginait qu’elle s’imaginait parler à Patrick Sébastien. Et ça lui faisait froid dans le dos. Alors quand il avait rencontré cette fille, née au Mexique, ne parlant que bouriate et swahili, qui vivait sans télé depuis 18 ans, il s’était emballé et n’avait même pas tiqué quand elle lui avait dit : “T’aime”. Ils avaient décidé de se marier très vite. Sébastien Brotanches, qui avait toujours imaginé finir sa vie seul à se lacérer le visage au cutter devant “le plus grand chapiteau du monde”, allait convoler. Il était heureux. Il aurait dû être heureux. Personne n’avait compris qu’une heure avant le grand moment, il fuie. “Tu comprends”, expliquerait-il des années plus tard à son ami imaginaire Tatayet, “j’ai eu peur qu’on me demande de chanter”.
***
– Monsieur, monsieur…
– Oui, quoi ?
– Excusez-moi, mais vous ne seriez pas…
– Non.
– Mais ne le prenez pas sur ce ton… Je vous ai pris pour…
– Je sais, oui, je sais.
– Ben… vous lui ressemblez drôlement, pourtant.
– Ah si tu pouvais fermer ta gueule !
– Non, non, vous n’êtes pas lui, jamais Sébastien Brotanches ne me parlerait sur ce ton.