« Les citations, c’est comme le sel dans la soupe de nos existences. » Marc Lévi-Strauss de Toulouse-Lautrec.
Bienvenue dans cet atelier de fausses citations.
Une citation, ça fait toujours prestigieux. Jadis, nous émaillions nos dissertations de quelque trait d’esprit trouvé en ouvrant le dictionnaire au hasard, parce que nous étions persuadés que le prof allait trouver ça hyper classe mais surtout, parce que ça faisait toujours trois lignes de gagnées. Aujourd’hui, nous nous en servons pour de plus nobles desseins, faire le cool sur Facebook et appuyer nos dires car, comme le disait souvent Voltaire, « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais comme un mec mort célèbre a dit la même chose que moi, c’est bien la preuve que j’ai raison. »
Une fausse citation, ou citation apocryphe , c’est plus ou moins la même chose, mais en mieux. Bien réalisée, elle vous permettra de surfer sur la vague du buzz. « Pour faire de la bonne purée, il faut de bonnes patates. » (Mark Twain) aura en effet, statistiquement, bien plus de chances d’être relayée que « Pour faire de la bonne purée, il faut de bonnes patates. » (Jean-Robert Tranchu). Bien entendu, la durée de vie de la supercherie sera inversement proportionnelle à son succès (voir figure b). Mais il faudra, pour vous démasquer, qu’un web-journaliste fournisse une enquête minutieuse : vous aurez ainsi l’impression d’avoir été un chaînon essentiel de l’évolution des médias modernes, un rouage, même, de la liberté d’expression. Puis, finalement, elle vous permettra de soigner votre ego meurtri depuis l’histoire avec le sac de couchage : quand même, cette histoire de Mark Twain, on y a cru, quand ceux qui se moquaient de vous en 5e b vont savoir que l’on vous a confondu avec le compositeur du générique de Tom Sawyer, ils feront moins les malins !
Il existe cinq sortes de fausses citations.
La fausse citation par glissade, qui intervient quand un mec moyennement prestigieux a dit un truc tellement bien qu’il ne peut être que de quelqu’un d’autre. « Quand j’entends le mot culture, je sors mon revolver », par exemple, était une phrase tellement rigolote qu’on a préféré faire croire aux gens qu’elle était de Göring plutôt que de Balladur von Chirac.
La fausse citation à titre posthume, utilisée quand un personnage illustre, dans un moment illustre, a dit un truc nul. Par exemple, Galilée n’a jamais dit « Et pourtant elle tourne. » Il a dit « Ouais, ouais, c’est ça, je me rétracte, et ta mère non plus, elle tourne pas », ce qui ne veut pas dire grand chose.
La fausse citation par simplification : quand quelqu’un dit un truc de 17 pages et que l’Histoire n’en retient que trois mots, parce que l’Histoire n’a plus si bonne mémoire, a son âge. « Longtemps, je » (Proust). Souvent, ces trois mots réussissent à dire sans la moindre nuance ce que les 17 pages ne sous-entendaient pas vraiment, ce qui est quand même bien mieux, pour une citation efficace.
La fausse citation par coquille. Marx, par exemple, n’a pas dit « La religion est l’opium du peuple », mais bien « la religion est l’opossum du peuple », parce qu’il la trouvait bizarre et velue. De même, Marie-Antoinette n’a pas dit « Ils n’ont plus de pain ? Qu’ils mangent de la brioche ! » mais « Je mets mes pains où je veux, et c’est souvent dans la gueule ». Une malencontreuse erreur du traducteur, peu roué aux subtilités autrichiennes, a peut-être changé le cours de l’histoire.
Et, enfin, celle qui nous intéresse ce soir, l’invention complète : « Aimer, c’est comme un cheval à bascules dans le désespoir de l’infini » (Lamartine).
Pour réaliser une bonne citation apocryphe il te faudra un auteur mort. Attention, il faut savoir doser le prestige (figure c) : trop connu, et il y aura immédiatement un petit malin pour te contredire, pas assez et c’est la catastrophe. En cas de doute, Alphonse Allais, Oscar Wilde ou Sacha Guitry font toujours l’affaire. Evite Lao Tseu, en revanche : ça commence à se voir. Renseigne-toi aussi un peu sur l’auteur mort, son époque, son contexte. Par exemple, évite « Si tu n’as pas une Rolex à 50 ans, mange de la brioche » (Descartes) : il était allergique au gluten.
Il te faudra ensuite un bon sujet, si possible en phase avec l’actualité, pour que ta fausse citation semble comme en résonance. Par exemple, certains éléments de l’actualité récente te semblent obscurs. Essaie avec un « Le doute, c’est tout ce qui nous reste quand on sait même pas si que ben Laden il est vraiment mort » (Sidney Beckett).
Puis il te faudra enfin une excuse : « On a mal interprété mes paroles », « Non mais ce que je voulais dire, c’est qu’il aurait très bien pu dire ça, un soir de grande solitude » ou, toujours efficace, « C’est pas de ma faute, les guillemets sont partis tout seul ».
« Et que la force soit avec toi ! » (Confucius)