Je vais t’avouer un truc, dans la vie, il y a des notions simples que je ne comprends pas. La bourse, la mode, le sentiment de fierté nationale. Des trucs que personne ne m’expliquera jamais tellement ils sont, apparemment, normaux.
Par exemple, en ce moment, tous les journalistes du monde ne parlent plus que de la crise, dans les quotidiens, les magazines, partout, bientôt ça va rejoindre même les magazines féminins (les 10 moyens de convaincre votre homme de vous acheter ces magnifiques bottines rouges en fourrure de casoar malgré la crise hihihihihihi) et masculins (Hans s’apprêtait à s’endormir sous un pont quand deux suédoises, qui avaient dû manger tous leur vêtements à cause de la crise, lui demandèrent si elle pouvaient partager son carton). Tous, sauf les journaux français. Parce que, vois-tu, des gens ont sifflé la Marseillaise (l’hymne national des français, pas une fille qui passe sa vie à jouer à la pétanque en buvant des apéros et en disant putain ou peuchère suivant la situation). Et que, pour une raison qui m’échappe, c’est tellement important que même des ministres réagissent.
Moi, donc, à la base, le principe de fierté nationale, ça me dépasse un peu. Je suis fier, par exemple, quand mes lacets restent attachés toute une journée: ça n’a l’air de rien mais, pour moi, c’est un énorme exploit. Par contre, être suisse, c’est un truc que je fais depuis tout petit et qui ne me demande pas plus d’efforts que ça. Je sais pas comment ça se passe, pour les autres: à 14 ans, ils s’enferment dans les toilettes du lycée et se montrent leurs cartes d’identité ? “Waaah t’es laotien ? Trop cool !” “Ohlala lui il est guatémaltèque, la honte!”
Cette suissitude forcée ne m’empêche pas outre mesure de trouver l’hymne national suisse un peu couillon. Bucolique, mais couillon. Si, si. Je l’ai jamais entendu chanté par Lââm, peut-être que ça changerait la donne, mais je ne crois pas. Et je t’avoue que je suis tout aussi gêné pour les gens qui applaudissent un carton rouge, ou une double faute en tennis, que pour les gens qui sifflent un hymne national.
Parce que ce truc de sentiment de fierté nationale, ça a l’air de vachement tourner autour de l’hymne. L’autre jour, j’étais au restaurant, pour l’anniversaire de ma grand-mère, quand soudain un membre de ma famille dont je préfère garder l’anonymat par peur des représailles a dit: “Non merci, pas de spätzlis, donnez-moi des nouilles”, bafouant sans vergogne un symbole national. Personne ne s’est indigné, personne n’en a parlé au JT, aucun membre du gouvernement n’a menacé de quitter le restaurant et de faire annuler le repas. Pareil quand je dis “Oh tu sais moi le ski”. Y a bien quelques réactions indignées, mais ça va, sans plus. Alors que chez nous aussi, quand notre hymne national est sifflé dans un match de foot, ça indigne plein de gens. Parce que si tu habites dans un pays, apparemment, tu dois l’aimer. Alors qu’aimer un pays, ça ne veut pas dire grand chose. Aimer la viande, oui, on peut, c’est même normal, mais aimer un pays, je vois pas comment.
A la limite, si je devenais français et que vraiment, on m’obligeait à être super fier d’un truc, ce serait probablement du fromage. C’est bon, le fromage. Mais l’hymne national ? C’est de la cruauté d’obliger tous ces gens, dont certains sont plutôt sympa, hein, à aimer ce truc. Déjà, il a été écrit par un poisson. J’aime bien les poissons, je dis pas, sympas, jamais un mot plus haut que l’autre, mais comme paroliers, ils valent pas un Furnon ou un Obispo. Parce que quand même, la Marseillaise, ça raconte l’histoire de gens qui s’énervent à cause d’une vache !
C’est une Marseillaise, elle a jamais vu de vaches de sa vie, dans les calanques y a que des dauphins, alors quand elle entend mugir dans ses campagnes, elle monte sur ses grands chevaux, même si y en a pas plus que de vaches chez elle, c’est pas ça qui va l’arrêter. Elle est persuadée que les vaches vont venir dans ses bras égorger ses fils et ses compagnes. Alors bon, je sais pas si tu t’y connais en vaches, mais si vraiment elle voulait égorger tes compagnes, la Marguerite avec ses grands yeux, elle viendrait pas te sauter dans les bras d’abord, elle est pas aussi bête. Mais bon la Marseillaise ne l’entend pas de cette oreille, elle se dit qu’elle va se venger avec son bras. Et elle voudrait qu’un sang impur abreuve ses sillons. On met des millions dans la lutte contre le dopage, et tout ça aux frais du contribuable, bien sûr !, et voilà que la première cagole venue veut égorger des vaches dopées à l’hormone de croissance juste parce qu’elle pense que ça va faire pousser l’anis plus vite, de qui se moque-t-on ?
Donc bon, si on pouvait m’expliquer…