Ceux qui me connaissent vous le diront : je suis tout sauf raciste.
Et pourtant, je ne peux pas m’empêcher de me méfier des chevaux.
Trop longtemps, l’attention s’est focalisée sur le cousin du cheval, le poney, et je meaculpe volontiers, ayant moi-même participé à cette campagne de dénigrement. On se méfie plus facilement du poney, en raison de sa taille : tout le monde sait que les petits sont fourbes. Mais le cheval, lui, qui a réussi, grâce à des complicités haut placées, à faire passer dans l’opinion publique cette idée saugrenue selon laquelle il serait la “plus belle conquête de l’homme”, inspire confiance. Mais le cheval n’est pas notre ami ! Essayez de le réveiller, en pleurs, à quatre heures du matin pour lui confier vos problèmes : il se contentera de vous hennir au nez. Carrément snob, il ne peut être rouge, vert ou bleu comme vous et moi : il faut qu’il soit alezan, pie voire isabelle.
Le cheval est malin et patient. Il a su, en se laissant grimper sur le dos par le premier venu, s’immiscer jusque dans les hautes sphères. Regardez autour de vous : les statues équestres sont partout, alors que les autres animaux sont généralement exclus de l’espace artistique urbain. Jamais on n’a entendu parler d’une personne victime d’un malencontreux coup de sabot de la part d’un canard col-vert. Rares sont les accidents dus à une chute d’ornithorynque. Voit-on des statues de col-vert ou d’ornithorynque ? Non. Jamais. Alors que les chevaux, eux, sont partout. Cela contribue à donner d’eux une image sympathique, et je ne serais pas étonné d’apprendre qu’ils jouissent de solides complicités au sein de milieux sculpturaux. Et ne dit-on pas “tenir les rênes du pouvoir” ? Preuve que même les mecs du dictionnaire sont complices, innocents ou non, de la volonté hégémonique de la gent équestre. De nombreuses autres expressions prouvent la main-mise du mouvement hippique dans notre vocabulaire quotidien : “avoir le mors aux dents”, “se remettre en selle”, “cheval dire à ta mère”, “une haridelle ne fait pas le printemps”, “bourrin peu ça va passer”.
De même, et on ne m’ôtera pas de l’idée que c’est profondément injuste, le cheval est le seul animal autorisé à participer aux Jeux Olympiques. Alors que le pigeon, oiseau à la grise robe, est contraint de rester d’argile durant les joutes, le cheval, lui, galope à sa guise sous les feux des projecteurs. Une manigance de plus pour tirer la couverture à lui.
Autrefois, bien entendu, le cheval contribuait à la bonne marche de la société en la trimballant sur son dos ou en participant aux travaux des champs. Aujourd’hui devenu oisif, il a tout loisir de fomenter. Or, de type herbivore comme ses congénères bovins, il vit en permanence dans son manger. Un exemple lamentable pour notre jeunesse, et un facteur évident de troubles moraux. La vache, au moins, se fait pardonner en contribuant à l’effort fromager national. Mais le cheval, lui, est au-dessus de ce type de préoccupations.
Enfin, last but not least, comme disent les anglo-saxons : Comme le regretté Charly Oleg, le cheval vit dans des manèges. Or, qui fréquente les manèges ? Les enfants. De là à soupçonner l’équidé de tenter de pervertir notre jeunesse, il n’y a qu’un pas.
Oui, oh, riez. Mais quand ils auront fermé toutes les boucheries chevalines pour les remplacer par des foineries, vous ne viendrez pas dire que vous ne saviez pas.