Quand j’ai commencé à analyser les plus beaux textes de la chanson française, car oui, les paroliers sont les poètes modernes, ils magnifient la langue comme la bolognaise magnifie les pâtes, un refrain s’est mis à me hanter comme une évidence.
Puis je découvris que Guy Carlier s’en était déjà emparé avant moi, et c’est la mort dans l’âme que je me résolus à renoncer à faire des tartines de la substantifique moelle de ce chef d’oeuvre.
Puis vint un jour où je me dis “Bah, de toutes façons, ça se verra pas, plus personne ne sait qui c’est, Guy Carlier.”
Elle a les yeux revolver – Marc Lavoine.
Si, par un merveilleux hasard, tu ne te souviens plus de cette chanson, c’est là. Le meilleur moment est entre 2:12 et 2:24.
Un peu spéciale, elle est célibataire
Ça a l’air un peu spécial, comme entrée en matière, mais il faut se replacer dans le contexte. Dans les années 80, non seulement il était légal de faire n’importe quoi avec ses cheveux et son Bontempi, parfois même en même temps, mais en plus, les filles étaient obligées de se marier à 13 ans et les femmes célibataires étaient très spéciales.
Ou alors, à la limite, il veut juste dire “t’as vu la meuf, elle est trop spéciale, ça m’étonne pas qu’elle soit célib, lol”, mais ce serait pas très sympa.
Le visage pâle, les cheveux en arrière
Et j’aime ça
Car tous les goûts sont dans la nature, il aurait pu préférer aux visages pâles les iroquois et aux cheveux en arrière les iroquois, c’est comme ça. Mais là ça tombe bien, il aime les filles pâlottes à chignon.
Elle se dessine sous des jupes fendues
Elle est étudiante aux Beaux Arts et nulle en auto-portraits. Alors en cours d’auto-portrait elle triche un peu, elle dessine des jupes et elle dit au prof “Voilà, ton dessin, il est sous cette jupe, je l’ai fendue pour qu’elle puisse respirer”.
Et je devine des histoires défendues
C’est comme ça
Ben oui, c’est interdit, si on dit de faire des auto-portraits, faut faire des auto-portraits, sinon c’est n’importe quoi.
Tell’ment si belle quand elle sort
Tell’ment si belle, je l’aime tell’ment si fort
Cette chanson a provoqué le suicide de milliers de professeurs de français.
[refrain]
Elle a les yeux revolver,
d’un beau gris métallisé
elle a le regard qui tue
Elle a tiré la première,
Cette chanson a provoqué le ricanement de milliers d’adolescents.
m’a touché, c’est foutu
Elle a les yeux revolver, elle a le regard qui tue
Elle a tiré la première, elle m’a touché, c’est foutu
Mais ne vous inquiétez pas, Marc Lavoine n’est pas vraiment mort, tout ça n’est qu’une métaphore pour dire qu’elle l’a foudroyé du regard.
Un peu larguée,
Elle vient de se faire larguer, un mec un peu lâche, elle a essayé de lui tirer dessus avec ses yeux, il a fui.
un peu seule sur la terre
Pour les mêmes raisons, elle a pas des masses d’amis non plus.
Les mains tendues, les cheveux en arrière
Du coup, pour s’occuper et se sentir utile, comme elle a déjà le chignon, elle s’inscrit au Secours Catholique, pour tendre la main aux gens dans le besoin.
Et j’aime ça
Marc Lavoine aime ça (il paraît que les concepteurs de facebook adorent cette chanson)
A faire l’amour sur des malentendus
Genre tu lui demandes l’heure, elle comprend un peu de travers, elle est étrangère ou sourde, je sais pas, elle t’emmène chez elle, et vous vous livrez à une exploration frénétique mais enrichissante du kama sutra ? (ou même pas chez elle, d’ailleurs, il paraît qu’une fois, dans le parking des anges…)(enfin, c’est une autre histoire)
Ça arrive, ça ?
On vit toujours des moments défendus
Défendus, défendus, c’est vite dit, moi si une fille m’emmène sous sa jupe fendue, même sur un malentendu, les chances pour que je me défende sont assez minces.
C’est comme ça
Et j’aime ça.
Tell’ment si femme quand elle mord
Tell’ment si femme, je l’aime tell’ment si fort
Voilà. C’est exactement là que je voulais en venir. Si un jour j’écris une anthologie de la chanson française, elle s’appellera “Tell’ment si femme quand elle mord”. C’est la plus belle phrase jamais écrite. Obispo, avec “le temps c’est de l’amour”, Fugain, avec “ça vit de chasse et de pêche un oiseau”, Pagny avec “vous n’aurez pas ma liberté de penser”, Bruel avec “tu verras tout c’qu’on peut faire si on est deux”, tous des amateurs. Même “aimer, c’est toucher les ailes des oiseaux”, c’est pas aussi beau.
Non mais prenez-en de la graine, un peu.
Tell’ment si femme quand elle mord.
Voilà, ça y est, je pleure.
[Refrain]
Ça va un peu mieux.
Son corps s’achève sous des draps inconnus
Elle a des draps très spéciaux achetés dans un magasin de draps pas très réputé. C’est comme ça.
Et moi je rêve de gestes défendus
C’est comme ça
Pendant ce temps-là, Marc Lavoine (qui ne précise malheureusement pas la nature de ses propres draps) rêve de gestes interdits, genre un service dans le filet, une tackle sournois voire carrément une passe en avant au rugby (la chanson ne le dit pas).
Un peu spéciale, elle est célibataire
Le visage pâle, les cheveux en arrière
Et j’aime ça
Non mais c’est vrai, c’est pas si spécial que ça d’être célibataire, on l’a tous été un jour ou l’autre dans sa vie (si un lecteur de ce blog a rencontré sa moitié avant sa naissance, toutes mes excuses). Bon après certains le redeviennent plus souvent que les autres, mais c’est pas la question, c’est beaucoup moins spécial que danser la polka en tutu rose, être capable de se lécher les coudes, avoir un lémurien domestique, être fan de Marc Lavoine ou de Grenoble…
Un peu spéciale, elle a un lémurien, le visage pâle, les cheveux en arrière (un maki) et j’aime ça (le lémurien, pas le sushi),
ça aurait eu plus de classe, comme chanson.
Bref, revenons-en à notre tellement si bien chanson.
Tell’ment si femme quand elle dort
Tell’ment si belle, je l’aime tell’ment si fort
C’est comment, tellement si femme quand elle dort ? Une démarche féminine, je vois, une logique féminine, je vois (mais si je vois)(me faites pas dire ce que je dis pas)(je vois, je comprends pas toujours, mais je vois), mais une façon de dormir féminine ? (non mais je suis un gros dormeur, c’est pour ça que je sais pas)(pas plus que je ne sais comment terminer ce post)
[Refrain]
Allez, tous en choeur.