L’inspecteur Polder ne put réfréner un mouvement de dégoût. On ne s’habitue jamais vraiment à la barbarie et cette scène de crime était particulièrement choquante. Peut-être parce que le carnage contrastait violemment avec la quiétude des lieux. Aménagés selon les préceptes du feng-shui, avait reconnu Polder, dont l’ex-femme Hildegarde était adepte de la plupart des philosophies orientales à la mode. Tout, dans cette bâtisse, n’était que quiétude, mais souvent quiétude n’est qu’apparente, se dit l’inspecteur, car l’essentiel est invisible, contrairement aux chamois, que l’on peut observer à force de patience quand fondent les neiges.
– Excusez-moi d’interrompre vos pensées, s’exclama alors son impétueux assistant, Henri Petit, interrompant ainsi le cours des pensées de l’inspecteur, car il était, en matière de zen, novice.
– Ouais ben t’as intérêt à ce que ce soit important, parce que je pensais des trucs super.
– J’ai découvert des indices, mèche de cheveux sur le tapis de la salle de bains, traces de lutte, empreintes digitales diverses ainsi que cette machine à coudre plantée entre les omoplates de la victime.
– Des indices ?, vitupéra l’inspecteur. Tu te crois dans un mauvais roman policier ? Les crimes, c’est toujours des histoires d’ex-mari jaloux ou de dettes impayées, de toutes façons, on va pas commencer à ramasser toutes les cochonneries qui trainent par terre.
– Mais j’envoie quand même le sang au labo ?, rétorqua l’impertinent Henri Petit.
– Si tu crois qu’on a les moyens de se payer un labo. Mon pauvre.
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Après dix ans passés au sein de l’institut de beauté, relaxation, détente, bien-être et photos de chatons “La Joie du Bonheur”, Pélagie s’apprêtait à remettre sa démission. Après dix ans passés à gommer et à masser, à donner des conseils de beauté, elle aspirait à changer de vie. Complètement. Elle allait travailler un peu dans la boucherie aussi chevaline que paternelle et reprendre des études de criminologie trop tôt abandonnées, à la naissance de son aîné Jean-Hans. Elle s’expliquait de ce choix à ses collègues, essuyait une larme. De crocodile.
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– Pardon, inspecteur, mais… Un fidèle assistant, vous ne trouvez pas que ça fait un peu cliché ?, interrogea Henri.
– Plaît-il ?
– Admettez la vérité en face, chef : nous sommes dans un mauvais roman policier ! Nous avons donc tout loisir de récolter des indices !
– Il faut dire admettez la vérité ou regardez la vérité en face, sinon c’est idiot, contesta l’inspecteur.
– Vous voyez ! Nous sommes mal traduits ! Si ça, ce n’est pas une preuve !
– Tu me fatigues…
– De plus, je me suis renseigné sur vous sur Google® et j’y ai trouvé plein d’interviews de vous…
– Et alors ?, s’emporta Polder.
– Et alors, ça prouve que nous sommes dans un roman. Dans la vraie vie, jamais personne n’interviewe un inspecteur de police.
– C’était en tant que président du club “Des chiffres et des lettres” de Melun. Les jeunes d’aujourd’hui ne savent plus googliser correctement…
– Tout de même, chef, j’ai pris soin de me renseigner et il y a eu dix-sept meurtres similaires ces dernières semaines. Je crois que nous avons affaire à un serial killer.
– Bah oui mais c’est dans d’autres cantons, on ne peut rien faire. Alors laissons la police faire son travail.
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La sonnette de l’entrée retentit dans le silence azuréen d’un matin glacial. Sri Jean-Claude sursauta. C’était si rare qu’on le dérange en pleine journée. En soirée aussi, d’ailleurs, maintenant qu’il y pensait. Il avait d’ailleurs mis un temps à comprendre que c’était bien sa porte d’entrée qui tintinnabulait ainsi, tant il l’avait rarement entendue. “Encore un de ces colporteurs de mes deux”, pensa-t-il par-devers lui, tout en se reprochant sa vulgarité.
Ce n’était pas un colporteur. Ni un témoin de Jehovah. Ni des vendeurs de tombola pour la fête de l’école, il faut deviner le poids d’un cochon et vous pourrez le gagner, oui je sais, c’est la septième fête de l’école cette année, mais on est très festifs, c’est pour ça. Ni aucun de ces joyeux troubadours qui aiment à émailler le quotidien des gens qui glandent à la maison.
Sri Jean-Claude avait rendez-vous avec son destin.
– Bonjour, lui dit avec un certain sens de l’à propos une jeune fille accorte, bien que le cheveu en bataille et le front en fontaine, car la température s’était nettement réchauffée en trois paragraphes. Vous êtes bien le compositeur de “Musique relaxante pour la relaxation volume 3” ?
– Oui… En effet… Une fan ?
– Pas à proprement parler, répondit le jeune inconnue d’un ton où l’on sentait poindre l’agacement.
– On vous a mise en attente un peu trop longtemps et vous m’en tenez désormais rigueur ? Vous avez été coincée dans un ascenseur et vous êtes un peu trop relaxée ?
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Tiens, encore ces soucis de traduction, nota Henri Petit.
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– Pas exactement. Ou disons que je suis restée coincée dans un ascenseur trop longtemps. Dix ans.
– Pardon ?
– J’en peux plus de ta musique relaxante. J’en peux plus. Dix ans à me taper dix heures par jour de calme et de sérénité. Le soir, quand les copains sortaient boire une bière pour se détendre après le boulot, je sortais m’énerver après le boulot.
– Ça a l’air d’avoir bien marché, vous êtes tout ébouriffée. A mon avis, votre Kapha est un peu déséquilibré. Vous voulez une graine de citrouille ?
– Non mais change pas de sujet, là, ça me coupe tout mon effet.
– Oui pardon. Donc là vous alliez m’expliquer que vous étiez une vengeresse sur le point de débarrasser la Terre de tous les créateurs de musique planante, c’est ça ?
– Voilà, mais ça gâche pas un peu le suspense, dit comme ça.
– Non mais c’est important que le lecteur comprenne, sinon après il comprend pas.