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Le coup du lapin sauvage

Monday, July 17th, 2006

Soudain, la nuit tomba. Seul et désemparé, Esteban errait au hasard des rues humides et goudronnées comme le lama erre dans la lande andine quand il croit qu’on va lui jeter des pastèques.
Ses retrouvailles avec Zia l’avaient chamboulé bien plus qu’il ne l’aurait cru. Pourtant, à l’époque, elle avait le don de l’agacer, avec sa voix haut perchée et sa constante perfection. Zia était parfaite. Elle ne jurait pas, ne rotait pas, n’était jamais injuste, ne fumait pas, ne traversait jamais la route en dehors des clous, ne mangeait pas avec ses doigts, ne pratiquait ni le sado-masochisme ni le cor des Alpes. C’est même pour ça qu’un matin, sous un futile prétexte, il avait fui sans se retourner, comme le couguar fuit souvent dans les Abruzzes quand il pense qu’on va lui faire écouter le dernier tube d’Hélène Segara. “Paraît qu’ils auraient retrouvé les cités d’Or”, lui avait-il dit, “je vais aller jeter un oeil”. “Très bien”, avait répondu la frêle jeune fille au regard sibyllin, “n’oublie pas ta crème solaire et préviens-moi si tu rentres tard, j’ai invité les Gomez, je leur préparerai du rôti à la vinaigrette.”
Vingt-trois longues années et une moyennement courte s’étaient écoulées depuis ce soir funeste. Esteban n’était plus le jeune godelureau insouciant de jadis et, souvent, lorsqu’il repensait aux jours heureux d’autrefois, il se prenait à regretter sa décision, surtout que ça faisait dix-huit ans, depuis son accident de pont et ses terribles conséquences, qu’il n’avait, comme il le disait parfois avec l’insidieuse nonchalance qui le caractérisait et en espagnol, plus niqué.
Las, elle avait probablement refait sa vie, peut-être bien avec Tao, qui lui avait toujours tourné autour, sauf une fois.

Ou alors avec Patou, son condor.

Le jour où il l’avait croisée, au hasard d’une rue, elle portait, il s’en souvenait très bien, une robe orange, un bandeau, un collier moche et des genoux. A sa vue, il s’était senti défaillir. Il n’avait pas songé, quand il avait pris la décision de revenir à Barcelone pour un symposium sur la dendrochronologie artistique appliquée à l’élevage du chinchilla en milieu urbain, qu’une rencontre lui ferait un tel effet. A vrai dire, il n’y avait pas vraiment songé, les chances de tomber subrepticement sur elle au hasard d’une rue étant, disons, à peu près égales à celles de Raymond Domenech de devenir un jour entraîneur de l’équipe de France de football sur gazon.

Esteban était perplexe. Foutrebleu, se disait-il, et si je lui disais que je m’étais perdu en allant lui chercher des croissants, y a une chance que ça marche?