Il était une fois, jadis, dans un lointain royaume, une princesse dont le père s’inquiétait : elle avait déjà 14 ans et demi et n’était toujours pas mariée. Pour remédier à ce scandaleux état de fait, il décida d’agir selon la coutume : il avisa un dragon de ses amis, l’enjoignit d’enlever la donzelle, si possible sans trop faire de marques, histoire que les preux chevaliers puissent rivaliser d’audace pour sauver la damoiselle en détresse et ainsi gagner le droit de lui demander sa main, si tant est que le stupide sauropode ne l’ait point encore boulottée.
– Hé ouais mais moi je me fais buter à la fin ?, demanda le dragon.
– Ah ben c’est le risque. Mais on a toujours fait comme ça, dans la famille.
– Mais j’y gagne quoi, en échange ?
– Ah mais marre de cette génération qui ne pense qu’en termes de gains. Être le vecteur d’une belle histoire d’amour, ça ne te suffit pas, comme récompense ?
– Non.
– Ouais, je comprends. Ca se tient. Bon ben je vais me démerder autrement.
– Ok. Cool. T’as regardé le match, hier soir ?
– Non.
Il se mit alors en quête d’une nouvelle quête à proposer aux prétendants. Mais ce n’était pas facile, car les royaumes voisins avaient fait très fort, récemment, au point de vue princesse éplorée, il y avait eu cette sombre histoire de rapt par sept nains lubriques et trois ours machiavéliques, le coup de la petite sieste de cent ans, spectaculaire, malgré quelques effets secondaires inattendus (en cent ans, on avait eu le temps d’inventer le désherbant et c’était le jardinier du château qui avait preumsé, il avait subtilement fallu lui expliquer les protocoles royaux à coup de massue). Désespéré, il demanda alors conseil à son épouse.
– Ben, je sais pas, demande à ta fille ce qu’elle en pense.
– Ahaha excellent. Non mais arrête de déconner, je pose une vraie question, là.
– Ah je sais ! On pourrait lui faire porter une chaussure !
– C’est un peu nul, non ?
– Mais ce serait une chaussure de verre !
– De verre ou de vair ?
– De verre.
– Nul.
– De vair alors.
– Nul.
– Bon ben démerde toi, je sais pas, moi j’ai mes amants à aller voir.
– Mais on les avait pas tous fait ébouillanter ?
– Oui, et ?
Désespéré, le roi demanda conseil à son fidèle conseiller.
– Vous avez pensé aux mariages arrangés ?
– C’est avec des épices et de la vanille ?
– Non, ça, c’est le rhum arrangé. Le mariage arrangé c’est, par exemple, on se dit ce serait super pratique de marier la petite avec le comte de Suède, comme ça on peut récupérer Zlatan pour la prochaine coupe du monde.
– Zlatan ?
– Un Suédois connu.
– Il va épouser ma fille ?
– Non.
– Rien compris. Je crois que je vais devoir changer de conseiller.
– Vous allez me jeter au dragon ?
– C’est la tradition.
– Vous ajouterez des épices et de la vanille ?
Désespéré, le roi demanda conseil au prince qu’on sort pour les grandes occasions, mais pas trop souvent sinon il s’enrhume.
– Dis, ta frangine, là.
– J’ai ça, moi ?
– Oui. Tu sais. C’est une fille, elle vit au château.
– Ah oui, ça me dit quelque chose.
– Elle est en âge de se marier.
– Ah, oui, je vois où tu veux en venir. J’accepte.
– Mais non. Pas du tout. Je voulais savoir comment lui trouver un prétendant digne de ce nom.
– Ah ouais, je vois le genre, mythique.
– Oui, voilà, je comptais mettre sur pied une quête mythique.
– Non, Mythique, le site de rencontres pour le gotha et le gratin.
– Ah, tu crois que ça pourrait marcher ?
– Non, c’est complètement old, même les cas désespérés n’y vont plus.
– Ça alors.
– Bon, alors, elle est où cette fille que je dois épouser ?
– Mais non. Pas du tout.
Alors qu’il était à ça de sombrer dans le désespoir le plus sombre, le roi croisa un marabout qui distribuait des papillons devant la station de chevaux. Ils promettaient chance au jeu, désenvoûtement, retour de l’être aimé, récoltes abondantes et potage avant de s’envoler dans un châtoiement d’ailes.
– Bon, au point où j’en suis…
– Oui, c’est ce qu’ils disent tous. Alors, que puis-je faire pour vous, mon brave ?
– J’ai une fille à marier.
– Ah, je vois ce que c’est. Très bien, j’accepte.
– Ah mais non, pas du tout. Je voudrais lui trouver un mari, mais pas un… enfin pas comme vous, vous voyez ?
– Vous dites ça parce que je suis Suisse allemand ?
– Non, parce que vous êtes marabout.
– L’animal ou la profession ?
– La profession. Ma fille est princesse, elle doit épouser un prince, c’est la tradition, sinon que vont penser les voisins ?
– Vous voudriez donc trouver un prince ?
– Oui mais en cette saison…
– Ecoutez, laissez moi seul avec elle une heure, et je la désenvoûte selon une vieille recette que l’on ne se transmet que de marabout en marabout.
– Ce serait pas une métaphore sexuelle ?
– Vous dites ça parce que je suis Suisse allemand ?
– Bon, laissez-moi votre prospectus, je vous rappellerai.
Le roi, qui ne savait plus quoi faire, décida, en dernière extrêmité, de demander son avis à sa fille la princesse.
– Tu vois, ta mère et moi, on s’inquiète pour toi…
– Trop relou.
– Moi je comprends que tu ne sois pas pressée, à ton âge, je pensais bien plus à guerroyer contre les Suisses allemands qu’à me marier, lol, mais que vont dire les voisins ?
– Je sais pas, on a des voisins ?
– Non mais enfin, c’est le principe.
– Bon, où sont ces Suisses allemands que je dois guerroyer ?
– Ah non, il y a là une méprise. Tu dois juste te marier.
– Ah ? Mais avec qui je veux ?
– Ah ben non, on n’est pas chez les sauvages ici !
– Parce qu’il y a un nouveau ménestrel, il est trop beau… Et il chante trop bien…
– Oh, la beauté, la chanson, ça ne dure qu’un temps.
– Bon mais je dois faire quoi ?
– Idéalement, te faire enlever, comme ça celui qui te sauve…
– C’est pas un peu old, ça ?
– Ce sont dans les vieilles marmites qu’on fait les meilleures soupes.
– J’aime pas la soupe.
– C’est une métaphore.
– En plus, les vieilles marmites, ça attache à mort.
Mais la princesse était raisonnable. Elle orchestra son rapt de manière à être séquestrée dans une pièce où il y aurait la télé et une playstation, faut pas déconner. Puis elle s’arrangea pour que ceux qui de quatre coins du royaume viendraient la sauver doivent répondre à des énigmes trop dures, histoires de pas tomber sur un prince trop con, puis doivent affronter à mains nues une licorne, parce que ça fait toujours prestigieux.
Seize ans plus tard, Akim, le fils du forgeron, arriva en tête avec plusieurs longueurs d’avance sur son premier poursuivant, le prince du Luxembourg et de la Chaux-de-Fonds, qui avait été ralenti sur crevaison.
– Ça y est, j’ai gagné, j’ai gagné, j’ai gagné, j’ai gagné !, dit-il, car il avait gagné.
Au loin, des hordes de forgerons montèrent sur leurs grands chevaux et se mirent à klaxonner dans leurs cornes de brume pour célébrer la victoire.
– Oui, tu as gagné, répondit la princesse, car il avait gagné. En son fort, elle était bien heureuse car cette splendide victoire, qui ne souffre d’aucune discussion tant il est vrai qu’Akim avait dominé cette compétition de la tête et des épaules même si un sauvetage de princesse n’est jamais gagné avant le coup de dragon final, allait bien ennuyer le roi son père. Malgré ses trente ans, en effet, elle adolesçait toujours, mais bon, va rester enfermée dans une tour sans que ça ait de conséquences, aussi.
– Cool. Alors maintenant, je deviens une princesse ?
– Quoi ? Non. Tu montes sur le podium, je te fais un bisou sur la joue et après on se marie et je prends des amants, selon la tradition.
– Oh mais j’ai rien compris, lol.
– Tu voulais devenir une princesse ?
– Ben oui, sinon j’aurais pas coupé la tête d’un dragon innocent.
– Bon ben du coup c’est moi qui te sauve ?
– Ouais, ok.
– Mais du coup, il faudrait que tu sois en danger.
– D’accord, je vais aller poster une photo du dragon sur un forum vegan.
Mais pendant ce temps, la royauté avait été abolie. La princesse, qui, malgré tout, s’était habituée à être traitée comme une princesse, tomba en dépression. Akim, le fils du forgeron, qui était enfin devenu une princesse, tomba en dépression. Le roi, à qui on avait coupé la tête avant de la planter sur une pique, tomba en dépression. Le marabout, qui avait gagné gros au jeu, tomba en cheval.
Après divers traitements psychologiques, plusieurs chutes dans la drogue, un mariage avec un poissonnier, un disque de rock’n’roll et un record du monde de cracher de noyaux de cerises, la princesse qui n’était plus une princesse mais quand même un peu parce qu’il faut bien remplir les pages des magazines décida de tout plaquer pour aller vivre dans une communauté dans le Vercors, elle vécut heureuse et eut beaucoup d’enfants, sans jamais toutefois savoir s’ils étaient vraiment d’elle. C’est ballot.