– Alors, il paraît que tu as un blog ? »
– C’est vrai, il est bleu. »
– Et ça parle de quoi ? »
Cette question me fit blêmir comme la rosée du matin.
– Euh, bah… des fois, y a des blagues sur les poneys et puis sinon… il est bleu. »
Gunda, ma community manager imaginaire, me convoqua immédiatement dans son bureau, une pièce exiguë et sombre décorée avec goût et des objets en inox.
– Putain, merde », me dit-elle dans son français des quartiers (car elle était originaire de la Vignettaz, qui est un quartier), « il faut que tu trouves un fil rouge à ton blog sinon, on court tout droit à la débandade. »
Je tentai vaguement de glisser une blague sur le fait que c’était en avril qu’il fallait découvrir son fil rouge, et puis que je préférais quand même le bleu, mais seule une pointe de consternation vint faire soubresauter l’impassibilité scandinave de son visage elliptique.
– Tu as déjà pensé au sexe ? »
– Ecoute, Gunda, tu es imaginaire, je préfère qu’on reste amis. »
– Tu as déjà pensé au sexe ? », derechefa-t-elle.
– Ben… j’ai été nerd dans les années 90 alors… »
– Non mais sur ton blog ! »
– Non mais arrête de dire n’importe quoi, Gunda. Je veux dire, ok, c’est un sujet intéressant, mais de là à en parler sur un blog ? Pour y dire quoi ? Premier billet : ” le sexe, c’est super. Et vous ? ” Deuxième billet : ” Si je me mets comme ça (voir figure b) et que je mets mon doigt là et mon pied là, ça reste super. Et vous ? “. Non, à mon avis, un blog qui ne parle que de sexe, ça ne se fera jamais ! »
Je vis une veine tressauter dans son visage lusophone.
– Bon alors un sujet pas super à faire mais dont on peut parler pendant des heures… l’équipe suisse de foot, la politique ? »
– Mouais… »
– T’es chiant, un peu. Les tutos maquillage, ça plaît toujours mais je sais pas pourquoi, je te vois pas bien là dedans… »
– Hmpf !»
– C’est pas une raison. Bon, la cuisine, tu aimes la cuisine ? »
– J’adore. Tu reprendras un peu de pâtes au Gruyère ? »
– Bon en même temps, le marché est un peu saturé. Tu aimes les bébés animaux ? »
– J’adore, mais l’humour de leurs amis est un peu trop glacé et sophistiqué pour que je m’y risque… »
– Et tu as déjà pensé à raconter ta vie sur un ton décalé et désabusé ? Ça marche bien, ça ! »
– Ouais, j’y ai pensé. »
– Et alors ? »
– Bah vendredi dernier, j’ai été à la poste. Et ce matin, j’ai acheté du pain. »
– Ouais, ok, je vois. Trouvons autre chose. ».
– Non mais attends, on peut essayer », insisté-je. « Tu me connais, j’adore le pain. Alors ce matin, j’étais à la boulangerie et j’ai dit, bonjour, donnez-moi une belle baguette… »
– Et un blog sur les chaussures à velcro, tu y as pensé ? »
La discussion se poursuivit pendant de longues heures, au cours desquelles nous évoquâmes moult sujets porteurs, le macramé, l’herpétologie, l’influence de la politique sur la cuisine, les tutos couture, les dindons, les tests comparatifs d’enclumes, les endives, Nicola Sirkis, l’histoire suisse, le pâté, les nouvelles technologies, les anciennes technologies, la danse, la météo, l’astrologie, les mots croisés…
– Bon, y en a marre », souffla l’impétueuse Gunda, « je démissionne. »
– Attends, et si le fil rouge c’était : les billets sans chute ? »
– Ah, oui, ça c’est pas mal ! »
– Hé, au fait, tu as remarqué qu’on était le 11/10 et qu’il était 14 heures 12 ? »
– C’est fou ! Le monde est petit ! »