Hors-jeu

June 11th, 2010

« Va t’échauffer, tu entres dans cinq minutes. »

Il avait attendu ces mots longtemps. Faire une entrée fracassante, marquer le but décisif, devenir le héros du club, celui que les gamins dans les préaux rêvent d’imiter… ou, au moins, retrouver un peu de plaisir. A force d’user les bancs, à force de gamberger, à force de s’entraîner pour rien, il avait complètement oublié qu’un jour, il avait été comme ces gamins, le football avait été un jeu.
Bien sûr, il ne pouvait pas se plaindre. Il était payé, et bien payé, pour quelques minutes de jeu par année. La saison précédente, il avait été chômeur quelques mois. Il avait dû, comme les autres, s’inscrire, pointer, suivre les formations et les entretiens avec son conseiller, fournir des preuves de recherche d’emploi. Il avait eu un peu honte de s’asseoir là, au fond de la salle, au milieu de ces gens licenciés d’un travail bien plus pénible.

Il y avait encore, chez ses parents, des articles punaisés aux murs. Le papier commençait déjà à jaunir. Ils parlaient du petit prodige, du grand espoir, du nouveau Machin et du futur Truc – pour une raison connue d’eux seuls, les journalistes sportifs adorent coller des successions improbables aux jeunes joueurs. Puis il était parti. 17 ans à peine, premier contrat à l’étranger, en Espagne. Lui qui deux ans auparavant était encore la vedette du club de son village, marquait trois buts par match à des gardiens bien plus grands et plus âgés que lui, découvrait la concurrence féroce, les entraînements qui ressemblait plus à des guérillas. Tous ces jeunes étaient des futurs Machin dans leur patelin, et tous rêvaient de la même carrière. Il s’était blessé deux mois après son retentissant transfert. Immobilisé par un plâtre, dans un coin de pays dont il n’arrivait pas à assimiler la langue, différente de celle qu’il avait apprise en accéléré dès les premiers contacts avec son nouveau club, loin de sa famille, de ses amis, il avait commencé à trouver sa vie moins rose.
Et il ne s’était jamais fait de place au soleil. Quelques apparitions en équipe réserve, un prêt dans un club qui se battait contre la relégation – il avait assisté du banc au but qui avait définitivement fait couler sa formation provisoire, puis un autre deux divisions plus bas, où il avait fait quelques apparitions avant de se reblesser, bêtement. D’hôpitaux en banc de touche, il avait plus ou moins décidé de tout arrêter, de reprendre des études, de trouver un « vrai » métier, quand son agent l’appela. Retour au pays. Il avait refusé plusieurs fois cette éventualité mais tant pis. Il n’était pas rentré en héros, à part dans sa famille. Le transfert, dans un petit club de milieu de classement de deuxième division, n’avait pas occupé plus d’une ligne dans les journaux, même régionaux. Et il avait repris sa place sur le banc, au milieu de joueurs bien plus jeunes que lui. Alors maintenant qu’il avait sa chance, il allait la saisir. A pleines mains.

***

– Oh, ton équipe vient de prendre un but, là ?
– Mmpf
– Et c’est le joueur que tu viens de faire entrer qui vient de se faire expulser ?
– Mmpf
– Du coup, c’est pas très bien coaché…
– Oui, bon, je sais, mais il me faisait de la peine.
– De la peine ?
– Ben oui, il joue jamais, il déprime, il a le droit à sa chance, quoi.
– Huhu. Tu parles aux joueurs de tes jeux vidéos ? Tu leur inventes aussi des vies et tout ?
– Oui bon ça va. C’est pas ma faute si j’ai de l’imagination…
– C’est pas de l’imagination, là, c’est plus psychiatrique… Tu fais pareil quand tu joues à Civilization ? “Excusez-moi, les copains, mais je vais raser votre ville”
– Ben…
– Huhuhu. C’est mignon. Ou effrayant, je sais pas.
– Oh ça va, tu joues bien aux Sims, toi.
– Oui, bon, allez, perdu pour perdu, éteins, on va profiter du soleil un peu.
– Bon… ok… mais promets-moi de ne jamais me poser de questions quand je joue à Pokémon.

Le destin de Valéry

June 9th, 2010

Est-ce qu’il t’arrive parfois de te dire que tout est écrit, que nous ne sommes que les jouets innocents et en bois d’un Destin cruel et facétieux ?

Moi non plus.

Ou alors par un destin qui n’a aucun sens de la dramaturgie. Dans la vie, par exemple, quand tu es orphelin avec une tache de naissance, on ne vient jamais te révéler de mystérieuse prophétie. Enfin, je suppose. Les orphelins que je connais, on n’est jamais rien venu leur révéler de bien réjouissant, mais ils n’avaient pas eu la présence d’esprit de se munir de taches de naissance alors je peux me tromper.
Mais il y a d’autres moyens, plus estivaux et à la portée de tout le monde, de vérifier que le grand livre du destin ne vaut pas « Les pademelons font du squash le vendredi », le nouveau Katherine Pancol : les orages.

Un orage éclate. Tu te réfugies dans une forêt obscure, dans ton garage ou dans un magasin de chaussures. Et là, tu te dis qu’un arbre va s’abattre devant toi et te bloquer là. Que les secours mettront des mois pour arriver. Que tu seras condamné à manger l’arbre pour te sauver et qu’à force, des dents de castor te pousseront, ce qui suscitera la désapprobation de tes collègues de travail. Que ta vie ne sera plus que chaos et obscurité. Et que, condamné à boulotter de l’écorce, tu seras obligé d’accepter la pire des destinées : devenir ingénieur pour pouvoir construire des barrages à ta guise.

Naïf que tu es.

Cinq minutes plus tard, tu pourras enfin sortir de ton garage, de ton magasin de chaussure ou de ta forêt sans autre dégâts collatéraux qu’une nouvelle paire de crocs Louboutin et te dire que Stephen King, en fait, il serait pas un peu impressionnable, comme mec ? avant de découvrir l’horreur dans ton salon, tu avais laissé la fenêtre ouverte et un terrible lac s’est formé peuplé de piranhas de trente mètres de haut et tu vas être obligé de fabriquer une pirogue en meubles Ikea pour accéder à la télécommande parce que l’orage a été tellement violent que la télé s’est allumée toute seule, sur TF1. Et au loin, un chat hurle à la mort.

Et c’est là que tu es content de ne pas te dire que nous ne sommes que les jouets innocents et en bois d’un Destin cruel et facétieux parce que si vraiment le coup des piranhas t’arrive, tu as le droit de te réveiller et de te dire “ouf, tout cela n’était qu’un rêve”, et d’ajouter “d’ailleurs c’était le chien qui rêvait, lol, vdm”, ce qui serait totalement interdit si tout était écrit, parce que c’est vraiment la pire chute du monde.

flougloublouglou

June 8th, 2010

C’était par un de ces soirs oisifs où la nuit poudroie insolemment. Pernambucca, pour tromper son ennui, avait décidé d’ouvrir un blog.

Les jours passaient, pas les visiteurs. Pourtant, elle faisait tout bien comme il faut. Elle avait lu 103 articles intitulés “10 conseils pour faire du bon blogging” et appliquait à la lettre les recommandations. Elle publiait régulièrement, répondait à tous les commentaires (trois en sept mois), commentait à outrance les blogs voisins, organisait des concours (qu’elle gagnait invariablement), se brossait les dents tous les soirs et dessinait des arbres (elle avait peut-être un peu trop varié ses sources, elle s’en rendait à présent compte).

Puis, soudain, sans explication, le nombre de visites se dressa fièrement vers les cieux azuréens. Puis retomba flasquement. Pernambucca ne comprenait pas ce qui s’était passé. Puis elle observa un deuxième soubresaut. Les courbes de son module de statistique s’arrondirent soudain, pour retrouver dès le lendemain leur platitude exacerbée.

Quand soudain, elle comprit ce qui s’était passé. Elle avait, sur un outil de socialisation que nous nommerons Twitter, vaguement évoqué vaguement son goût pour les choses de la chair. Oh, à peine du bout des doigts, sans y toucher. Alors, pour voir, elle commença de multiplier les allusions. Elle disait sans jamais rien dire, évoquait amantes et amants sans jamais les nommer ainsi, laissait imaginer des pratiques quasi orgiaques qu’elles n’aurait jamais osé imaginer. Et les visiteurs affluaient. Tant est si bien que Pernambucca, en un tournemain, rejoint le cercle des blogueurs qui comptent et fut même invitée à tester une nouvelle pâte à tartiner et un tout nouveau modèle de parapluie ignifuge. Et on lui proposa même le job de ses rêves. Enfin, presque. Elle qui s’était toujours rêvée en grande reporter internationale se retrouvait à signer des articles moulés à la louche dans un magazine féminin, mais elle se disait que c’était un premier pas.

Et pourtant, sa vie était nettement moins débridée que ce qu’elle laissait entendre. Car, comme on dit souvent dans le métier qu’elle apprenait désormais, “c’est une nympho à prendre au conditionnel”.

Trou story

June 4th, 2010

Sur Internet, tout va très vite. Ainsi, j’avais commencé une note sur la Thaïlande, ses palmes, ses révolutions et ses noms rigolos. Mais tout ça est derrière nous. Le pays cool du moment, c’est le Guatemala.

Le Guatemala est un pays d’Amérique centrale, à l’instar du Costa Rica, de Panama et du court central de Roland Garros. Ses habitants s’appellent les Guatémaltèques. La capitale du Guatemala est Guatemala City. La boisson officielle est le Guatemalt, la friandise préférée des enfants le Guatemalabar, la position sexuelle préférée des jeunes le Guatemala.

Honduras qu’on voudra mais longtemps, le Guatemala est resté un pays sans grand intérêt touristique, contrairement au El Salvador, qui attirait des milliers d’amateurs de chanson française égarés. Les autorités ont donc décidé de prendre le Guatelama par les cornes et de creuser une attraction unique au monde : un trou. Et c’est armés de la plus grande perforatrice du monde qu’ils ont réalisé ce chef d’oeuvre :

troutrou

Une initiative immédiatement saluée par les spécialistes mondiaux des trous, Tiger Woods et Trouman Capote. Egalement célèbres pour leurs trous, l’Emmental et la Normandie envisagent de porter plainte pour plagiat.

Mais il ne faut pas résumer le Guatemala à cette histoire scabreuse, car cette contrée fascinante est plein de ressources. C’est en effet un pays de tous les temps, où la culture maya est encore très présente. Et bonne nouvelle pour les touristes, la monnaie nationale vaut quetzal.

PIOU PIOU

June 2nd, 2010

Nous sommes aujourd’hui mercredi (je peux le prouver), le jour des sorties cinéma.
Il y avait les adaptations de roman. Les adaptations de séries télévisées, aujourd’hui classiques. Les adaptations de jeux vidéo, en voie de banalisation, comme le récent Prince of Persia dans lequel Jake Gyllenhaal, après s’être fait découper trois fois par la même scie circulaire, en a marre et va plutôt faire un foot avec les copains. Et même les adaptations de blog, comme le récent Julie&Julia. Ou encore les adaptations de publicités, avec tous les James Bond récents, ou de chaussures, avec Sex and the City. Quel merveilleux terrains d’exploration reste-t-il aux réalisateurs ?

Eh bien, j’ai songé aux adaptations de gags classiques.

La mère de Toto a trois fils
Fils cadet d’une famille de la petite bourgeoisie londonienne, jalousant le succès de ses aînés Pim et Pam, Toto vit dans une perpétuelle recherche de lui-même qui l’emmène dans des questionnements intérieurs sans fin, jusqu’au jour où il rencontre la sculpturale Poum.

Tiens-toi bien au pinceau, j’enlève l’échelle
Jean-Helmut, un homme psychologiquement amoindri, s’accomplit grâce à la peinture. Il réalise de splendides fresques murales, mais sur des plafonds. Jusqu’au jour où il est victime d’un terrible accident d’échelle. Parviendra-t-il à remonter un jour la pente et aux barreaux ?

Paf le chien
Un chien traverse la route. Une voiture l’écrase.

C’est un Belge, un Français et un Guatémaltèque qui mangent des churros
Trois amis de nationalités différentes se rencontrent dans une fête foraine. Leurs destins vont irrémédiablement être bouleversés par l’arrivée d’un compère norvégien.

Oh non, je vais encore tomber
La vie décousue de Marie-Pamela, une jeune fille blonde à qui sa légère distraction fait vivre moult aventures trépidantes.

Les aventures de super-tomate
Le seul film de super-héros dont le héros est rouge, vole et porte une cape.

C’est pas le pied

May 31st, 2010

A cause d’une actualité internationale par trop misanthropogène, le post d’aujourd’hui sera exceptionnellement remplacé par un poème sur les chatons. Merci de votre compréhension.

Les chatons

Ô chaton au regard si soyeux,
Tu es vraiment le plus camaïeu,
Tu es plus sympa que les moutons,
Reprends donc un peu de saucisson.

Ô chaton au regard plus soyeux,
Qu’une tapisserie de Bayeux,
Mais sans chevaux dessus (ça fait con)…
Tu as encore pissé, file sur le balcon !

Excuse ce langage si peu châtié,
Mais que n’ai-je songé à te faire châtrer.
Mais où donc céans te caches-tu ?
Petit polisson, du balcon tu as chu !

2 be 3

May 27th, 2010

(vu dans le Journal du Jura)

Madame, Monsieur,

La liberté, qu’est-ce ? Un oiseau qui lance ses trilles au soleil du printemps, les rires des enfants qui courent dans un champ, la joie sur le visage des amoureux qui croquent à pleines dents les roses de la vie, Paul Eluard qui écrit ton nom partout. La liberté, ça fait des taches partout. Et qui c’est qui nettoie ? C’est le concierge, évidemment ! Mais la liberté, c’est aussi la démocratie. Et la démocratie, c’est râler. J’en veux pour preuve cette phrase mille fois serinée “Je vote, parce que sinon je pourrai pas râler après”. Et qui c’est qui râle ? C’est le concierge, évidemment.
Qu’on ne s’y méprenne pas, le concierge détient un pouvoir considérable, pouvoir que lui confère son balai. Qu’il soit puissant ou misérable, tout homme pris en flagrant délit de marcher sur un sol fraîchement balayé sera pareillement voué au juste courroux du concierge et, grâce à l’ancestrale passion de notre vaillant peuple helvète pour la poutze, n’osera ciller.

Or, râler, c’est un truc que je sais faire. Balayer moins, mais je veux bien apprendre. Toutefois, je ne puis répondre positivement à votre offre d’emploi. Parce que 41 heures de liberté par semaine, comme ça, d’un seul coup, j’ai peur que ça fasse trop.

Je vous remercie de l’attention portée à ma non-candidature et vous adresse, Madame, Monsieur, l’expression de mes poutou-poutous les plus sincères.

Oui, Kyo

May 26th, 2010

Excusez-moi si je n’ai pas posté depuis longtemps, mais je me baladais sur les autres blogs, pour voir un peu ce qui se fait de cool. J’en ai rapporté quelques idées originales et décalées.

Le méconnu du TSOL
Jean-Raymond a 38 ans, il est chauve, aime les trains et les maquettes d’avion. Normalement, il descend au Flon mais aujourd’hui il va jusqu’à Renens. Je lui dis que j’ai de très belles chaussures, mais je crois qu’il ne s’y intéresse pas. La photo est un peu floue, parce qu’au moment où j’ai sorti mon appareil, une musique du diable a retenti dans la rame et en plus je n’ai toujours pas trouvé où faire la netteté sur cet appareil. Une dame a pourtant essayé de me montrer, mais elle devait descendre. Ce sera pour la prochaine fois ! Les gens sont si gentils avec moi, aujourd’hui, 47 personnes sont venues spontanément me demander de faire leur portrait et l’une d’entre elles m’a offert des chocolats, ils étaient délicieux. Le message de Jean-Raymond est « Tout réussit mieux à qui cuisine au beurre. » Merci Jean-Raymond.

anery
Aujourd’hui, j’ai lu pour vous un nouveau blog de fille, “Fougères et délices”, dont j’ai appris l’existence par hasard.
Le blog de foug’ est caractérisé par les articles qui parlent de mode et de chaussures, dont je vous en mets un extrait des commentaires, comme sur cette note que j’ai choisi, “Balbutiements péremptoires”, il y a déjà 42 commentaires, que je vous mettrais ci-dessous.

Fulgence
bravo vraiment super
Fashionetta
tellement vrai, continue
Viagra for free
Hi nice site lol
anery
Parfois, les choses ne sont pas ce qu’elles sont

Comme vous le voyez, il y a beaucoup de commentaires très enthousiastes et on peut dire que ce blog génère vraiment une communauté. Foug’ utilise parfois la couleur bleue dans ses notes, ce qui est très bien. En résumé, on peut dire que ce blog est vraiment très mauvais, car je ne l’aime pas, alors c’est bien la preuve.

Si toi aussi tu as envie que je te dise à quel point je trouve que ton blog de fille est nul, n’hésite pas, après on ira boire un verre.

Collagène
Salut, c’est le roux de Collagène, aujourd’hui, avec toute l’impertinence (bite) qui me caractérise, je suis un fou, je n’ai pas peur, même si je suis obligé de conserver mon anonymat et que trois gardes du corps me suivent depuis que j’ai dit avec impertinence (nichons) tout haut ce que tout le monde pense tout bas dans ma note impertinente (clepsydre) “Nicolas Sarkozy est petit”, je voudrais dire que BP c’est rien que des gros pollueurs à cause de qui il y a une marée noire et même si j’y risque ma vie, je m’en fous, l’impertinence (pute) c’est mon dada, je le dis, tout ça, c’est pas très bien. Et je sais qu’il y aura des commentaires outrés, mais je m’en fous, je suis un cinglé.

Pepsi et deux glaçons sans faux col

May 19th, 2010

Vous le savez, facebook est un réseau social qui vend votre vie privée au plus offrant, organise des apéros géants sous vos fenêtres et mange des bébés pandas. Mais c’est aussi un gigantesque réseau social qui vous offre sur un plateau des heures et des heures de procrastination heureuse.

Or, il en va des réseaux sociaux comme des combats pokémon : pour réussir, l’essentiel est de savoir bien s’entourer.

Quels sont les amis indispensables à une procrastination réussie ?

Le joueur
Il répond dans les trois secondes à chacun de tes coups au Lexulous. Il fertilise tes champs avec le sourire dans Mafia Wars et t’aide à venir à bout de l’affreux mouton à antennes violettes dans FarmVille, tout en inversant le sens de ton fluctoire dans PenguinsAcademy. Et, surtout, il découvre sans cesse de nouveaux jeux, tellement que tu le soupçonne de bosser en secret pour les concepteurs (et d’être de ce fait un traître à la cause procrastinatrice). Mais attention, le choix de l’ami joueur est compliqué : il doit être un peu plus fort que toi, mais pas trop. S’il gagne chaque partie de scrabble de 8400 points et a fait plus de 2 mètres au dernier jeu de kek, tu vas vite renoncer à le battre, te décourager et te remettre au dossier Alexander Pokrischkine.

L’exhibitionniste
Nouveau copain de ta copine Pernilla, il la couvre de mots doux et d’allusions aussi discrètes qu’un éléphant dans un magasin de chatons et aussi fines que de la pâte à pancake. Pour le moment, il est un peu contre-productif : tant de graveleuse guimauve te donne envie de quitter facebook et d’enterrer ton ordinateur sous un socle de 42 mètres de béton. Mais c’est un investissement pour l’avenir : si leur rupture est à la hauteur de leur amour, les vols d’assiettes risquent d’être spectaculaires.

Le jeune
Si décrié, le langage sms est un laboratoire en constante évolution, témoin de la richesse d’une angue qui ne cesse de se réinventer au fur et à mesure que l’écrit devient support de l’instantané. Se familiariser avec les étonnantes mutations de cette nouvelle langue est un fascinant défi. Et, surtout, le moindre de ses statuts t’occupera pendant un bon quart d’heure. Comme en plus il a 683 amis, toute publication, de “oojoorduuyy aa laa kaanhteen céé poouulaayy” à “Fulbert a fait le test Kelle janre de kich aitte-vou et voudrait que vous le fassiez aussi” donnera lieu à d’intenses débats. Des heures de déchiffrage en perspective ! Attention toutefois, il existe bien des jeunes qui s’expriment dans un français tout à fait correct. Certains sont même capables de faire plusieurs phrases de suite sans ♥. A éviter.

Le fan
Il aime 25 nouvelles pages par jour et défend des causes aussi juste que “Les filles avec deux c dans leur prénom font une excellente tarte aux pommes”, “Deviens fan pour connaître cette blague qui n’était déjà pas drôle la première fois qu’elle a fait le tour d’internet en 1983”, “Je peux pas aller à la piscine, j’ai prêté les clefs de mon poney à un roux”, “Si toi aussi tu aimes ce qui est bien” ou “Justin Bieber”. Chacune de ces nouvelles découvertes pourra t’apporter plusieurs heures de ravissement (ainsi que treize nouveaux liens vers ce site qui te permet de gagner des milliards depuis chez toi, ce qui n’est jamais négligeable en fin de mois)

Le parano
Grâce à lui, tu passeras plusieurs heures par jour à éditer tes options de confidentialité pour éviter que quelqu’un n’apprenne par inadvertance que tu aimes “Tout ceux qui jouent de l’harmonica et ont peur des chevreuils”

Le syndicaliste
Grâce à lui, tu verras passer 32 causes de juste indignation quotidienne : la disparition du thon rouge, une douzaine de guerres et un scandale politique effroyable dans un village français dont tu n’avais jamais entendu parler, mettant en cause des politiciens dont tu n’avais jamais entendu parler. Si vraiment tout cela ne suffit pas à détourner ton attention de cette fichue page 17 que tu dois rendre pour avant-hier, contredis-le sur un point : ses réponses, ainsi que celles de ses amis, devraient t’occuper pendant des heures.

Le photographe
Quand tu perds ton temps en te perdant dans facebook, il y a forcément un moment où tu vas te retrouver à contempler des photos de soirées où tu n’étais pas, où l’on voit clairement des inconnus parler à d’autres inconnus, des photos de fêtes de familles qui ne sont pas la tienne, et des photos de chats. Essaie donc de dégotter un ami artiste ou une amie qui aime les bikinis : les commentaires n’en seront que plus nombreux.

Le cryptique
Ses statuts sont autant d’énigmes, propices à faire travailler ton imagination. Attention, reste curieux et ne lis pas les commentaires. Bien souvent, quand tu auras compris que “Jean-Raoul hésite”, suivi de “Jean-Raoul, a fait son choix” (3 people like this), “Jean-Raoul ne sait pas s’il a fait le bon choix” faisaient en fait référence à un parfum de glace, hier il a pris rhubarbe et c’était bon, mais il aimerait changer, tu seras déçu.

La fille
Comme pour le jeune, il ne faut pas suivre n’importe quelle fille sur facebook (dans la rue non plus, mais c’est un autre débat). Mais certaines d’entre elles contribuent activement au programme secret d’amélioration de l’internet, en ne manquant pas de participer à toutes ces fabuleuses chaînes où il faut mettre en statut la couleur de son soutien-gorge, le poids de son âne, la valeur marchande de son cendrier en rotin, le tout sans le dire aux garçons sinon le monde explose. Perds des heures à te perdre en d’incessantes conjectures : tu feras au moins une heureuse. Là aussi, en général, ce que tu auras imaginé sera nettement plus intéressant que la vraie réponse, évite donc de faire des recherches, même si cela te ferait perdre 43 secondes supplémentaires de précieux travail.

Le blogueur populaire
Idéal pour les longues soirées d’hiver, surtout depuis que le nouveau système de notification évite de te prévenir toutes les 5 minutes que quelqu’un a répondu à une question sur toi ou mangé un kebab en ton honneur et que ça fait longtemps que tu n’as plus dépoussiéré ton yucca. Chacun de ses nouveaux statuts suscitera pléthore de commentaires dithyrambiques. Un simple “like” te permettra donc de voir les nouvelles notifications se multiplier comme des amibes au soleil de janvier.

Le parent
Si, si. Souviens-toi du premier ordinateur de tes parents : il était resté huit ans éteint dans le salon, recouvert par un napperon et plusieurs plantes vertes. Puis un jour, tu as réveillé la bête. Tu leur as naïvement cuisiné une recette marmiton. Trois jours plus tard, tu recevais un e-mail vide. Une semaine plus tard, une blague en pps. Un mois plus tard, tu formatais leur disque dur et leur installais dix-huit antivirus et leur certifiais au passage que non, cette petite fille n’a pas besoin que vous envoyiez ce mail à tous vos amis, elle a probablement 32 ans à l’heure qu’il est. Aujourd’hui, tu reçois tous les deux jours un courriel avec force smileys clignotants, et un coup de téléphone inquiet si tu n’y réponds pas dans l’heure.
Sur facebook, tu as attendu trois semaines avant d’accepter leur demande d’amitié, le temps d’effacer toutes les photos de la soirée chez Fulrad-Kévin. Puis comme tu ne les y voyais jamais, tu as oublié leur présence, jusqu’à ce fameux dimanche où, entre la poire et le fromage, ils t’ont demandé si ça allait mieux. Tu as répondu que non mais ça va, c’est juste cette idée bizarre de faire des poires pour le dessert et de les servir avant le fromage, ça me rend chafouin, avant de réaliser qu’ils parlaient de ton statut d’il y a trois semaines (“Jean-Raoul ne sait pas s’il a fait le bon choix”, ils ont cru que tu avais repris le macramé, ils se sont inquiétés). Du coup, tu as passé des jours à trifouiller dans les options de confidentialité : beaucoup de temps consacré à ne pas travailler. Et bientôt, tu verras ces gens qui t’avaient appris à ne pas mettre les doigts dans la prise mon petit lapin cliquer partout comme des forcenés, t’envoyer des bisous, des dauphins, des points cool.

Et si avec tout ça tu trouves encore le temps de bosser, je sais pas, lâche tes comms, lol.

Comme l’intestin grêle après la vidange – Bonus Track

May 18th, 2010

Techniquement, la semaine du poney magique est terminée. Mais un joyeux retardataire m’a envoyé ce texte chatoyant, que je ne pouvais mettre de côté. L’occasion de vous remercier une fois encore d’avoir été si sémillants. C’est désormais scientifiquement prouvé, ce blog a les meilleurs lecteurs du monde.

– Oui, je sais bien que c’est trop tard, mais j’ai un billet.

Quiconque connaissait Monsieur Duètre ne se serait pas étonné de le voir manquer de ponctualité, mais aurait décelé un certain aplomb pour le moins déconcertant. Son interlocuteur ne s’en sentait lui-même pas pour autant moins décidé à le rembarrer fissa.

– Justement, pour les billets externes, je vous le dis : là, c’est trop tard. Si je commence à faire des exceptions avec une personne, demain il y en aura deux, après-demain quatre et avant même de l’avoir réalisé, je serai en train de devoir calculer des séries géométriques. Vous imaginez bien que je n’ai pas que ça à faire ! Si vous avez des choses à dire, allez l’écrire en commentaire sur 20minutes.ch, apparemment rien n’y est refusé…

– Non, non, mais quand je parle billet, je veux dire un billet de vous.

– Un billet de moi à mettre sur mon blog… oui, c’est effectivement un peu le principe. Vous voudriez aussi mon numéro de compte pour pouvoir y verser l’argent qui s’y trouve déjà ?

Duètre ne perçut pas l’ironie car il commençait à désespérer de se faire comprendre. Si c’était déjà à ce point compliqué alors qu’il n’avait même pas débuté les explications inévitablement compliquées sur son aventure, ne fallait-il pas renoncer tout de suite ? Il ne savait pas vraiment pourquoi il faisait ça, de toute façon. La gloire, comme les femmes, ne lui manquait pas.

– Non, mais je ne parle pas d’argent. Enfin, si, des fois, comme tout le monde, sauf sur mon salaire bien sûr, mais le fait est que ce billet, c’est juste un mot de votre part.

– Un mot ? Genre « Non ! » ? « Ouste ! » ? « Dehors ! » ? « Chleuasme ! » ?

Il le faisait exprès, pas de doute. Comment pouvait-il ne pas remarquer le papier agité sous son nez avec frénésie depuis le début de ce chat sur IRC ?

– Là. Une note écrite de votre part. Pour vous. Pas pour votre blog. Pour expliquer mon retard :

« Cher moi (comme  je te connaîs aussi bien que moi-même, je me permets de te jejoyer), merci d’excuser le retard de Monsieur Duètre. Un bête accident de poney, pas le temps d’expliquer. Toi. »

– C’est clair que ça ressemble à mon style, mais le plagiat, vous savez, c’est un genre littéraire qui demande du talent pour avoir un minimum d’intérêt. Maintenant que l’accès guest est terminé, il ne suffit plus d’ajouter le mot « poney » pour être publié. S’il y avait au moins des explications de paroles, une évocation des sept ans passés, des aventures préhistoriques ! Vous vous rendez-compte que c’est juste mauvais ? Et je dis ça pour être gentil ; parce que si je voulais être méchant, j’irais créer un groupe Facebook contre les enfants aveugles roux.

– Mais ce n’est pas un plagiat, ni même une blague, c’est bien vous. Regardez, c’est votre signature électronique.

Les bits lui étaient effectivement familiers. Repoussant cette idée déconcertante dans le placard des névroses non résolues, il se demandait où pouvait se trouver la supercherie. Peut-être s’appelait-il Alice ou Bob ? Et fallait-il vraiment continuer à s’imaginer abusé farouchement par un man-in-the-middle ?

– Écoutez, je me souviendrais si je m’étais écrit, non ? C’est quoi ce bordel, à la fin ? J’ai un clone ? Ça vient d’un univers paralèlle ? D’un moi du futur peut-être ?

– Oui… voilà. Cest un peu ça. Du futur. Je sais que ça fait cliché, hein. Enfin, pas autant que celui de le dénoncer en espérant qu’il sera pardonné, mais au point où j’en suis. Il faut dire que vous n’étiez pas censé le savoir, ni même apparaître une seconde fois dans l’histoire. Mais puisque nous y somme, je vous la fais courte, comme Bayne.
Ayant terminé mon texte hier, j’ai voulu l’envoyer une semaine avant, histoire d’être encore dans les délais. La poste n’étant plus ce qu’elle est, il me fallait trouver un autre moyen. J’ai donc consulté le Grand Oracle Omniscient, Gardien du Livre de l’Entendement, et ai cru comprendre que le seul moyen d’envoyer de l’information vers le passé, c’était en tuant mon grand-père. Seulement, j’en ai plus que deux, aux qualités aussi physiques qu’antiques, donc c’était pas vraiment pratique.

– Je… enfin… comment…

– Exactement ! Et c’est là que j’ai eu l’idée d’aller deux mois dans le futur, au moment de mes vacances pour ne pas trop me déranger, histoire de me demander comment j’avais réglé le problème, ce qui allait justement faire apparaître un paradoxe, que j’espérais aïeulicide.

– Et donc… vous m’avez croisé dans le futur ?

– Euh… j’imagine. En fait, je ne m’en souviens pas encore, puisque je ne l’ai pas encore vécu. Je me suis juste retrouvé ici avec ce papier…

– Bon. Je crois qu’on va passer un marché. Je publie exceptionnellement votre texte en antidatant, vous me donnez en échange une aspirine et vous me promettez de ne plus jamais parler de tout ça, même pas dans le futur, ok ?

– Ben, euh… justement, c’est là que se situe le dernier problème à propos duquel j’espérais pouvoir vous entretenir dans l’espoir que votre compréhension aurait permis de nous arranger en trouvant un compromis qui soit aussi une sorte de solution au souci qui se pose dans ma demande, à laquelle je voudrais ajouter que…

– OUI ?

– Que… c’est que ce que j’avais écrit… eh bien je l’ai oublié y a dans deux mois. Ce serait possible d’avoir un délai supplémentaire d’ici qu’on y soit ?