Aujourd’hui, nimbé de mystère, un anonyme m’a demandé sans brûler son pourpoint d’analyser Génération TEXTO, l’hymne générationnel des Be Wiz’U.
J’ai commencé par décliner poliment, car à trop tirer sur les ambulances, on finit par faire pin-pon sur le chihuahua. Puis l’esprit de Mylène Farmer m’est apparu en songe et m’a dit qu’il fallait voir le deuxième sens qui se cachait derrière le premier sens qui apparaît en premier (c’était peut-être l’esprit de Nicola Sirkis, finalement). Et c’est là que j’ai compris que cette chanson était bien plus subtile qu’on ne le croit de prime abord.
(Je te signale au passage, jeune googlisateur égaré, que ce site est le premier de tous les internets à proposer les paroles de cette chanson, moins une strophe, dans une orthographe approchant plus ou moins celle préconisée par la génération Larousse)(merci à balbinus de m’avoir aidé à reconstituer les paroles)
TEXTO Géneration texto
Il y a un terrible malentendu quant à cette chanson : comme elle est chantée par des enfants, on s’imagine qu’elle parle d’enfants. Comme si, en raison de leur jeune âge, ils ne pouvaient se mettre dans la peau d’un autre, tenter de comprendre les attentes et les espérances des générations qui les ont précédés et, de ce fait, créer un pont intergénérationnel entre nous et le ciel.
Or, qui est la génération Texto ? Et bien, c’est nous, bien sûr ! Nous, les presque digital native, qui avons appris les balbutiements de la révolution informatique avec Donkey Kong, qui avons été les tout derniers à dire “moi en tout cas, j’aurai jamais de téléphone portable” et les tout premiers à en acheter, vingt minutes après les premières offres “si tu t’engages à t’abonner pour les quatre prochaines années et à nous donner ton fils aîné, on t’offre un rabais substantiel de 2 francs 50 sur l’achat de ton superbe Nokia 4210 (avec le compositeur et le jeu du serpent pour t’amuser pendant des heures)”. Nous qui avons inventé le langage sms et qui, aujourd’hui, refusant de reconnaître le monstre que nous avons créé, nous en moquons.
Il ne s’agit donc pas d’une chanson sur les dérives d’une jeunesse perdue, mais au contraire, et c’est un thème original et jamais traité jusque là, du moins pas avec une telle acuité, d’une oeuvre évoquant la nostalgie des trentenaires.
Nous on s’aime et on s’le dit sur msn
Une génération, donc, qui est arrivée sur le marché du travail plus ou moins en même temps que l’internet et qui, pendant que Madame Gomez de la compta n’y comprenait rien à tous ces e-mails, installait en douce msn pour pouvoir wizzer des meufs discretos pendant ses heures de boulot.
TEXTO Génération texto
Et on soigne notre look en photo sur facebook
Et qui, aujourd’hui, à l’heure du premier cheveu blanc, retrouve Gisela, son amour de primaire, sur Facebook et remplace donc sa photo de profil en slip à Eurodisney par une autre, en noir et blanc avec le regard perdu dans l’infini.
Communiquer est maintenant si facile
Dame, oui. Avant, il fallait faire des simagrées pour faire comprendre à Gisela qu’elle nous plaisait, maintenant, un poke et c’est réglé.
On se passe des appels utiles ou futiles.
Alors que du temps de notre enfance dorée, impossible de se passer des appels futiles, on n’avait pas le temps pour le badinage, il fallait d’abord aller travailler à la mine et combattre les rhinocéros laineux. (En plus, quand on appelait Gisela, c’est sa maman qui répondait et elle faisait un peu peur)
On s’envoie des photo c’est instantané
Et, miracle de la technologie, on peut même lui demander une photo de ses seins sans que les développateurs ne nous regardent avec leur air égrillard.
En prenant soin de ne pas éclater son forfait
Car la génération TEXTO sait mieux que quiconque l’importance d’économiser, ça fait trente ans qu’on lui fout savamment la trouille à grands coups de crises et de chômage.
Quel est ton pseudo et ton numéro ?
Alors c’est le 079 473
non pardon, je suis con
lol
mdr
Oui donc ce passage illustre brillamment la schizophrénie croissante dont sont victimes les utilisateurs des nouveaux vecteurs de communication, obligés de constamment jongler entre sms, tweet, statut facebook, billet de blog sur son blog perso, sur son blog corporate, sur le blog de son club de frisbee, de jongler entre toutes ces identités numériques sans s’y perdre, de se rappeler que bogoss du 2740 sur msn, Jean-Pierre Frouchard sur Facebook et “le mec chelou qui me stalke, je sais plus d’où je le connais” dans le répertoire téléphonique de Gisela ne font qu’un.
Je t’envoie des fichiers pièce jointes en dossier
Et c’est là qu’on comprend, soudain, que la chanson ne parle pas des jeunes, qui ne se laisseraient jamais aller à dire des choses pareilles. Elle évoque le drame de ces gens, qui restent nos amis même s’ils n’ont jamais tellement été fans de tous ces ordinateurs, et nous disent tu pourrais pas venir regarder, toi qui es trop un djik, pourquoi quand j’envoie des pièces jointes en dossier ça passe pas est-ce que c’est à cause de mon firework ou bien parce que j’ai pas mis à jour l’antivirus d’internet explorer ?
Je t’envoie un sms, tu le reçois express
Tu me réponds par courriel sur mon adresse mail.
On retrouve l’idée forte du jonglage entre les médias.
Refrain
on aimerait tous un phone customisé en logo
On retrouve l’idée de la personne qui aimerait utiliser les mots juste mais a visiblement de la peine. Et qui aimerait apporter un peu d’humanité à ce monde technologique en personnalisant le logo de son téléphone.
blindé en unités,
Une petite métaphore guerrière assez saugrenue, peut-être pour rappeler que nos premiers téléphones ressemblaient à des chars d’assauts.
non-stop en réseau
et qu’aujourd’hui, on peut être connectés en permanence
Avoir un abonnement tout illimité
Bien plus pratique pour ne pas éclater ton forfait
Ça c’est vrai, on ne le dit pas assez souvent, mais ne pas avoir de forfait est un assez bon moyen de ne pas l’éclater. Pensez-y, chez vous.
Attrape mon pseudo
prends mon numéro
J’ai des trucs à t’envoyer on va bien se marrer
Loin d’isoler, ce dont on l’accuse souvent, cette prolifération de médias permet de partager ses plus belles créations de pps de chats.
Je suis en forme de lol
DJ à la mode
(je ne suis pas sûr d’avoir retranscrit ce passage correctement… c’est gentil de faire chanter les jeunes porteurs d’appareils, minorité visible opprimée certes, mais enfin, j’ai rien compris et je n’ose plus redemander à mes facebook friends de peur de ne plus me faire poker aussi souvent)(enfin, il s’agit d’exemples de trucs qu’on peut s’envoyer, probablement, donc remplacez ça dans votre tête par “pps de chats” et ça passera)
Trop fort je l’ai écouté
et téléchargé
On sent dans cette dernière phrase un plaidoyer, vibrant et courageux, en faveur le téléchargement, ce qui est assez rare de la part d’artistes francophones.