Quand Fragonard Chourpaud avait déclaré “Je veux que tout le monde, dans ce pays, soit rétribué selon son mérite”, tout le monde avait haussé les épaules, sauf ceux qui étaient plutôt en train de regarder des nains s’enduire d’huile d’olives sur une autre chaîne. Et à vrai dire, c’est surtout à défaut de mieux qu’il avait été élu à l’immense majorité des 22,3% de non-abstentionnistes.
Paradoxalement, la plupart des gens qui avaient défilé dans les rues dès l’entrée en vigueur de ses premières mesures faisaient justement partie de ses électeurs. Les mauvaises langues dirent que cette grève fut la moins remarquée de tous les temps, tant les nouvelles grilles de salaire définies par Fragonard Chourpaud étaient bien ficelées. Pendant que traders, coaches de vie et autres responsables du suivi du controlling post-operating battaient le pavé, les éboueurs et les nettoyeurs de WC publics se préparaient une deuxième tartine de caviar.
L’opinion publique commença, comme toujours, par grommeler puis finit, comme toujours, par s’habituer. Et par s’adapter. Un célèbre magazine féminin, dont les rédactrices étaient bénévoles depuis peu, mit en avant les tenues orange dans ses pages mode. Puis la presse people suivit et commença à s’intéresser de près aux frasques de Robert Chompard, éboueur, de son épouse Raymonde, caissière de supermarché et de leurs enfants Robertina, Ramuncho, Rigobert, Rihanna et Supercopter. Le couple fut même rebaptisé Romonde. Ils furent invités à raconter leur itinéraire sur toutes les chaînes de télé («les dates de votre prochaine tournée, les déchets verts, s’affichent en ce moment même à l’écran»).
Robert expliquait de chaîne en chaîne que «vous savez, ça a l’air simple de porter les poubelles, mais c’est beaucoup de travail pour en arriver là», pendant que chez lui, Pernambucco Thijssens, numéro 10 de la sélection nationale de football, pestait en pensant à ces mecs payés des millions à se balader à l’arrière d’un camion pendant que d’autres triment toutes les semaines pour perpétuer l’art ancestral du 4-4-2.
Puis tous les présentateurs télé devinrent éboueurs ou balayeurs, sauf un qui devint réalisateur de biopics racontant le destin magique d’éboueurs ou de balayeurs.