Aux armes

November 2nd, 2024

C’était probablement le deuxième jour de l’école de recrue et donc un mardi et même si ce n’était pas un mardi, disons que oui, à cause de la nostalgie. Moi, j’étais toujours aussi étonné d’être là. Je me disais qu’au bout d’un moment quelqu’un allait dire non mais c’est bon, on sait jamais, si sur un malentendu l’Ennemi débarque, c’est mieux pour tout le monde, sauf peut-être pour l’Ennemi, que vous soyez à la maison en train de jouer à Civilization plutôt qu’ici à marcher au pas, allez, filez et si on vous demande, dites que vous n’êtes jamais venu mais bon, personne m’a dit ça.
A la place, on m’a fait mettre en file indienne par ordre alphabétique avec des tas d’autres types et on nous a donné à chacun un fusil, au cas où l’Ennemi débarquerait. Il est pas venu, mais c’est pas le sujet. Moi, au lieu du fusil, j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai dit non, merci, c’est gentil mais moi je ne suis pas sur terre pour tuer des pauvres gens, c’est un très beau fusil et tout, je dis pas, enfin si on aime, moi j’aime pas trop alors je peux pas vraiment dire mais les gens qui aiment ils doivent le trouver joli, donnez-leur donc le mien. Non, en fait j’ai pas dit tout ça, j’ai juste dit non. En réalité, je n’aurais jamais tenté un tel acte de bravoure si un type, deux rangs devant moi, n’avait pas fait exactement la même chose, heureusement que j’avais eu l’idée d’avoir un nom de famille juste deux rangs après le sien sinon j’aurais probablement pris mon fusil, bien que sans conviction.
Après, je me suis dit qu’on allait me jeter au cachot, me houspiller, ou que sais-je encore mais en fait on m’a mené devant le capitaine qui a été très gentil et franchement, dans un contexte kaki, c’est toujours louche. Et puis ensuite je suis passé devant une commission à qui j’ai expliqué pourquoi je voulais pas trop trop passer quinze semaines dans une caserne infâme avec des plus cons que moi et ils ont bien examiné ma conscience, surtout un psy avec un noeud papillon rigolo qui posait plein de questions pas rigolotes et ils ont dit si, si, en fait vous allez quand même faire ça.
Le sergent-major, c’est un grade à l’armée et c’est un type qui aime bien crier et que tout soit bien aligné m’a dit bon en fait il va falloir quand même prendre un fusil et là y avait pas le type deux rangs devant moi, lui il s’était fait renvoyer à la maison, alors j’ai pas dit oui, mais j’ai pas dit non, j’ai rien dit, j’ai pris l’objet et j’ai même appris à m’en servir, ça fait du bruit, franchement je déconseille, à l’époque il n’y avait pas internet sinon j’aurais mis 0 étoiles sur 5, ou même sur 10, et cinquante-huit semaines plus tard, j’ai fini mes quinze semaines d’école de recrue mais à cause que c’est la Suisse, j’ai dû garder le fusil quelque part au fond de ma cave. Finalement, mon acte de bravoure ne m’avait servi à rien du tout, ça fait juste une anecdote à raconter.

Et pourquoi je vous la raconte alors que même quand les blogs n’était pas morts, ce blog-ci n’a jamais été ce genre de blogs-là ? Eh bien, parce que c’est un peu une métaphore, mais je peux pas trop vous dire de quoi, on va encore trouver que je parle pour rien dire alors voilà, voilà.

Oui mais alors voilà

August 26th, 2024

Ne vous énervez pas, ce n’est pas vraiment un retour.
C’est juste qu’on m’a dit : “faites des trucs que vous aimez bien”, j’ai un peu réfléchi et je me suis dit : “écrire, y a une époque j’aimais bien, je crois” et j’ai cherché un bloc-note, et puis j’ai trouvé ici, alors ça fera bien l’affaire.
J’aimais bien et puis j’ai fait une erreur classique, j’en ai fait mon métier, ne faites pas ça chez vous : après ça devient un métier et des tas de gens viennent vous dire comment le faire et à la fin, se demandent pourquoi vous n’y mettez pas un peu plus du votre.
Bon, donc on m’a dit que je devais faire des trucs que j’aime, par exemple écrire, cuisiner ou prendre de longues vacances dans des tas de pays avec mes enfants mais enfin, écrire c’est plus simple, je n’ai pas eu le temps de faire les courses. Sauf que je ne sais pas de quoi parler, si vous connaissez un peu les lieux vous allez dire ça n’est jamais ça qui a empêché, mais bon, quand même.
Non parce qu’il y a une époque où je dépeignais le monde qui m’entoure non sans ironie et décalage et parfois, des gens disaient mais où va-t-il chercher tout ça ? alors que c’était dans le monde qui m’entoure mais là je n’ai plus internet donc je ne sais plus trop ce qu’on y fait, ça y est, vous avez des ministres ou pas trop ?

Donc je vais plutôt aller cuisiner, en plus c’est l’heure, ça tombe bien, sauf qu’il faut d’abord que j’aille faire les courses.

Internet

August 23rd, 2024

D’accord, il n’y a plus personne mais ce n’est pas bien grave, l’idée c’est d’écrire, pas d’être lu, vouloir être lu·e c’est bien un truc de 2003.
En plus, j’avais un super début de texte, sauf qu’il est tombé à l’eau à cause de la procrastination.
Ca aussi, la procrastination, c’est très début de 21e siècle. Aujourd’hui, ça ne s’appelle plus comme ça, mais TDAH. Moi, ça m’arrangerait un peu : avec des TDAH, on ne fait pas beaucoup plus les choses, mais au moins ce n’est plus de notre faute. C’est celle d’une hormone que le corps ne produit pas assez, parce qu’il préfère la produire demain. Enfin si j’ai bien compris, parce que je n’ai pas fini de tout lire les 189 textes qu’internet a produit sur le sujet dans les quatre dernières heures.

En même temps, ça m’embêterait aussi un peu, la dernière fois que j’ai eu un truc à la mode c’étaient des Nike et franchement, trop cher pour ce que c’est. Au moins, vous me direz, les TDAH c’est gratuit, sauf les frais de rappel, le formulaire de remboursement égaré au fond du premier tiroir à gauche et cette grille de loto gagnante mais jamais réclamée alors qu’il y en avait pour au moins quatre francs cinquante de gains.

D’ailleurs, pour ma part, je souffre de TDAH de Schrödinger : ils sont là et aussi pas là. Je n’en sais rien parce que se faire diagnostiquer, c’est compliqué. Il faut se renseigner, prendre un rendez-vous, reprendre un rendez-vous parce que la dame a jamais rappelé, noter l’heure du rendez-vous sauf qu’entre-temps la dame a pris sa retraite, recommencer, faire des tests, je sais pas vous mais moi, c’est le genre de choses qui me prennent entre onze et cent-cinquante trois ans. A mon avis, un des symptômes les plus symptomatiques, c’est de ne jamais avoir réussi à se faire diagnostiquer.

Bref, tout ça pour dire qu’il n’y a plus personne, que ça tombe bien vu que de toute façon je n’ai plus les accès du blog et que j’ai la flemme d’écrire, en plus j’avais un super début mais là il n’est plus vraiment valable et j’ai encore moins de fin que de début et ça aussi, il parait que c’est un symptôme enfin j’en sais rien, j’ai pas lu.

Foire à la saucisse : annulée

May 9th, 2023

Bon sang, mais tout a changé là-dedans, je n’y comprends rien, où sommes-nous, quelle est cette étrange lueur ? Qui êtes-vous, madame ?

Alors oui, bon. Faut-il bloguer en 2023 ?

Parce qu’il est un adage qui dit : tout ce qui était à la mode il y a 20 ans revient à la mode aujourd’hui, mais avec un peu plus de bide. Et donc, les blogs vont revenir à la mode en 2023. Et comme je ne peux pas faire plus de bides que les quatre dernières années de “Bon dans ta poêle”, c’est le moment où jamais.

Sauf que. Faut-il bloguer en 2023 ?
D’aucun·es vous diront qu’on ne peut plus rien dire. C’est hélas faux. Hélas, car ne rien dire a toujours été mon principal sujet de conversation. Mais on peut encore dire des choses. On n’a même jamais dit autant de choses. Tout le monde dit des choses, partout, tout le temps. Même sans rien avoir à dire. Surtout sans rien avoir à dire.
Au temps jadis, les commentaires enrichissaient les blogs de mille conversations facétieuses et savoureuses. Je ne voudrais pas dénoncer, mais des gens ont même fait des bébés dans les commentaires de “Bon pour les pâles”. Aujourd’hui, partout, tout le temps, sur des milliards d’hectares d’internet, des milliards de cons, et disons des centaines de milliers de connes, commentent – à condition bien sûr de n’avoir aucune idée du sujet et de n’avoir pas lu l’article. Or, un doute, soudain, m’habite : sont-ce les mêmes personnes ? Est-ce que en fait, vous qui baguenaudiez, volages, dans les commentaires afin de lâcher ça et là quelque information pertinente m’aidant à reconsidérer ma position sur Indochine ou les fourchettes, vous qui, d’un hilarant jeu de mot, veniez être plus drôle que moi ce qui ne se fait pas mais ça ira pour cette fois, lisiez-vous les textes avant de commenter ? Si oui, aviez-vous mal compris internet ? Le doute m’habite. Mais bon là de toutes façons l’espace commentaire est fermé alors on ne saura jamais (vous savez comment on fait pour barrer du texte, vous ?)(moi non plus).

Bref. Ce n’est pas de ça dont je voulais parler.

Faut-il bloguer en 2023 ? Ma foi, non, plutôt pas, parce que j’ai perdu les identifiants de connexion, déjà, et l’inspiration. J’avais un peu continué par habitude, ou pour pécho, je ne sais plus, mais de nos jours il faut être sur tik-tok pour ça, je crois, alors que je pensais que c’était une montre pour enfants, c’est dire. En plus j’ai du travail sur le feu.

Le travail. C’est tout de même étrange. Des tas de choses finissent par devenir nulles sous le simple prétexte qu’elles ont été à la mode un jour, les commentaires pas trop stupides, les blogs, le sexisme, JFK Rowling, les Etats-Unis d’Amérique, les jeux de mot, Facebook, l’haltérophilie, les pogs, des tas de choses et ça, non, ça reste là, toujours, tout le temps et jamais ça ne passe de mode, il y a bien des fois des gens qui disent ouais mais on pourrait pas inventer un nouveau modèle de société ? Ok bonne idée, on se cale un zoom asap pour en parler ! et finalement il reste là, toujours, le travail. C’est tout de même étrange.

Enfin je me suis un peu égaré, je ne suis même pas sûr de retrouver mon chemin, tout ce que je voulais dire c’est que ce blog aurait 20 ans aujourd’hui, ou peut-être était-ce hier, je ne sais plus (c’était avant-hier) et merci, c’était super, vous étiez super. Et le temps passe et jamais ne revient, comme les hirondelles, il faut savoir tourner la page sept fois dans sa bouche, mais enfin moi j’ai bien aimé et vous lâche tes coms, ah ben non, c’est cassé, ah ben non, ça remarche.

Oh, épitaphe, à la fin !

May 7th, 2015

Faut-il bloguer en 2015 ?

Souviens-toi, c’était aux alentours de jadis, un mardi. Quelques pionniers écrivaient des articles sur les weblogs sur leurs weblogs quand soudain, l’un d’entre eux se dit “hé, si on faisait un genre de plateforme facilement accessible à tous histoire d’avoir de nouveaux copains avec qui parler de weblogs ?” et ce fut aussitôt la gabegie, la porte ouverte, la boîte de Pandore. Les nouveaux arrivés, au lieu de parler de weblogs, comme tout le monde, se mirent à aborder toutes sortes de sujets, mais essentiellement à parler d’eux, car c’était marqué dans le journal, le weblogue est un genre de journal intime sur internet.
C’était une époque de franche camaraderie. Les gens parlaient d’eux, d’entre gens venaient dans leur commentaire leur dire lol trop vrai ma belle viens chez moi moi aussi je parle de moi regardez-moi regardez-moi regardez-moi et ceux qui parlaient le mieux d’eux étaient trop des stars avec parfois jusqu’à cent visiteurs uniques par jour, bien sûr, ils ne passaient pas leur temps à regarder leurs statistiques, c’était plus par curiosité.
Mais certains, car ils n’avaient pas assez de choses à raconter sur leur vie, les nuls, se mirent à parler cuisine, mode ou à dessiner des petits mickeys sur leurs weblogs, qui entre-temps s’appelaient blogs. D’autres gens qui eux aussi cuisinaient, s’habillaient ou dessinaient, se mirent à les imiter. De fil en aiguille, certains hérétiques se mirent à commenter des blogs alors qu’eux-même ne bloguaient pas, sans attendre de clic en retour, juste parce qu’ils avaient quelque chose à dire. Il y en avait deux types : ceux qui laissaient des commentaires constructifs et utiles comme “lol trop vrai épouse moi !!!” et les méchants, destructeurs, aussi appelés sales trolls, qui ne pensaient qu’à faire le mal en laissant des commentaires agressifs et réducteur tels que “excuse-moi de te déranger, mais tu as écrit débarasser alors que ça prend deux r, enfin, tu fais comme tu veux, on est ici chez toi”. Heureusement, ils étaient immédiatement hués virtuellement par la vindicte populaire.

Mais le temps passe, et emporte avec lui les lols des preumseurs. Un jour, Jean-Gringoire, auteur du célèbre blog “Blog… de glace !!!”, sur lequel il analysait avec finesse la politique, les séries, la musique et la paléontologie sans oublier de régulièrement donner son opinion sur le dernier post de “ça déblogue !!!” qui évoquait la réaction de “ras le blog” sur la récente prise de position de “another wordpress blog” quant à la dernière édition de “A la recherche de la nouvelle star” (qui n’était pas un blog mais une émission télé), s’étonna d’avoir reçu la bagatelle de zéro commentaires alors qu’il avait publié son article depuis déjà huit minutes. Il s’en fut chez un réparateur pour faire analyser la situation mais las, rien n’y fit, les commentaires étaient décédés, partis sous d’autres cieux liker des retweets.

Jean-Gringoire laissa peu à peu son blog prendre la poussière. Il ouvrit un tumblr, c’était quand même vachement mieux, où il commentait l’actualité avec des gifs animés. Il était régulièrement publié dans Slate, où il réagissait avec virulence aux dernières déclarations politiques, s’indignait contre un article de 2008 d’un fanzine néo-zélandais dans lequel il était écrit “certaines femmes portent des robes” et “le ragoût de boeuf se cuisine à partir de viande de boeuf”, ce qui heurtait ses sensibilités féministes et véganes. Parfois, il avait un peu la nostalgie, cette époque de liberté et d’audaces, qu’en restait-il aujourd’hui ?, tout en préparant son top 10 des acteurs qui ont des jambes qu’il espérait revendre à prix d’or à Topito.

Mais pendant ce temps-là, d’autres continuaient, contre vents et marées, à bloguer, car ils avaient à coeur de partager leur passion pour la mode et les articles sponsorisés.

Et d’autres parce qu’ils avaient refusé de suivre la voie de la modernité et que Slate ne les avait toujours pas contactés. Et ceux-là se demandaient parfois : “faut-il bloguer en 2015 ?”

Et se répondaient bah ouais, pourquoi pas ? Après tout, y a bien des gens qui font du scrapbooking ou du trampoline.

***

Quant à moi, je me disais tout de même que douze ans de blogging, c’était beaucoup et qu’il serait peut-être temps de passer à autre chose, non ? On se croise au détour d’un vent contraire, d’une bière ou d’un de ces nombreux réseaux sociaux dont les jeunes raffolent et on se dit merci, bisous, salut ?

Utopie pour toi

May 5th, 2015

New Morges – mai 2057, un mardi. Reportage exclusif (sponsorisé par les bonbons à la saucisse Flügor, par les tondeuses Bonvin et par l’union suisse contre les arbres).

Nous avons retrouvé dans cette grotte des environs de New Morges une communauté étrange, qui vit recluse. Il nous a été difficile de les approcher, tant ses membres semblent méfiants. Mais comme ils semblent plus affamés que méfiants, nous avons pu les soudoyer facilement grâce aux bonbons à la saucisse Flügor, les bonbons qui rendront tous vos amis jaloux grâce à leur goût chaloupé.

C’est en effet ici que se réfugient, loin de toute civilisation, les exclus de Facegle. Chaque année, en effet, des centaines de personnes sont bannies de Facegle pour avoir contrevenu aux règles d’utilisation – des règles qu’ils ont pourtant signées lors de leur inscription, le lendemain de leur naissance. Ne faites pas ça chez vous, les enfants, ne contrevenez pas aux règles, sinon vous vous ferez pincer les doigts très fort.

Attention, les images qui suivent peuvent choquer. En effet, ces gens n’ont pas été bannis pour des broutilles ou des billevesées. En effet, ils ont commis des actes graves, des actes répréhensibles, si tout le monde faisait comme eux ce serait l’anarchie, est-ce bien ça que vous voulez ?

Je vous propose de les huer pendant une minute.

Si le temps vous semble long, pourquoi ne pas utiliser une tondeuse Bonvin pour tondre votre jardin ?

Voilà. Nous avons donc rencontré Jaynyfayr Dévanthéry, exclue de Facegle en avril 2056 pour avoir orthographié son nom Jennifer parce que, je cite, “ça faisait un peu stylé”.
Oxmo Legendre, coupable d’avoir détourné le regard pendant une publicité. Alors qu’elle était en plus très drôle.
Fiodorina Grörh, bannie pour harcèlement sexuel après avoir demandé “Salut sa vas” à un jeune homme sur le réseau social Facegle, le réseau social de toutes vos envies, sans en avoir préalablement sollicité la permission.
Et enfin Suharto Bollomey, spéciste récidiviste, qui poste régulièrement des photos de chatons sous prétexte qu’ils sont trop mignons, cruelle objectification de l’animal que nous ne saurions tolérer.

Alors bien sûr, ces gens ont bien mérité ce qui leur arrive.

Mais tout de même. Bannis de Facegle, ils ne peuvent plus avoir accès aux offres d’emplois, ils ne savent plus quand un appartement est à remettre, ils ne peuvent plus placer d’enchères pour acheter des légumes de synthèse ou de la viande recomposée et sont obligés de manger le fruit de la terre, comme des animaux, sans offense envers nos amis les animaux toutefois, mais tout de même. Ils ne peuvent plus savoir ni les résultats des compétitions de beach tchoukball, ni le temps qu’il fait.

Alors ne devrait-on pas leur pardonner ? Faut-il vraiment que ces gens paient toute leur vie pour une petite erreur ?

Moi je trouve que oui. Enfin, surtout à la deuxième question.

Huons les.

Ce reportage exclusif vous a été offert par les bonbons à la saucisse Flügor, par les tondeuses Bonvin et par l’union suisse contre les arbres.

Edern-Boutros Baumgartner, radio suisse romande, New Morges.

Croire

April 22nd, 2015

– Je sais ! J’ai trouvé ! Yves Duteil, m’exclamai-je avec excitation.
– Hrm, répondit Gunda, ma community manager imaginaire, avec flegme.
– C’est un chanteur mort, les gens l’aiment bien, la profession va probablement lui rendre hommage prochainement, ce n’est qu’une question de secondes. Quand elle le fera, je pourrai m’exclamer VOUS L’AVEZ LU ICI EN PREMIER, et tout le monde dansera la ronde de l’amitié, poursuivis-je avec parcimonie.
– Vas-y, fais-ce que tu veux, moi je m’en fous, sourit Gunda, avec saucisson à l’ail.
– Ma chanson préférée d’Yves Duteil : Antisocial, asséné-je avec lien YouTube.
– Hein ? Oh et puis après tout, fais ce que tu veux, moi je m’en fous, tintinnabula Gunda avec le temps va tout s’en va.

**

Tu bosses toute ta vie pour payer ta pierre tombale,

Oui, mais c’est parce que j’en voudrais une vachement bien, avec des genre de statues et des trucs qui clignotent, enfin, un truc un peu prestigieux, au cas où je deviendrais hyper connu après ma mort comme Van Gogh et l’autre. Mais du coup, comme je bosse, je n’ai pas le temps de me consacrer à la peinture et au désoreillage, alors je ne vois pas trop pour quoi je deviendrai hyper connu, peut-être pour une recette de pâtes ?, je ne sais pas.

Tu masques ton visage en lisant ton journal,

J’étais en train de lire les cours de la bourse, à cause de cette histoire de richesse, je voudrais pas trop que ça s’ébruite.

Tu marches tel un robot dans les couloirs du metro,

Oui ben je voudrais t’y voir, aussi, le visage masqué, en train de lire le journal, dans le métro, c’est pas comme ça qu’on a une démarche chaloupée non plus.
En plus, je me disais, faire le robot dans les couloirs du métro, ce serait pas un super moyen d’arrondir mes fins de pierre tombale ?
Je vais y penser.

Les gens ne te touchent pas faut faire le premier pas,

Dans le métro, masqué, je lis le journal et je fais le con avec ma démarche de robot et personne ne me touche ?
On parle bien du métro, le moyen de transport, pas du Métro, le bar à Moudon ?

Tu voudrais dialoguer sans renvoyer la balle,

Oui, tant qu’à faire. J’ai jamais été très doué pour les jeu de raquettes, alors si on pouvait causer autour d’une bière plutôt que d’une table de ping-pong…

Impossible d’avancer sans ton gilet pare-balle.

Bravo pour cette rime, il fallait la trouver !
Mais je digresse.
Oui, donc je suis mauvais au ping-pong, mais pas à ce point, non plus.

Tu voudrais donner des yeux a la justice
Impossible de violer cette femme pleine de vices.

Ah ben oui, vas-y, maintenant, pour dire un truc drôle et pertinent alors que tu parles de viol, “c’est pas ma faute, monsieur le juge, elle avait des yeux, elle l’a quand même bien cherché !”. C’est malin.

Antisocial, tu perds ton sang froid.

Non, je suis parfaitement calme, c’est juste que c’est difficile d’enchaîner.

Repense a toutes ces annees de service.

Ah oui, un bon souvenir d’armée, ça détend toujours l’atmosphère, pas bête !

Antisocial, bientôt des annees de sévices,

Oui, c’est vrai, ce sont pas des souvenirs, parlons d’autre chose.

Enfin le temps perdu qu’on ne rattrape plus.

C’est bien vrai, le temps file, ma bonne dame. Mais c’est pas une raison pour faire des phrases où il manque des.

Ecraser des gens est devenu ton passe-temps.

Oui, mais bon, je fais pas mal de kilomètres, parce que j’en avais marre du métro. Alors au bout d’un moment, ça détend. Et puis je crois que s’ils n’ont pas d’yeux, ça compte pas.

En les éclaboussant, tu deviens gênant.

Ah, non ! Ecraser les gens bon, ok, de temps en temps, pour déconner, je veux bien. Mais les asperger, non. Un peu de respect.

Dans ton désespoir, il reste un peu d’espoir

Pardon, je sais bien que le temps perdu qu’on ne rattrape plus, mais tu serais pas en train de bâcler un peu tes paroles, là ?

Celui de voir les gens sans fard et moins batards.

Ah, oui, d’accord, j’avais compris phares ! Je trouvais ça logique.

Mais cesse de faire le point, serre plutot les poings,

Héhé pas mal la blague ! Elle tombe… à point !

Bouge de ta retraite, ta conduite est trop parfaite

Je te rappelle que j’écrase des gens. En les éclaboussant, en plus. Sans phares. Pardon, mais s’il y avait un permis à point pour les couloirs du métro, je n’aurais déjà plus de points.

Relève la gueule, je suis là, t’es pas seul

Ah oui tiens, salut, je t’avais pas vu ! Ca va ?

Ceux qui hier t’enviaient, aujourd’hui te jugeraient.

Bah, tu m’étonnes, je suis là à errer dans le métro et à faire n’importe quoi, les gens ne comprennent pas ça.

Antisocial, tu perds ton sang froid.
Repense a toutes ces annees de service.
Antisocial, bientot des annees de sevices,
Enfin le temps perdu qu’on ne rattrape plus. Qu’on ne ratrappe plus.
Tu bosses toute ta vie pour payer ta pierre tombale,
Tu masques ton visage en lisant ton journal,
Tu marches tel un robot dans les couloirs du metro,
Les gens ne te touchent pas,
Tu voudrais dialoguer sans renvoyer la balle,
Impossible d’avancer sans ton gilet pare-balle.
Tu voudrais donner des yeux a la justice
Impossible de violer cette femme pleine de vices.
Antisocial, tu perds ton sang froid.
Repense a toutes ces annees de service.
Antisocial, bientot des annees de sevices,
Enfin le temps perdu qu’on ne rattrape plus,
qu’on ne rattrape plus, qu’on ne rattrape plus, qu’on ne rattrape plus.

Non mais ok, ça m’agace un peu, ils pourraient faire un effort, quand même.

Antisocial, antisocial, antisocial, antisocial, antisocial, antisocial, antisocial, antisocial, antisocial, antisocial, antisocial, antisocial!!!

Tu te répètes pas un peu, quand même ?
Non mais ok, tu vas me dire que je suis un peu normalisant mais quand même, tu te répètes pas un peu ? Tu te répètes pas un peu ? Tu te répètes pas un peu ?
Ah ben tu vois, toi aussi, au bout d’un moment, tu perds ton sang froid.

Au final, c’est une très belle chanson, porteuse d’espoir, l’espoir de ne pas avoir de désespoir : il paraîtrait qu’à certaines heures, il y a suffisamment de place dans le métro pour faire le robot avec un masque en journal.

Les neiges du Kilimandjaro

April 20th, 2015

– Salut, c’est Gunda, ta community manager imaginaire !
– Tiens, mais je te croyais décédée ?
– Non. Bon, dis, tu sais, là, ton truc avec les paroles de chansons ?
– Ah ouais, ouais.
– C’était nul.
– Sympa l’ambiance.
– Mais bon, les gens aimaient ça, enfin, certains. Je me disais que tu devrais t’y remettre.
– Ouais mais moi, la musique de jeunes, j’y connais rien. A part Sofiane Stiven, j’adore, son projet de faire un album par état des Etats-Unis, surtout Pizza Hawaï et son album de reprises de classiques nord africains en ska, Allah Ska, et aussi Pizza Oregon et…
– Chut.
– Sinon, l’autre jour, pour savoir un peu ce qui était à la mode, je suis allé dans un magasin de CDs et…
– #facepalm
– Plaît-il ? C’était pas une série dans les années 80, ça ?
– Hein ? Non, je disais que plus personne n’avait mis les pieds dans un magasin de CDs depuis au moins huit ans.
– Ah ? Bon, en tout cas, j’ai vu un peu les dernières sorties. La bande à Renaud, Joyeux anniversaire m’sieur Dutronc, Aznvour sa jeunesse, Ferrat airs de liberté. Je crois que les jeunes écoutent des reprises de chanteurs morts par Zaz et Louane. Du coup, je me suis dit qu’il fallait devancer la mode plutôt que la suivre.
– Je crains le pire.
– Je me suis dit que j’allais anticiper les prochaines sorties, Buddy Holly chante Richard Anthony, souviens-toi Barbara, Johnny dans l’idée, Quand Lama fâché, les choses à Clerc, les brêles chantent Brel…
– Ah tiens, non, je ne craignais pas le pire.
– Au bistro d’Obispo, Barbelivien nous barbe…
– Puisque c’est comme ça, je m’en vais faire community manager imaginaire d’un blog féministe vegan.
– Polnareff, tu l’aimes ou Cétélem. Oasis chante Carlos.
– D’accord, mais qu’est-ce que tu vas nous chanter ?
– Capri, c’est fini.
– Mais enfin, Hervé Vilard n’est pas mort.
– Alors c’est une très belle chanson, porteuse d’espoir, qui parle de quelqu’un qui va finalement aller en vacances ailleurs parce qu’il n’a rien trouvé de bien sur AirBnB. Mais qui dramatise un peu.

Dors mon fils

April 8th, 2015

Tu viens de te porter acquéreur d’un charmant nouveau-né. Depuis, le bonheur inonde ton c½ur comme un frais torrent au petit matin.

La première fois que tu as pris ce petit être fragile et désemparé dans tes bras et qu’en quelques secondes à peine, ses pleurs ont cessé, tu t’es senti aussitôt envahi d’une infinie émotion. C’était il y a quelques semaines à peine. C’était il y a 6700 kilomètres environ.

Car ce petit être fragile et désemparé ne cesse de pleurer que si tu le prends dans tes bras et que tu fais les cent pas dans le couloir avec lui. A chaque fois se mêlent la fierté de savoir le rassurer, la tendresse, le bonheur. Mais surtout l’ennui. Quarante aller retour au milieu de la nuit dans un appartement, certes décoré avec style et chamarrage, mais enfin, ça reste un peu toujours le même, à force, ça saoule. L’ennui, donc, et les ampoules, aussi.

Comment utiliser intelligemment ce temps mis à ta disposition, en général entre 3 heures 30 et 5 heures 20 du matin ?

– Les cent pas dans l’appartement, ce n’est pas vraiment du sport. Mais installe un parcours d’obstacles et très vite, ce petit rituel remplacera avantageusement l’abonnement au fitness où tu n’as plus mis les pieds depuis six mois, ce qui est tout à ton honneur. Bientôt, tout le monde se pâmera sur ton corps d’athlète, ce n’est pas parce que la gaudriole, c’est fini pour au moins quinze ans qu’il faut se laisser aller.

– Equipe-toi d’un compte-pas. Calcule la distance parcourue. Détermine où tu serais si, au lieu d’allers et retours, tu t’étais contenté d’allers. Puis, à l’aide d’un internet portatif, plonge toi dans des photos de cet endroit. Quel beau voyage !

– Tu peux également prendre de l’avance sur ton ménage : à chaque aller, tu fais un bout de vitre, à chaque retour, un peu de rangement et que de temps gagné pour demain, avec un peu de chance tu pourras même inscrire une sieste de sept minutes au programme. Deux serpillères habilement glissées sous tes pieds, une éponge sur la mignonne petite tête de bébé et tout cela n’en sera que plus ludique.

– Connais-tu l’expression “C’est une histoire à dormir debout !!!” ? C’est l’occasion de vérifier si on peut.

– C’est le moment ou jamais d’apprendre les claquettes !

– En revanche, il faudra peut-être abandonner cette idée d’essayer de marcher sur les mains pour changer un peu.

– Pourquoi ne pas équiper ton enfant d’un petit enregistreur, ce qui te permettra ensuite de retranscrire au calme les douces berceuses que tu improvises pour lui, les charmantes histoires que tu inventes nuit après nuit. Qui sait, parmi les prochains grands succès en librairie, on pourrait retrouver Eduardo le renardeau qui ne voulait pas faire dodo, Roro le lapereau qui va réveiller tout l’immeuble, Alfonso le souriceau qui a avalé du sédatif par erreur, Pascal le chacal abandonné par ses parents dans la forêt.

– Et tant qu’on y est, pourquoi ne pas profiter de l’aubaine pour devenir le génial inventeur du bonnet pour bébés à écran tactile ? Ensuite, tu pourras, tout en caressant délicatement la douce chevelure naissante de ce charmant enfant, enfin passer le niveau 648 de Candy Crush.

– Et carrément, le premier réseau social pour jeunes papas, où vous pourrez discuter et échanger.
Echanger de l’expérience, donc. Des bébés, c’est interdit.

– Interdit, donc sûrement lucratif. Y as-tu songé ?

Imagine tous les gens

March 12th, 2015

Aujourd’hui, posons-nous cette question bien légitime, surtout en cette saison :

Faut-il avoir de l’imagination ?

Comme ça, à brûle pourpoint, vous allez me répondre “ben ouais, carrément, c’est trop bien l’imagination, par exemple… bon là j’ai pas d’exemple qui me vient en tête, mais, bon, je sais pas, par exemple… il y a un type, il te demande, bon, et là… enfin, bon, ouais, c’est super, l’imagination.”

C’est une réponse un peu facile.

L’imagination est en effet quelque chose de complètement surestimé, au même titre que la folk ou le Nutella (mais pour des raisons différentes). Grâce, probablement, à un excellent Community Manager, l’imagination a très bonne presse, alors qu’elle n’est pas toujours bonne conseillère.

Prenez, par exemple, ce charbonnier italien du XIXe siècle. Lui et ses collègues de charbonnage ont faim. Mais ils sont bien embêtés : ils ne possèdent ni lardons, ni crème fraîche, ni ail. Même pas de minuteur pour vérifier le temps de cuisson des pâtes. Juste un oeuf, un peu de pancetta et du pecorino. Soudain pris d’une impulsion subite, il s’exclame : oh tiens, si je mélange ça comme ça et après comme ça, ça donne un truc pas dégueu, je vais appeler ça pasta alla carbonara en hommage à Claude Chabrol. Alors d’accord, il a fait preuve d’imagination. Mais est-ce vraiment grâce à lui qu’aujourd’hui tu peux te repaître de ce succulent plat roboratif, ou est-ce plutôt grâce aux générations qui, depuis, te surveillent du coin de l’oeil, prêts à s’exclamer : “Han, c’est pas le bon fromage ! C’est pas le bon fromage ! Sérieux, mec, je te dénonce, tu vas faire quoi ?, j’appelle la pasta police de ce pas, on va te retirer ton permis de spaghetti illico presto, sérieux” ?

Alors vous me direz ouais mais bon mais ok, mais quand même, mais l’art, la littérature, le cinéma, la sculpture sur bois, la religion, il faut de l’imagination pour inventer toutes ces merveilles qui nous émerveillent. Mais pour un auteur qui révolutionne le genre – et meurt seul dans son bain en mangeant des raviolis, combien de groupes de rock qui décident de se lancer dans une fanfic de Led Zep, mais en remplaçant les synthés par du didgeridoo, les enfants ont adoré, et connaissent succès, prospérité et inrockuptibles ?

Une seule personne suffit pour dire “En fait, tout ça a été créé par un chien qui rêve” ou “Le monde est porté par quatre éléphants posés sur le dos d’une tortue”, mais ça ne sert à rien si, derrière, il n’y en a pas quelques millions pour dire “wowowo, tu as dit cinq éléphants ? cinq ? non mais ok, je suis pour la liberté d’expression et tout, mais on va être obligé de te trancher le cou, là, sinon c’est la porte ouverte”.

Et pour qu’un type qui se dit “non en fait la barbe et les lunettes, ça pique, je vais plutôt porter un caraco fuchsia et un suivez-moi-jeune-homme en fourrure” passe de dangereux asocial à génial précurseur, cela ne dépend pas de son imagination, mais de celle de tous ceux qui auront ensuite l’idée de faire exactement comme lui.

Pensez à tous ces gens, qui rêvent de lendemains meilleurs, qui rêvent d’un monde où nous serions tous frères, main dans la main, unis et fiers, heureux et libres. Et pensez maintenant à tous ceux qui disent “bah, ça a toujours été comme ça, alors bon, je vois pas pourquoi ça changerait”. Lesquels feront la gueule, demain matin, en voyant que nous ne sommes pas tous frères, ça a bien failli, mais ça a dégénéré en baston général à cause d’un hérétique qui mettait du chorizo et des supions dans sa carbo ?

Et là, vous me voyez venir. “Il va ENCORE nous faire le coup du billet sans chute, je parie, il va dire un truc du genre il faut de l’imagination pour une bonne chute”. Et c’est précisément là que je voulais en venir, alors c’est bien la preuve.