Techniquement, la semaine du poney magique est terminée. Mais un joyeux retardataire m’a envoyé ce texte chatoyant, que je ne pouvais mettre de côté. L’occasion de vous remercier une fois encore d’avoir été si sémillants. C’est désormais scientifiquement prouvé, ce blog a les meilleurs lecteurs du monde.
– Oui, je sais bien que c’est trop tard, mais j’ai un billet.
Quiconque connaissait Monsieur Duètre ne se serait pas étonné de le voir manquer de ponctualité, mais aurait décelé un certain aplomb pour le moins déconcertant. Son interlocuteur ne s’en sentait lui-même pas pour autant moins décidé à le rembarrer fissa.
– Justement, pour les billets externes, je vous le dis : là, c’est trop tard. Si je commence à faire des exceptions avec une personne, demain il y en aura deux, après-demain quatre et avant même de l’avoir réalisé, je serai en train de devoir calculer des séries géométriques. Vous imaginez bien que je n’ai pas que ça à faire ! Si vous avez des choses à dire, allez l’écrire en commentaire sur 20minutes.ch, apparemment rien n’y est refusé…
– Non, non, mais quand je parle billet, je veux dire un billet de vous.
– Un billet de moi à mettre sur mon blog… oui, c’est effectivement un peu le principe. Vous voudriez aussi mon numéro de compte pour pouvoir y verser l’argent qui s’y trouve déjà ?
Duètre ne perçut pas l’ironie car il commençait à désespérer de se faire comprendre. Si c’était déjà à ce point compliqué alors qu’il n’avait même pas débuté les explications inévitablement compliquées sur son aventure, ne fallait-il pas renoncer tout de suite ? Il ne savait pas vraiment pourquoi il faisait ça, de toute façon. La gloire, comme les femmes, ne lui manquait pas.
– Non, mais je ne parle pas d’argent. Enfin, si, des fois, comme tout le monde, sauf sur mon salaire bien sûr, mais le fait est que ce billet, c’est juste un mot de votre part.
– Un mot ? Genre « Non ! » ? « Ouste ! » ? « Dehors ! » ? « Chleuasme ! » ?
Il le faisait exprès, pas de doute. Comment pouvait-il ne pas remarquer le papier agité sous son nez avec frénésie depuis le début de ce chat sur IRC ?
– Là. Une note écrite de votre part. Pour vous. Pas pour votre blog. Pour expliquer mon retard :
« Cher moi (comme je te connaîs aussi bien que moi-même, je me permets de te jejoyer), merci d’excuser le retard de Monsieur Duètre. Un bête accident de poney, pas le temps d’expliquer. Toi. »
– C’est clair que ça ressemble à mon style, mais le plagiat, vous savez, c’est un genre littéraire qui demande du talent pour avoir un minimum d’intérêt. Maintenant que l’accès guest est terminé, il ne suffit plus d’ajouter le mot « poney » pour être publié. S’il y avait au moins des explications de paroles, une évocation des sept ans passés, des aventures préhistoriques ! Vous vous rendez-compte que c’est juste mauvais ? Et je dis ça pour être gentil ; parce que si je voulais être méchant, j’irais créer un groupe Facebook contre les enfants aveugles roux.
– Mais ce n’est pas un plagiat, ni même une blague, c’est bien vous. Regardez, c’est votre signature électronique.
Les bits lui étaient effectivement familiers. Repoussant cette idée déconcertante dans le placard des névroses non résolues, il se demandait où pouvait se trouver la supercherie. Peut-être s’appelait-il Alice ou Bob ? Et fallait-il vraiment continuer à s’imaginer abusé farouchement par un man-in-the-middle ?
– Écoutez, je me souviendrais si je m’étais écrit, non ? C’est quoi ce bordel, à la fin ? J’ai un clone ? Ça vient d’un univers paralèlle ? D’un moi du futur peut-être ?
– Oui… voilà. Cest un peu ça. Du futur. Je sais que ça fait cliché, hein. Enfin, pas autant que celui de le dénoncer en espérant qu’il sera pardonné, mais au point où j’en suis. Il faut dire que vous n’étiez pas censé le savoir, ni même apparaître une seconde fois dans l’histoire. Mais puisque nous y somme, je vous la fais courte, comme Bayne.
Ayant terminé mon texte hier, j’ai voulu l’envoyer une semaine avant, histoire d’être encore dans les délais. La poste n’étant plus ce qu’elle est, il me fallait trouver un autre moyen. J’ai donc consulté le Grand Oracle Omniscient, Gardien du Livre de l’Entendement, et ai cru comprendre que le seul moyen d’envoyer de l’information vers le passé, c’était en tuant mon grand-père. Seulement, j’en ai plus que deux, aux qualités aussi physiques qu’antiques, donc c’était pas vraiment pratique.
– Je… enfin… comment…
– Exactement ! Et c’est là que j’ai eu l’idée d’aller deux mois dans le futur, au moment de mes vacances pour ne pas trop me déranger, histoire de me demander comment j’avais réglé le problème, ce qui allait justement faire apparaître un paradoxe, que j’espérais aïeulicide.
– Et donc… vous m’avez croisé dans le futur ?
– Euh… j’imagine. En fait, je ne m’en souviens pas encore, puisque je ne l’ai pas encore vécu. Je me suis juste retrouvé ici avec ce papier…
– Bon. Je crois qu’on va passer un marché. Je publie exceptionnellement votre texte en antidatant, vous me donnez en échange une aspirine et vous me promettez de ne plus jamais parler de tout ça, même pas dans le futur, ok ?
– Ben, euh… justement, c’est là que se situe le dernier problème à propos duquel j’espérais pouvoir vous entretenir dans l’espoir que votre compréhension aurait permis de nous arranger en trouvant un compromis qui soit aussi une sorte de solution au souci qui se pose dans ma demande, à laquelle je voudrais ajouter que…
– OUI ?
– Que… c’est que ce que j’avais écrit… eh bien je l’ai oublié y a dans deux mois. Ce serait possible d’avoir un délai supplémentaire d’ici qu’on y soit ?