Dans l’humour, une des choses les plus importantes, c’est d’avoir les mêmes référents que ses interlocuteurs.
Imaginez, par exemple, que vous racontiez une excellente blague sur les chauves à quelqu’un, mais que cette personne ignore que les chauves sont des êtres malicieux et intransigeants. Il ne va pas la comprendre.
Prenons un autre exemple. Celui de la toute première personne au monde à avoir raconté cette excellente blague : “Que dit un Belge quand il voit une peau de banane par terre”.
– Hé, j’en ai une bonne ! Tu sais ce que dit un Belge quand il voit une peau de banane par terre ?
– Oui, il dit ça alors, quel laisser aller, les gens ne respectent plus rien, dans quel monde vit-on ?, ah mais voilà que j’aperçois une poubelle au loin, je vais y jeter cette peau de banane, mais en marquant ma désapprobation par un soupir sonore.
– Pas du tout. Il dit “zut, je vais encore tomber”.
– Ah bon ?
– Oui.
– Mais c’est un ami à toi ?
– Non, non, un Belge normal, enfin, n’importe lequel. C’est une blague.
– Mais pourquoi dit-il ça ? C’est bizarre, non ?
– Oui mais les Belges sont bêtes.
– Ah bon ?
– Oui.
– Tous ?
– Oui.
– Même à l’université de Louvain-la-Neuve ?
– Ohlala, ne m’en parle pas.
– Mais il y en a pas un qui a eu un prix Nobel ?
– Il y a un système très complexe de pénalités, comme au saut à ski.
– Tu sais pourquoi il n’y a pas de tremplins de saut à ski, en Belgique ?
– Non ?
– Moi non plus.
Puis, après une courte hésitation :
– Mais au fait, il y a un truc que je ne comprends pas avec ta blague…
– Oui ?
– Pourquoi il tomberait ?
– Les peaux de banane, ça glisse.
– Ah bon ?
– C’est connu. Des milliers d’accidents chaque année !
Il a fallu des années pour qu’enfin, les gens sachent que les Belges étaient bêtes. Et pour que l’on puisse rire de bon c½ur aux blagues, des générations de courageux ont dû se sacrifier sur l’autel du bide. Jusqu’au jour où :
– Hé, super ta blague sur les bananes, là. J’en ai une autre. Combien de Belges pour changer une ampoule ?
– Un seul.
– Mais non, parce qu’ils sont bêtes.
– Non.
– Mais si, enfin, c’est toi qui me l’avais appris à la blague précédente.
– C’est fini, ça. Ils sont comme nous, maintenant. Ce sont désormais les blondes qui sont bêtes.
– Ça alors !
– Oui.
– Toutes ?
– Oui.
– Même celles qui enseignent à l’université de Louvain-la-Neuve ?
– Ohlala, ne m’en parle pas.
– Hé bien, ça alors.
– Oh, d’ailleurs, tu sais ce que dit une blonde qui voit une peau de banane ?
– Quel laisser aller, les gens ne respectent plus rien, dans quel monde vit-on ?, ah mais voilà que j’aperçois une poubelle au loin, je vais y jeter cette peau de banane, mais en marquant ma désapprobation par un soupir sonore.
– Non, ça, ce sont les Belges.
– Ah… alors je ne sais pas.
– Elle dit “oh zut, je vais encore tomber”.
– Ça alors, excellent ! Je connaissais la même blague, mais avec un Belge.
– C’est insultant.
Puis, après une courte pause:
– Au fait, combien de blondes pour changer une ampoule?
– 378
– Excellent !
Evidemment, tout cela demande de la coordination. On ne peut pas décider, tout seul, chez soi, un beau matin, de changer les référents humoristiques. Il faut d’abord faire un peu de lobbying auprès des autorités mondiales de la blague, mener des études de marché. C’est très compliqué. Il y en a qui ont essayé, ils ont eu des problèmes.
Par exemple, prenez cette blague :
– Tu sais ce que dit un Suédois quand il va au bowling ?
– Non.
– Il dit : j’espère que je ne vais pas rater le bus, j’ai perdu ma montre.
– Ah bon ? Rien compris.
– C’est parce que les Suédois se font souvent voler leur montre et que leurs bus sont très ponctuels. Et qu’ils adorent le bowling.
– Je l’ignorais.
– Maintenant que tu le sais, je vais te raconter la blague à nouveau ! Tu sais ce que dit un Suédois quand il va au bowling ?
– J’espère qu’il n’y aura pas trop de peaux de bananes par terre, j’ai horreur de ça !
– Oui. C’est vrai. C’est ce qu’il dit.
– Quels cons, ces Suédois !
– Lol !
L’autre chose la plus importante, c’est d’avoir une bonne chute et oh, regardez ! une peau de banane !