Archive for November, 2013

Papououtai

Friday, November 29th, 2013

Osgor le dendrolague était bien malheureux. Partout, à la télé, dans les journaux, sur Internet, il n’y en avait que pour les pandas roux, les pandas normaux, les dauphins, les quokkas. « Moi aussi », se disait Osgor, « je suis mignon et pelucheux et personne jamais ne parle de moi, que ne me voilà pas bien malheureux ! »
Or, vous le savez, les enfants, il est important pour nos amis les animaux de bien soigner leur personal branding. Trop d’entre eux, faute d’un plan de carrière bien réfléchi, se sont éteints sans qu’aucun blog BD ne s’en émeuve. Osgor décida donc de parcourir le vaste monde à la recherche de la notoriété pour lui et ses congénères.


« je m’en vais parcourir le vaste monde à la recherche de la notoriété pour moi et pour mes congénères, sauf les dendrolagues de Doria, ces losers.

Osgor errait dans les forêts de Papouasie, quand il tomba par hasard sur un spécialiste en consulting qui était venu là se recentrer sur lui même.
– Ouah, un lapin bizarre », s’exclama le spécialiste en consulting.
– Oh, hé, lapin toi-même ! Je suis un dendrolague.
– Dendroquoi ? Ohla mais tu ne vas jamais buzzer sur les réseaux sociaux avec un nom pareil, il va falloir changer ça.
– Justement, vous tombez bien, car j’aimerais revoir mon positionnement stratégique.
– Très bien, je vais analyser ton branding, je reviens vers toi asap.
– Asap, c’est pas de l’indonésien ? Je suis plutôt papouasien, moi.

Le spécialiste en consulting s’en fut à travers la forêt et ne revint jamais (car il savait que les dendrolagues n’ont pas les moyens de se payer ses services). Osgor l’attendit pendant bien des lunes. Il eut le temps de réfléchir à ce que lui avait dit son nouvel ami : peut-être que sa faible notoriété était due à son nom trop peu impactant. Il décida donc qu’il fallait en changer. Il partit pour la Nouvelle-Zélande rencontrer son ami l’aptéryx, qui avait pas mal réussi à se faire un nom en sponsorisant une équipe de rugby et un fruit.

– Ben je sais pas, kangourou arboricole, c’est bien, par exemple ? C’est important, pour nous autres animaux austraux, de tout miser sur les joueurs de Scrabble. Tout le monde aime le Scrabble.
– Je suis pas un putain de kangourou. Les kangourous, ils font des bonds, c’est ridicule.
– Ah oui mais il faut y mettre un peu du tien, il faut savoir faire des concessions.
– J’avais pensé à : L’Intrépide. Ou Lady Gaga.

Osgor le dendrolague s’en revint dans sa Papouasie natale. Mais ses amis ne comprenaient pas où il voulait en venir avec ses histoires de changement de nom. Eux, ce qu’ils voulaient, c’était avant tout grimper aux arbres, manger des feuilles et se reproduire. Le marketing, si ça ne se mangeait pas, ça ne les intéressait pas, disaient-ils, car ils étaient frustes et rétrogrades.

Bien malheureux, Osgor pleurait toutes les larmes de son petit corps pelucheux.

C’est alors qu’il rencontra un célèbre cuisinier, venu se ressourcer.

– Mais enfin, ne pleure pas, petit animal pelucheux ! Tiens, goûte donc à ceci, ça te redonnera le sourire.
– Ça alors, une soupe de haricots froide !
– Ah pas du tout, pas du tout, je comprends la méprise mais il s’agit d’un petit cappuccino glacé de mogettes vendéennes AOC !
– Ça alors, peut-être pourriez-vous m’aider à trouver un nouveau nom ?
– Hé bien… Oui, nous allons partir sur une petite déclinaison de marsupial duveteux et son espuma de sous-bois sur lit de mangrove.

Mais le dendrolague, qui était par nature méfiant, se méfiait. Il décida alors de s’adresser à un spécialiste des réseaux sociaux.

– Ah ben oui, faut pas t’étonner que personne ne te connaisse si tu lagues ! Pense à redémarrer ta box !
– Quoi ?
– Non, rien. Donc. Bon, alors pour te faire connaître, le mieux c’est de faire un bon gros Fail, ensuite, un petit tweet d’excuse pour rassurer ta communauté et le tour est joué, 5000 followers en un tournedos. Est-ce que tu pourrais mordre quelqu’un ?
– Je suis essentiellement feuillivore.
– Ah, tu es vegan ? Pas mal, on va pouvoir travailler là-dessus. Bon. Mais est-ce que tu es sexiste ?
– Ben… je suis un marsupial, seules les femelles portent le petit dans leur poche, chez nous.
– Quoi ? Mais tu te crois encore à l’époque des dendro des cavernes ou quoi ? On est en 2013, merde, je peux pas bosser dans ces conditions.
– Diprotodon. Le marsupial des cavernes ça s’appelle diprotodon.
– Protodon.

Alors Osgor le dendrolague s’en fut. Il décida de fonder une association des animaux mignons injustement méconnus, avec le coati, le pademelon et le dik-dik. Mais les animaux moches injustement méconnus, dont l’oryctérope se fit le porte-parole, trouvèrent ça profondément injuste. Puis, les animaux ni spécialement moches ni particulièrement mignons décidèrent de se mêler à la conversation, on les a beaucoup vus à la télévision ces derniers temps, notamment dans cet impressionnant duo avec Miley Cyrus.

Puis, alors que tout le monde se disputait, Osgor s’exclama “oh, et puis merde”. Tout le monde trouva qu’il avait bien raison et dansa la ronde de l’amitié.

(D’autres contes de Noël du monde entier, avec d’autres animaux malicieux, dans notre ouvrage Le sens du Poil, en vente dans tous les bons internets !!)

Autofriction

Friday, November 22nd, 2013

Ce matin-là, il fallait que j’emmène ma voiture chez le garagiste pour un petit contrôle de routine, on n’est jamais trop prudent, à cet âge, et pour ses pneus neige, l’hiver arrivait, les réseaux sociaux étaient formels, trois photos de neige sur Instagram et de nombreuses références à Game of thrones sur Twitter, et c’était amusant parce qu’il m’était arrivé exactement la même chose la semaine précédente, mais le garagiste n’avait pas immédiatement déduit que pour les pneus neige, j’allais avoir besoin de pneus neige. Et c’est une leçon de vie importante que nous apprend cette anecdote, parfois, des choses qui nous semblent évidentes méritent pourtant d’être dites, comme la fois où on m’avait dit “pour venir chez moi, tu descends du métro à Lamarck-Caulaincourt”, mais comme on ne m’avait pas dit de monter préalablement dans le métro, je m’étais perdu.

Le garagiste m’avait dit “elle sera prête à 11 heures 30”, alors j’attendais 11 heures 30. N’importe qui, quand son garagiste lui dit “elle sera prête à 11 heures 30”, attend plutôt 14 heures 52, mais, malgré des années de pannes, je reste naïf en matière de garagistes. 11 heures 30, ça n’a pas l’air d’un rivage si lointain, comme ça, d’ailleurs là il est 10 heures 22, c’est plus proche qu’à l’époque, t’en souviens-tu, ma mie ?, où il était 8 heures 47, le bon vieux temps, mes cheveux ondulaient dans le vent, tu riais, le monde nous appartenait, enfin, c’est bien fini tout ça, là, il est 10 heures 22, tu devrais pas être au boulot ?

Le garage était situé dans l’une de ces zones commerciales construites dans une époque étrange, la fin du XXe siècle, où les gens se déplaçaient uniquement en voiture. Pour se rendre au centre commercial tout proche, il fallait traverser des fleuves de béton hostile. Et c’était un centre commercial. Il n’y a guère que dans les séries américaines que cela peut paraître un horizon réconfortant. Pour les gens normaux, “j’ai quelques heures à tuer, je vais aller au centre commercial” est une phrase à peu près aussi probable que “j’ai un peu faim, je vais me manger le bras gauche”.

D’ailleurs, tiens : quand je suis revenu du centre commercial, t’en souviens-tu ? c’était le bon vieux temps, il était environ 8 heures 49.

Entre-temps, j’avais manqueé de me faire écraser par une automobiliste qui m’avait dit “désolée, désolée, mais quand même, vous auriez pu faire attention, merde, mais quand même, désolée”, je lui avais répondu “non mais y a pas de mal, ça arrive”, c’est la version vaudoise de “non mais c’est à toi de faire attention, connasse”, et pendant ce temps-là, des automobilistes ponctuaient ce passionnant échange de passionnants coups de klaxon, car l’automobiliste est ainsi, il klaxonne, je le sais, j’en serais un moi-même si j’avais des pneus neige.

J’avais aussi visité le centre commercial et fait cette constatation intéressante : soit x le nombre de magasins de vêtements uniquement consacrés à la gent féminine et f(y) la part de vêtements dédiés à la gent masculine dans les magasins de vêtements de type mixte, alors on peut en déduire que les hommes se promènent nus, lors que les femmes portent en permanence 19 couches d’habits.

Puis je suis arrivé au garage, et il restait encore pas mal de temps à tuer, j’aime mieux vous dire. J’aurais pu aller regarder les voitures, mais qui fait ça pour le plaisir ? J’ai imaginé sans complexe un espèce de grand salon où les gens iraient annuellement s’entasser pour regarder les nouveaux modèles de voiture, avec des jeunes femmes ne portant manifestement pas 19 couches de vêtements à côté pour faire ressortir le côté turquoise de la voiture, et j’ai ri de mon audace, un salon de l’auto, tu imagines ?, pourquoi pas aussi des courses de voitures, tant qu’on y est, où vas-tu pêcher des idées pareilles, vraiment, on se demande ! Il restait pas mal de temps à tuer alors j’ai demandé le code du wifi et on me l’a donné, le monde est bien fait. On ne le dit jamais assez, mais Internet, quand on a du temps à perdre, c’est pratique. Je lus un article passionnant sur un village où tous les patients souffrent d’Alzheimer, pas à cause d’une malédiction ou de ce qu’ils mettent dans l’eau, hein, c’est fait exprès !, et je me dis que ça aurait fait un billet de blog intéressant, tiens, je vais le noter quelque part. Seulement, j’étais dans un garage, je ne pouvais pas aller sur des sites de chatons, ça m’aurait un peu gêné. Alors je me suis dit que j’allais travailler, je suis présentement en train d’écrire un roman générationnel, parce qu’aujourd’hui, c’est important que tout soit toujours générationnel, c’est un truc générationnel. Même les quiches, je crois, sont générationnelles, de nos jours. Et gourmandes, mais c’est un autre sujet. Seulement voilà, j’en étais à la scène où le beau professeur de l’université de Harvard revoit Flanagan, son amour de jeunesse, qui l’a quitté pour un vampire, mais la passion qui jadis les animait rejaillit de leurs grands yeux fuchsias, alors ils décident de faire fi du poids des années et, comme au bon vieux temps, leurs corps brûlants de désirs s’unissent vers des cieux où jamais il ne pleut, et ensuite ils baisent, mais comme c’était un passage assez technique de la narration, ça me gênait un peu de l’écrire au milieu des cris de clés à mollette, vous savez ce que c’est, mais savez-vous si mollettes s’accorde avec clés ?, alors je fis autre chose. Je lus un article passionnant sur un village où tous les patients souffrent d’Alzheimer, pas à cause d’une malédiction ou de ce qu’ils mettent dans l’eau, hein, c’est fait exprès !, et je me dis que ça aurait fait un billet de blog intéressant, tiens, je vais le noter quelque part.

Puis il n’était toujours pas 11 heures 30 alors je me dis que j’allais raconter les palpitantes aventures sur mon blog, car elles étaient pleines d’enseignements tels que les pneus neige c’est important, les bébés pangolins c’est joli, ah non tiens, ça ne parlait pas de ça, les garagistes ont le wifi, les centres commerciaux c’est dangereux, enfin, ce genre de choses, puis j’écrivis, puis je sentis que j’approchais du point final, mais il n’était toujours pas 11 heures 30, décidément. Puis je lus un article passionnant sur un village où tous les patients souffrent d’Alzheimer, pas à cause d’une malédiction ou de ce qu’ils mettent dans l’eau, hein, c’est fait exprès !, et je me dis que ça aurait fait un billet de blog intéressant, tiens, je vais le noter quelque part.

Puis il n’y avait aucun lien vers Le sens du poil dans mon dernier post, alors j’en mis un.