Faut-il s’en inquiéter ?
Je sais pas toi, mais le matin, dans ma voiture, j’écoute les nouvelles radiophoniques pour avoir des trucs à raconter sur Twitter parce que c’est important d’être bien informé.
En ce moment, entre deux élections, pas mal de classements, à cause de la fin de l’année qui s’en vient avec son cortège de flocons. Le classement des villes avec la meilleure qualité de vie, le classement des villes les plus chères (étonnamment similaire), le classement des personnalités préférées des guatémaltèques, des 300 personnes les plus riches du pays (mais pas celui des 300 les plus pauvres, je ne sais pas pourquoi). Et le classement des meilleures raisons de s’inquiéter.
Pour quelqu’un comme moi, qui aime écouter les nouvelles, c’est très important, comme classement. Parce que c’est vrai. Entre la crise qui s’en vient et les agences de notation qui risquent d’enlever des A sans crier gre, la peur de l’insécurité, l’inquiétante montée de l’intégrisme religieux, l’étonnante stabilité de l’intégrisme fromager, les sourdes menaces de l’UDC qui pourrait entrer dans l’opposition (ça, j’avoue que ça m’angoisse, j’étais sûr qu’ils y étaient déjà), le FC Sion qui pourrait faire recours (personne n’est à l’abri), et la fin du monde dans moins d’un an, difficile de savoir avec certitude de quoi avoir peur. Ce classement permet donc d’y voir plus clair, entre les sources d’inquiétudes sérieuses et les plus secondaires, comme la peur d’une invasion de la Terre par des fourmis de 18 mètres.
Ce qui est rassurant, c’est que ce classement-là est fiable. C’est vrai, prends les « villes où il fait le plus bon vivre ». Comment ils font ? Ils envoient une dizaine de scientifiques s’attabler, en début d’après-midi, sur une terrasse ensoleillée de Khartoum ou de Reykjavik, le vent s’engouffre dans leurs cheveux auburn, au loin, les douces mélopées des oiseaux insouciants s’élèvent comme de gais madrigaux, une légère brise caresse leur joue rouge d’avoir trop ri, c’est le printemps, ils ont envie de chanter, et ils comparent ? “Alors, Tegucigalpa, j’ai mis un 7 en mélopées, un 5 en légère brise mais un 10 en café” ? Tout ça ne me dit rien qui vaille.
En revanche, pour le classement des trucs inquiétants, je comprends comment ça se passe et comme j’ai un esprit très cartésien, ça me rassure : ils téléphonent à des gens. C’est simple, c’est carré. Tu es en train de préparer le souper (j’aurais dû prévenir au début que ce post ne convenait pas aux personnes sensibles aux mises en situation, peut-être), très simple, très léger, du soufflé de cardons à l’infusion de jambonneau, le téléphone sonne, Gunda, ta charmante épouse, est en train de prendre son bain aux sept céréales, du coup, tu décroches mais tu es un peu tendu, c’est écrit sur Marmiton que si tu ne brasses pas ton appareil avec la vigueur d’un kayakiste, rien ne sera plus jamais pareil, mais dans le doute, tu décroches, c’est peut-être important et là, un étudiant (il ne te l’affirme pas, mais tu le sens, l’instinct ne trompe pas) au ton incertain te prévient que c’est pour un sondage, qu’il n’y en a que pour quelques minutes et que sur une échelle de 1 à 10, quelles sont vos principales sources d’inquiétude quant à l’état général de la société et peut-on raisonnablement dire qu’il y a encore des saisons ? il te dit son prénom mais tu ne le retiens pas, alors appelons-le Randoald.
– Ma principale source d’inquiétude ? Le souper qui va brûler ! »
– Non mais j’ai pas ça sur ma liste, il faut des trucs plus universels. »
– Je comprends. Je suis inquiet quant à votre honnêteté, parce que si y en a pour trop longtemps, je vais être en retard pour mon souper et s’il n’est pas sur la table à 19h30, Gunda, ma splendide épouse, me donne du bâton. »
– La montée des violences domestiques ? Excellent choix, monsieur. »
– Non, non, attendez, ne notez pas ça… Moi, je suis inquiet parce que Jennifer Aniston a été nommée femme la plus sexy de tous les temps, et ça, ça me stresse quant à l’état ophtalmologique de l’univers. »
– Pas sur ma liste. »
– Et aussi, dans les 30 meilleures chansons de l’année, je n’en connais aucune, et ça, c’est le signe qu’on devient vieux. »
– La peur de la mort, je note ? »
– Ben… non, la peur de prendre du bide, de devenir chauve et de ne plus avoir le temps de visiter toute l’immensité d’un si grand univers, surtout. »
– Pas sur ma liste. »
– Vous avez quoi sur votre liste ? »
– Je ne peux pas vous influencer, monsieur. »
– Allez, Randoald, on se connaît, maintenant. »
– Le chômage. Les gens ont peur du chômage. »
– Ah non, moi j’aime bien… Notez l’insécurité, alors. »
– Très bien, merci, et bon appétit. »
– Je vous en prie, Randoald. Il y a assez de gigot pour trois, passez donc, le petit vous fera un dessin. »
– Ah, vous avez des enfants ? Désolé, alors, pour des raisons d’échantillonnage, je ne pourrai pas prendre en compte vos réponses. Au revoir et bonne soirée, monsieur. »
– Et vous, Randoald, de quoi avez-vous peur ? »
– de ne pas réussir à remplir mon échantillonnage. Il me manque encore trois personnes entre 12 et 14 ans, professeurs de flûte et gagnant plus de 15 000 francs par mois pour finir ma soirée. »
– Courage. »
En résumé, il ne faut pas s’inquiéter, les mecs des classements auront toujours beaucoup de perspectives d’avenir.