Comme son arrière-cousin par alliance, Paco Tyson aimait la boxe. Tout petit, déjà, il essayait de partager cette passion avec ses amis, échangeant généreusement crochets et uppercuts contre un sandwich au beurre de cacahuètes. Mais ses amis, des gauchistes peu enclins à saisir la froide beauté de ce sport, ne le voyaient pas de cette oreille et, de fait, il n’en avait plus vraiment, d’amis. D’oreilles non plus, maintenant que tu m’en parles.
Le problème de Paco Tyson, c’est qu’il était à peu près aussi carré qu’une hypoténuse, plus chenu que massif, plus Obama que baraque bref c’était un gringalet, pas vraiment laid, mais gringalet. Il avait tout essayé, le sport, l’autohypnose, les méthodes du Dr Norris, il restait aussi épais qu’un coureur de 5000 mètres steeple.
Mais c’était un jeune homme courageux. Il s’obstinait, s’entraînait encore et encore. Jusqu’au jour de son premier combat professionnel, disputé en catégorie SuperWelter. Et, de fait, le jeune Welter souffrit beaucoup. Mais pas longtemps, puisque son adversaire, Julien Lepers, l’envoya au tapis après quelques secondes.
Paco ne remonta plus jamais sur un ring. Par contre, juste après son combat, dans l’ambulance, il eut une révélation. “Vous allez prendre la prochaine à gauche”, dit-il au chauffeur qui, effectivement, avait prévu cette option. “Incroyable, comment avez-vous deviné?”, interrogea le sémillant ambulancier, qui s’appelait Fridtjof, mais comme cela n’a aucune importance pour la suite de l’histoire, passons.
Paco pouvait désormais lire dans l’avenir des gens. Il renonça à la boxe, revendit sa corde à sauter, son trampoline et ses cassettes de Mike Brant et ouvrit un cabinet de voyance. Le bouche à oreille aidant, il devint bientôt célèbre loin à la ronde. On venait le consulter des quatre coins du comté, et même un peu du morbier.
Paco était heureux de rendre ainsi service à la communauté, surtout que ça rapportait un gros max de pépettes. Mais il se sentait seul et abandonné. Il passait ses journées à diviner, ses nuits à dormir ou à regarder les rediffusions de la roue de la fortune, mais comme il trouvait toujours les solutions avant les candidats, grâce à son don, il s’ennuyait vite, tout comme lorsqu’il regardait Derrick.
Car les visions de Paco ne le concernaient jamais. Il voyait dans l’avenir des autres, mais ne savait jamais de quoi ses lendemains seraient faits. A part qu’il s’était acheté de la saucisse à rôtir et de la purée en flocons, mais sinon non.
Jusqu’au jour où, passant par hasard devant une affiche publicitaire pour le Grand Bal des Pompiers, il eut la révélation. Cette soirée allait changer son destin. Il allait y trouver l’amour, ou la fortune, il ne savait pas au juste quoi, mais il allait y trouver un truc, il en était certain.
Il brisa le coeur de sa vieille mère Ermelinda quand il lui annonça qu’il ne pourrait fêter Noël avec elle, cette année, mais qu’elle comprendrait. La pauvre Ermelinda n’avait plus que Paco au monde, ayant perdu 8 de ses 11 enfants dans un accident de cheval, les deux autres au supermarché et son mari Hans au jeu.
Mais finalement, Ermelinda passa une soirée que l’on pourrait qualifier de pas mal, du moins selon ses critères. Elle nota que, finalement, la compagnie de Michel Drucker lui était bien plus sympathique que celle de son jeune fils, car l’animateur de France 2 était poli et ne l’interrompait pas pour crier “Je vois une grande lueur rouge dans le soir”.
Paco, lui, passa un réveillon que l’on pourrait qualifier de moyen et encore, en étant large. Peu sensible à l’ambiance gominée de la soirée spéciale année 80 avec DJ Rideau, il chercha tant et plus le signe que le destin lui tendait. Il ne trouva ni l’amour, ni la fortune, mais un immense saladier de chips, ce qui le laissa perplexe. Après 28 heures de réflexion intense, il décida de rentrer pour annoncer à sa mère qu’il arrêtait la divination pour se consacrer à sa nouvelle passion de toujours, les pommes de terre, mais Ermelinda était partie refaire sa vie en Ouzbékistan avec Fedor Dostoievski, le sosie officiel de Michel Drucker et Paco se retrouvait seul au monde avec un paquet de 65 kilos de patates.
Moralité: Noël au bal con, Paco Tyson