Il était une fois, il y a bien longtemps, un petit homard qui s’appelait Adhémar. Il aurait pu être heureux et faire des trucs de homard toute sa vie, genre faire le malin avec ses grosses pinces pour faire bisquer les copains. Mais il avait un souci : il détestait tout ce qui était natation. Son truc, c’était les sommets enneigés, le grand air. Dès qu’il eut atteint sa mue définitive, il décida donc de s’en venir en Suisse, à Gstaad, pour y mener une vie de bohème et d’alpinisme.
Adhémar arriva dans la station oberlandaise au début du mois de décembre. Mais quelle ne fut pas sa déception de voir que l’accueil, qu’il avait imaginé chaleureux, était au contraire aussi glacé que les frimas hivernaux qui frimaient hivernalement. Partout, les gens couraient, à la recherche frénétique qui du dernier cadeau pour tante Hiltrude, celle qui est chiante et critique toujours, qui d’un peu de chocolat noir pour la dinde vespérale. Personne n’avait le temps de se soucier de lui et, sans oser se l’avouer, Adhémar commençait à regretter un peu son pays natal et les Noël de son enfance. La larme au pédoncule, il repensait au soir où, alors qu’il était encore tout larve, son oncle Bergundo avait raconté l’histoire du bulot qui repeint sa conque. Las, ce temps était désormais révolu et le malheureux arthropode était contraint de passer ses nuits dans un vivier bon marché et surpeuplé, où les congénères qu’il côtoyait avaient autant de conversation que des anémones de mer.
Pour arrondir ses fins de mois, car le plancton coûtait cher dans cette station huppée, Adhémar avait mis au point un petit spectacle mêlant claquettes, jonglage et arithmétique, qui ne lui rapportait à vrai dire que quelques piécettes et de nombreuses insultes. Le journal local avait même consacré sa Une au danger représenté par ces crustacés peu intégrés qui viennent chez nous jongler, et bien des internautes avaient réagi en affirmant que si on laissait faire, bientôt, des hordes de gastéropodes même pas capables de s’adapter à nos moeurs viendraient voler nos chats pour les manger et convertir de force nos enfants à la sous-marinité. Mais, alors qu’Adhémar songeait sérieusement à entrer en dépression, le miracle de Noël se produisit. Une vieille femme chenue l’appréhenda, et jamais suisse allemand n’avait paru si mélodieux. “Dis donc, mon gaillard, lui dit-elle avec cet accent rocailleux si typique des femmes chenues, ça te dirait pas de passer ce soir à la baraque pour le réveillon ? Tu as l’air de grelotter, je te préparerai un bon bon bien chaud. Bouillant. Tu vas en rougir de plaisir.”
Et jamais homard ne se sentit si aimé que ce soir-là.
Moralité :