Je sais pas si tu as remarqué, mais la fantasy, ça se passe un peu toujours dans des univers médiévaux, voire éventuellement post-apocalyptiques, mais où l’apocalypse a frappé tellement dru que l’univers en est devenu vachement médiéval. Alors qu’il n’y a pas tellement de raisons, c’est pas parce que tu te méfies des nains et des golems que tu n’as pas le droit d’être un véritable démocrate respectueux des droits de l’homme, de l’elfe, du kender et du troll. Ça pourrait très bien se passer dans un monde moderne où le héros, un trentenaire angoissé, serait avant tout à la recherche de lui-même. Et vaguement d’un moyen de sauver l’humanité, rapport à cette terrible prophétie.
– Je suis Thorghar, fils de Thorghur.
– Bien monsieur, il me faut trois fiches de salaire, une attestation de domicile, un extrait de casier judiciaire, une attestation de l’office des poursuites et le pedigree de votre labrador.
– Thorhar n’a pas de fiches de salaire, car il est libre comme le vent !
– Ah ben oui mais si vous êtes indépendant, c’est pas le même guichet, hein !
De même, dans la fantasy, quand tu fais un truc bien, ce n’est jamais tellement parce que tu t’es beaucoup entraîné, ou parce que tu es doué, ou parce que tu as eu un gros coup de bol. Non, c’est toujours parce que tu es le fils caché d’un mec qui lui-même était le fils d’un autre type, et ainsi de suite.
– Oh, regarde le type bizarre, là, en armure, il vient encore de faire un strike !
– Ne sais-tu donc pas que c’est Thorghar, fils de Thorghur, dont les records à Pacman et à Tetris dans la légendaire salle de jeux Atlantis n’ont jamais été vaincus ?
Et du coup, tu es parfois celui que chantent les anciennes prophéties.
– Ne serait-il pas celui que chantent les anciennes prophéties ?
– Tu crois ? Il faudrait que je lui prête ma plume pour écrire un mot ?
– Je ne parle pas de cette ancienne prophétie-là ! Je crois que nous avons devant nous le terrible Bali Balo !
Dans la fantasy, tu ne peux jamais aller tranquillement boire un pot avec des potes, il faut toujours que tu te retrouves dans une taverne mal famée où quelque chose de louche se trame.
Thorghar gara son fier destrier devant le bar PMU « au Lutrin Malin », où son mystérieux contact lui avait donné rendez-vous parce qu’il n’y a pas grand chose d’ouvert le dimanche dans la banlieue de Besançon. Il entra dans ce bouge sombre et enfumé et entreprit de feuilleter L’est Républicain du jour pour voir si par hasard, de terribles événements ne se trameraient pas dans le coin. Il ne put s’empêcher d’entendre la conversation du patron, Julot fils de René : « Non mais je suis pas raciste, moi, d’ailleurs, des elfes, y en a des bien, je dis juste qu’ils sont pas comme nous, et puis que je sache, dans leurs pays, le dépeçage traditionnel des ennemis est interdit, alors c’est pareil, ils viennent pas jouer de la lyre dans mon bar, c’est tout.
voire :
Thorghar entra dans le salon de thé « Chez Swann ». « Hola, manant, une verveine et deux madeleines, et prestement, où tu tâteras de Rondoudou, ma fidèle épée », demanda-t-il au serveur, car il avait revu pour la 20e fois « Les Visiteurs » la veille. Et que son épée s’appelait Rondoudou.
– Il me reste plus que des madeleines de Proust », répondit le serveur qui en avait vu d’autres et à qui il ne restait plus que des madeleines de Proust.
– Qu’est-ce à dire ?
– Eh bien c’est comme des madeleines normales, sauf qu’en plus elles te font revivre des souvenirs.
– Super, j’en prends dix-huit.
(Quelques chapitres plus tard)
– Halte-là, manant, c’est quoi cette arnaque ? J’ai revécu des souvenirs que je n’avais jamais vécus avant !
– Ah bah oui, on ne revit pas les siens, sinon ça sert un peu à rien.
– Mais là en plus ils étaient tout nuls !
– Ah bah oui, c’est des souvenirs de Olgor fils de Olga, notre pâtissier, il a un peu une vie de merde, mais il est super bon à WOW.
– Ah c’est pour ça, les dragons et tout ? je trouvais ça idiot, tout le monde sait qu’ils se sont éteints y a longtemps et tout.
Et surtout, dans la fantasy, y a toujours une carte, au début, que tu consultes désespérément à chaque nouveau nom de lieu (sept par page en moyenne), et qui ne te sert à rien.
– Tu t’avanceras par delà les plaines ténébreuses de Fontfroide, puis les contreforts de la montagne Noire se dresseront, fiers et nébuleux, face à toi.
– Oh, il est classe, ton nouveau GPS !
– Oui, c’est TomTom, fils de Nana. Classe, mais pas pratique, je comprends jamais rien à ses explications. Et encore, aujourd’hui, ça va, d’habitude, il chante.