Ce jour là, il était midi. L’estomac dans l’étalon, je me décidai à aller dîner, enviant secrètement mes amis français qui, grâce aux 35 heures, à l’héritage déplorable de mai 68 et à Jérôme Kerviel, pouvaient se permettre, à la même heure moins le décalage horaire, d’aller déjeuner.
J’aurais pu, oh oui, j’aurais pu (je trouve que ça rajoute au côté dramatique, non?)(mais si), aller chez le libanais sympa, chez le chinois rigolo (dans les chinois, ils engagent toujours des gens qui parlent super mal la langue du coin (sauf en Chine je crois), pour faire plus traditionnel)(le chinois suisse allemand est un concept merveilleux)(par contre, ils ont des pouvoirs magiques et apparaissent à côté de toi au moment même où tu renonces à attraper le dernier petit pois et où tu reposes nonchalamment tes baguettes dans l’assiette)(et ils ont des aquariums)(et des sculptures en carotte), chez le japonais, chez l’américain traditionnel, qui sert une super recette de là-bas à base de pain, de viande, de graisse et d’un truc vert appelé cornichon mais ça va, je ne suis pas dupe, je sais pas si tu as déjà vu des cornichons, mais ça ressemble pas à ça, chez l’italien moins bien que les vrais voire chez le norvégien manger des fjord goût vanille.
Oui mais il pleuvait sur Brest ce jour-là, ça tombait bien, je n’étais pas à Brest mais ça tombait bien ici aussi, la pluie, je veux dire, elle tombait bien, avec une aisance et une grâce naturelles à faire pâlir d’envie bien des patineurs artistiques, et tu me connais, je veux pas trop me mouiller. Du coup, la mort dans l’âne, je me suis rabattu sur l’horrible boui-boui dont la principale qualité gastronomique est d’être à 2 minutes chrono du bureau, 1 minute 30 par grande pluie. J’approchai, subjugué par le halo saturé en graisses qui semblait entourer l’établissement. A l’intérieur, l’odeur si typique du fennec mort depuis longtemps, qui, telle une madeleine de Proust, me rappelait l’époque à jamais révolue où je mangeais à la cantine de l’école, mais une madeleine un peu rassie, quand même, était légèrement masquée, grâce à la présence salutaire d’un sympathique Saint-Bernard, que nous appellerons Olga, occupé à s’ébrouer nonchalamment après une vivifiante promenade apéritive sous la pluie battante.
Le plat du jour, je men souviens comme si c’était hier, consistait en une viande en sauce munie de légumes et même, comble du luxe, accompagnée d’une salade. Les experts du fbi à qui j’ai immédiatement envoyé un échantillon penchent pour du boeuf, ou de l’okapi. Dans la sauce, je veux dire. Pour la viande, tout ce que l’on sait, c’est qu’elle serait d’origine animale. Le moment où l’on me demanda « pour la salade, sauce italienne ou française » correspond, c’est amusant de le constater, avec une vague de suicides sans précédent à Rome. Alors que je m’apprêtais à finir mon assiette, à 5-32 fourchetées près, la truffe d’Olga si suavement posée à 11 millimètres de mon coude me fit penser que il y a des gens qui meurent de faim, dans le monde, ils seraient heureux d’avoir de la sauce italienne ou française, je vais leur envoyer un doggy bag. Doggy, c’est bien le matériau ?
C’est au moment de prendre un café, car je suis courageux et aventureux, que l’on me posa cette question, cruelle,voire pernicieuse: « Ca vous a plu? »
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Post tenebras scriptum: à propos de gastronomie, si d’aventure vous seriez du côté de Lyon, il y a ce week-end une incroyable soirée de la francophonie, vendredi, à Oullins, en présence de nombreux blogueurs francophones beaux et ombrageux comme la pluie en été, au moins, et qui présentent l’amusante particularité d’avoir participé au livre « Tempus Fugit », dont un type plus ou moins connu a dit « Pas mal », et samedi, un tempétueux café littéraire, avec plus ou moins les mêmes, ou pas, bref, si tu es du côté de Lyon, chante, danse et mets tes baskets, viens, c’est sympa tu verras. Les détails techniques sont ici. Et si tu n’as pas encore acheté le livre, crois-moi, tu t’en mordras les doigts dans 150 ans. Et si tu n’es pas du côté de Lyon mais que tu aimes bien la francophonie, tu peux aller demain, en plus c’est le printemps, sur le fabuleux blog des journées de merde. Mais tu peux y aller aujourd’hui aussi.