L’important, c’est pas le titre

Il avait reposé le téléphone encore un peu sous le choc. Bien sûr, il s’y attendait un peu, beaucoup. Les premiers jours, il avait espéré, plus la semaine avançait plus il se disait que voilà, tout était fini. Mais là, cette fois, c’était dit, c’était officiel. Il n’avait pas dit grand chose. Dans sa tête, il refaisait le téléphone, se disait j’aurais pu dire ceci ou ceci, tour à tour agressif, « c’est ça, bon courage avec l’autre, mais faudra pas revenir après », injuste « tous les mêmes, dès qu’il s’agit d’engagement, y a plus personne… », pathétique « mais on pourrait pas au moins passer un dernier entretien ? » Il avait juste lâché un « allez, on reste en contact, vous avez toujours mon CV », fait semblant de croire aux « vous savez, votre dossier était vraiment très bon, ça va être difficile de vous oublier, vous méritez mieux, mais je préfère que nous restions confrères pour le moment, ce n’est pas vous, c’est nous, c’est un peu compliqué en ce moment avec le recul des entrées publicitaires »

Quand ses potes disaient « non mais tu te fais du mal, s’ils ont pas rappelé, c’est qu’ils ne veulent pas de toi, il faut t’y faire », il répondait « tu sais pas, ils ont peut-être un empêchement, mon téléphone est en panne, je devrais peut-être rappeler ? », mais au fond de lui, il savait qu’ils avaient raison. Maintenant, ils allaient lui dire « allez, un de perdu dix de retrouvés, tu étais trop bien pour ce poste ». Il serait d’accord, ou ferait semblant. Oui, ils ont probablement raison, mais quand même, ça aurait pu marcher… Il allait cracher sur ce boulot dont, la veille encore, il parlait avec des étoiles dans les yeux, profiter de se faire réconforter un peu, puis aller de l’avant.

Le plus dur, maintenant, ça allait être de se reconstruire un avenir, sans ce taf, avec qui il avait imaginé tant de lendemains. Faire de nouvelles rencontres. Arrêter de lire le « courrier de Ploutargic », au début, tant qu’il serait encore amer, tant qu’il ne serait pas capable de le feuilleter sans se dire « ils seraient tellement mieux avec moi », se faire violence quand il aurait envie de les appeler, « allez, on pourrait pas se revoir juste une dernière fois, je sais pas, je pourrais faire les cafés ? ». Il s’imaginait, dans quelques mois, revanchard : « j’ai un nouveau boulot, je suis très heureux… et vous, tout va bien avec ton stagiaire, là ? ah, il est parti dans un autre service ? désolé, désolé, sincèrement… tu sais, en fait, avec mon nouveau taf, c’est rien de sérieux, juste un CDI alors si tu as besoin de piges de temps en temps, tu sais où me trouver… »

Nota bene: Ceci est surtout un exercice de style, une auto-fiction avec beaucoup de fiction, une métaphore à la con, si je voulais parler de moi, je ferais un blog, ou alors j’aurais facebook je sais pas. Ou alors j’irais chez Michel Drucker. Mais je kiffe quand même ceux qui me laissent des messages gentils, hein (même si je sais pas bien pourquoi, quand on croit que quelqu’un est au chômage, ce qui n’est pas tellement mon cas, on s’adresse à lui avec un peu le même ton que s’il venait de perdre une jambe dans un accident de tabouret)

Devoirs conjugaux de vacances (ce titre est déplorable)(de lapin)(tre en bâtiment)

Cela se sait trop peu, mais bloguer ne se fait pas à la va-vite. Cela demande du travail, de l’abnégation, des pantoufles Kermit. Et, bien sûr, un solide réseau d’indics.

Ainsi, tel que tu me vois, je dispose de pantoufles Kermit (photo disponible sur demande accompagnée d’une attestation de la police nicaraguayenne) et d’un solide réseau d’indics. Cela dit, force est de constater que je suis un rien en retard, là.

Tout a en effet commencé à la fête de l’Huma. Mes camarades et moi-même fomentions un coup d’état pour renverser le gouvernement corrompu et rendre enfin le pouvoir aux masses laborieuses, quand nous constatâmes que Pete Doherty et Benny XVI étaient à Paris (une charmante bourgade du Nord de la France) le même jour. Coïncidence ? Je ne crois pas. La sémillante Fabienne me chargea alors de me renseigner plus avant sur les troublantes corrélations entre ces deux hommes, oui je sais bien qu’on ne peut pas dire corrélations entre les deux hommes mais nous étions jeunes, nous étions fous, la bière coulait à flots, Pif le Chien nous regardait de son oeil bienveillant. Je vis bien vite qu’il fallait enquêter du côté de cette histoire d’opium du peuple mais, hélas, vingt-deux fois hélas, d’autres affaires plus pressantes telles que aller rechercher des bières m’empêchèrent de creuser plus avant. La toujours aussi sémillante, celle-là même qui m’avait suggéré de vérifier si Cali ne serait pas un agent à la solde de l’Ennemi, me demanda ensuite, connaissant mon amour pour la grande musique et les interprètes de qualité, de me pencher sur les paroles des chansons dudit Doherty, celles de Benoît XVI étant nettement moins intéressantes (l’on préférera son frère, Damien XVI, mystérieusement disparu).

Puis c’est le ténébreux Bastien, bientôt 18 ans que je lui sors la même vanne, qui se tourna vers moi: il se souvint du temps où je lui apprenais de son métier les petites ficelles, métier qu’il a d’ailleurs abandonné depuis mais je te prie de n’y voir aucune relation de cause à effet, merci, et vint me demander, car il s’agit d’un jeune homme curieux et perfectionniste, si à tout hasard j’avais compris le sens caché des paroles d’une chanson du célèbre Julien Doré, fils puîné de Gustave et Garance, mais pas les limites, une autre.
Je lui dis que j’allais y réfléchir mais, hélas, mon esprit fut distrait par un reportage sur les poneys et toute l’affaire me sortit de la tête comme l’on sort parfois de route ou de ses gonds.

Puis la sulfureuse Tica s’adressa à moi en ces termes, « dis, toi qui connais des gens qui ont des amis qui connaissent le cousin d’un mec du FBI, saurais-tu d’où vient l’expression mettre en bière ? ». Mais son mail, parti à mon adresse professionnelle, atterrit à la suite de diverses manoeuvres qu’il m’est encore douloureux de vous narrer ici, sous les yeux d’un valeureux collaborateur. La suite, vous la devinez: il ne comprit pas qu’il s’agissait d’un courrier privé, se mit aussitôt sur la trace de l’information, on parle de lui pour le Pulitzer de cette année. Fort marri de cette mésaventure, je ne me penchai pas plus sur les origines de l’expression « Reprendre du poil de la bête », que je m’étais soufflée à moi-même dans un accès de schizophrénie.

Puis c’est le mystérieux Daniel, être secret qui change de prénom onze fois par jour, qui me demanda si je ne voulais pas participer à une série de posts sur le thème « si j’étais homosexuel(le) ». Immédiatement intéressé, je décidai de me documenter en regardant, comme quoi la nature est bien fait, un troublant documentaire évoquant sans tabous les difficultés à se faire accepter par la société d’un couple gay parisien. J’en étais à me demander pourquoi, si j’étais homosexuel(le), il faudrait absolument que j’essaie de manger une biscotte, alors que je n’aime pas vraiment ça, si vraiment y a plus rien, je veux bien, mais tout de même, quand soudain, je décidai, bouleversé par ce spectacle, de zapper.

Tout ça pour te dire que malgré environ pléthore de sujets en cours, tombe la neige, je ne poste pas ce soir.

Risette by Peer

S’il t’arrive un malheur, accident de tabouret, défaite contre le FC Bâle (non, mais c’est empirique, hein, je sais bien qu’en réalité ça n’arrive jamais), crise financière, problèmes gastronomiques, retour de l’être aimé, la première chose à faire est de prendre les mesures qui s’imposent.

La deuxième chose à faire, c’est d’accuser quelqu’un de tous les maux: « C’est Henri, il a mis un virus d’internet dans l’imprimante ! », « c’est Estelle, elle est suédoise ». Dans ce domaine et en ce moment, le truc à la mode, c’est d’accuser son voisin de faire du paradis fiscal, et donc d’être responsable de la crise, ce à quoi le voisin répondra outré « même pas vrai d’abord et j’te ferais dire que mon papa il est plus fort que le tien, si les gens ils mettent leurs sous chez nous c’est parce qu’on est gentils avec les étrangers (enfin, sauf avec les pauvres, hein, faut pas déconner non plus) ».

Mais donc, qu’est-ce qu’un paradis fiscal ? A priori, le terme est plutôt contradictoire. Le Paradis est un endroit super bien où tu peux te balader à poil et parler aux animaux toute la journée, tant que tu ne manges pas du fruit de la connaissance du bien et du mal©. La fiscalité est forcément une invention démoniaque: trois plombes à t’arracher les cheveux sur une déclaration d’impôts pour ensuite devoir payer, c’est clairement une idée du Malin. Tu remarqueras par contre que les paradis fiscaux, ou les pays suspectés de l’être sont plein de banquiers, des gens qui n’ont visiblement jamais croqué dans l’arbre de la connaissance du bien et du mal© et de traders, des gens qui n’ont encore pas été pendus à la plus haute branche de l’arbre de la connaissance du bien et du mal©.

Les paradis fiscaux ont été inventés aux îles Caïman, des îles dont la population est exclusivement composée de crocodiles, de quelques gavials, d’un ou deux alligators. Ces bêtes étant, par essence, bien trop incultes pour inventer des principes raffinés et sophistiqués tels que la taxe sur le revenu, on n’y paie pas d’impôts. Par l’odeur alléchés, les investisseurs du monde entier ont décidé de créer des entreprises dans cette riante contrée. Mais comme ils avaient un peu peur, je sais pas si tu t’es déjà fait charger par un troupeau de reptiles au galop, ceux qui l’ont vécu ne sont plus là pour en parler (ils sont en vacances au Mexique), ils ont créé des sociétés en mer, plus communément appelées offshore, l’anglais étant la langue officielle des crocodiliens.

Or, le crocodile est un animal fermement attaché aux valeurs du communisme: attristés par cet afflux massif de requins, ils ont perdu leur sang-froid et sur les bords du Nil ils sont partis, n’en parlons plus.

A la lumière de ce qui précède, on peut définitivement réconcilier Micheline Calmy-Rey et Peer Steinbrück et convoquer l’ambassadeur d’Allemagne pour lui dire que à mon avis, la Suisse n’est pas un paradis fiscal, je vois pas comment il pourrait faire si froid dans un paradis.

Prolégomènes ostentatoires

Tu es probablement au courant: c’est la crise. Enfin bientôt. Alors bien sûr, comme ça va faire deux ans, ou sept, que c’est bientôt la crise, ton attention s’est relâchée. Mais là, ça se précise. A cause de Stefan Lehmann, mécontent que le poste de gardien de l’équipe suisse de foot ait été supprimé après sa retraite, et qui met des banques en faillite avec ses frères pour se venger. Bientôt, nous serons tous condamnés, pour survivre, à manger des animaux morts et peut-être même des végétaux.

Peut-être te dis-tu que si des gens perdent des tas et des tas d’argent, d’autres, ailleurs, doivent en gagner puisque comme le disait Maxime Le Corbusier, rien ne se crée, rien ne se perd, pour tout le reste il y a Eurocard Mastercard.

Bon. Je vais te dire, ça se voit que tu n’y connais rien en économie.

Seulement voilà, moi non plus.

A la place, je vais donc te parler d’un sujet tout aussi important, le poney.

Le poney est un animal de la famille des équidés. Mais, et c’est là que le bât blesse, le poney n’est pas un petit cheval. Il s’agit d’un animal à part entière avec ses coutumes, ses amusantes traditions folkloriques, ses joies, ses peines, ses passions, sa crinière qui vole au vent. Cousin du cheval, mais originaire d’îles où on se les caille grave, le poney a dû, comme avant lui l’huître de Tasmanie, faire face à des conditions climatiques extrêmes. Il habite des steppes arides et inhospitalières, où le vent balaie les plaines et gèle le coeur des hommes et des bêtes, et a très vite compris que la vie était une lutte de chaque instant. A peine âgé de treize ans, il a décidé de ne pas finir sa soupe et de se mettre à fumer comme un pompier, ce qui allait immédiatement interrompre sa croissance.

Le poney souffre atrocement de cette comparaison de chaque instant avec son prestigieux cousin. Il souffre aussi de son physique ingrat. Chaque fois que, dans une série américaine, une petite fille hystérique hurle « je veux un poney », il se sent humilié, il souffre au plus profond de son gésier.

Contrairement au wallaby, qui s’en fout complètement qu’on le prenne pour un petit kangourou, le poney n’a pas d’humour. Bien qu’acceptant de porter des enfants sur son dos, car il faut bien gagner sa vie, il n’est que rancoeur et aigreur. Il déteste les chevaux, toujours à se la raconter, les petites filles hystériques, les constructeurs de jouets, les balades et la pizza aux anchois. Secrètement, il rêve d’un monde meilleur, dont il serait le maître. Mais pour cela, il lui faut beaucoup d’argent. C’est pour ça qu’il investit massivement en bourse, caché sous un habile déguisement. Le poney complote pour la domination du monde. J’en veux pour preuve le nombre toujours croissant de groupes avec des poneys dans le nom, Poni Hoax, Pony Pony Run Run ou Poney M, preuve s’il en est que le farouche animal tente de s’infiltrer dans toutes les sphères de la société.

Seulement, le poney est aussi un peu couillon, et c’est à cause de ses placements hasardeux qu’on va bientôt se prendre l’économie mondiale sur le coin de la gueule.

Un train-train peut en cacher un autre

Le vélo, une fois que tu sais en faire, tu oublies jamais. C’est pratique, comme ça on peut dire « ah ça, c’est comme le vélo », à  propos de plein de choses. Par exemple si à  ton pote Hans, celui qui sort d’un divorce pénible et tout et qui n’a plus eu d’aventures amoureuses depuis seize ans (vraiment très pénible), tu lui dis « non mais c’est comme le vélo », ça ne veut pas dire « avec la gueule que t’as, tu vas devoir sacrément pédaler pour pécho », mais bien plus « non, mais c’est comme le vélo, j’espère que t’as vérifié la pression de tes pneus avant de te mettre en ménage avec une danseuse ».

Mais a-t-on la preuve que le vélo ne s’oublie pas, où est-on confronté à un énième complot ourdi par le gouvernement avec la complaisance bienveillante des medias ? Lance Armstrong démontre qu’on peut arrêter le vélo, se marier avec des tas de chanteuses et revenir deux ans après comme si de rien n’était. D’autres sportifs ont moins de chance. Le football, par exemple, ça peut très bien s’oublier: tu joues contre une bande de luxembourgeois tous amateurs, l’après-midi ils complotent contre l’économie mondiale dans leurs banques alors que toi on te paie trois milliards de francs par mois pour jouer à la balle et le soir, ils profitent que tu as oublié le foot dans un instant de distraction pour te mettre minable. Ca arrive. Pas très souvent, heureusement, mais ça arrive.

Les musiciens, eux, ces temps, ils arrêtent pas de s’arrêter des années, revenir et gagner le tour de France. Alors qu’eux, en plus, ils se droguent, tous, c’est stipulé dans leur contrat de star, et la drogue c’est rarement très bon pour la mémoire. On peut en déduire que le rock’n’roll, c’est un peu comme le vélo, d’ailleurs je pense qu’Oasis a complètement déraillé.

J’ai toujours entendu des gens utiliser cette expression, je l’ai peut-être employée un jour de grande fatigue, un mardi de novembre, va savoir. Mais je n’ai jamais vérifié empiriquement. J’ai appris à faire du vélo, c’était à  la campagne, avec un ami de mon père, il s’appelait Edmond, il avait de la moustache. Je l’ai un peu perdu de vue depuis, pour la moustache je sais pas mais je pense qu’il s’appelle toujours Edmond. Un moment il m’a dit « ahaha t’as vu je te tiens plus, lol, truc de fou », ou quelque chose d’approchant, et je me suis écrié « par la malpeste, c’est inouï, je sais désormais faire du vélo », ou quelque chose d’approchant, puis j’ai filé par monts et par vaux, fendant l’air comme un faon aux aguets, pour aller demander à des hordes de types louches de ma connaissance de lui péter sa gueule parce que quand même, lâcher les vélos des gens comme ça sans prévenir, ça se fait pas. Même quand on s’appelle Edmond (mais si ça se trouve, c’était Raymond).

Et si j’ai peut-être oublié certains détails de cette croustillante anecdote, le vélo, je sais toujours en faire, je suppose, même si là , on m’a volé le mien, dans quel monde vit-on ?

A l’inverse, et à la même époque à deux ou douze ans près, un dénommé Joseph, je crois qu’il n’avait pas de moustache « alors, c’est die ou c’est das? » (et il fallait répondre c’est der)(mais pas toujours)(il était rusé comme un troupeau de renardeaux) et aujourd’hui, je me demande si cétait pas quand même das, comme quoi, contrairement au vélo, la moustache, ça s’oublie.

Mais jamais, jamais, je l’avoue aujourd’hui, je n’ai essayé d’organiser de Tour de France pour malades de l’Alzheimer. Je ne peux donc pas vraiment dire si c’est possible d’oublier le vélo. Et donc, je l’avoue, il m’est arrivé d’utiliser cette expression à tort et à travers.
Il est en revanche des choses qui doivent sans cesse se réapprendre. L’Amour, par exemple. Où a-t-il sa source ? Où se jette-t-il langoureusement dans l’océan comme d’autres se jettent dans le tricot (que celui qui a répondu dans ton cul se dénonce immédiatement, merci, on peut jamais être sérieux dans cette baraque)(en plus, c’est complètement faux) ? Il faut sans cesse le réapprendre (à moins d’avoir une très bonne mémoire, parce que c’est des noms compliqués)(mais c’est en Russie)(ou en Chine). De même, le blogging, même quand on est le 11e fournisseur mondial (à l’heure où je vous parle) de culture et de plaisir, si l’on veut mériter ce statut et les honneurs, champagne, saucisses de Morteau, filles nues et poneys Shetland qui l’accompagnent, après trois semaines de pause, deux de vacances sous le soleil nonchalant du Grand Sud et une sous le soleil blafard d’une caserne chancelante, ben y a un moment où tu sais tellement pas quoi raconter que tu te prends à ressortir le mail du mec qui voulait que tu fasses un post sur une espèce d’émission de décoration.

Je suis Philippulus le prophète

Tu es probablement au courant, mais aujourd’hui, c’est la fin du monde (pour une explication scientifique, voir cet article très documenté). Pas seulement pour Raymond Domenech.

Très bien. La fin du monde, c’est quand même pas un truc qui arrive tous les jours. Il faut donc l’occuper intelligemment. Intelligemment, ça veut aussi dire avec prudence. On a vu trop souvent, par le passé, des gens profiter d’une fin du monde pour dilapider leur fortune, avouer à leur patron qu’il leur arrivait parfois d’aller sur internet pendant les heures de travail pour regarder des photos de licornes devant un coucher de soleil ou, plus pragmatiquement, se suicider collectivement, avant qu’on leur annonce que oops, désolé, c’était juste une erreur de calcul, mais promis on fera mieux la prochaine fois, LOL ^_^ c’est Henri qui a oublié une virgule, la comète qui devait annihiler toute vie, en fait, elle était pacifique, mais vous inquiétez pas, on lui infligera un blâme, pour que tu te mettes à profiter de ta fin du monde de manière trop démesurée.

Le mieux, c’est de faire un truc que tu as toujours eu envie de faire mais que quand même tu pourras encore regarder ta femme, vos onze enfants et Gaspard, votre labrador nain du Pérou, en face le matin en partant au travail si d’aventure, ce coup-ci encore, c’était du flan. Genre du saut à l’élastique, un sudoku force 4, une quiche ou encore aller à Besançon. Si jamais tu croises un truc noir qui grandit à une vitesse exponentielle, il te restera toujours deux ou trois pico-secondes pour, une dernière fois, faire sauvagement l’amour avec ton voisin le plus proche (oui, même si tu as choisi la solution Besançon, ça doit être possible).

Et si d’aventure tu es entraîneur de l’équipe de France et que par une étrange coïncidence tu perds ce soir, « je sais pas ce qui s’est passé à un moment on a été comme avalés par une puissance mystérieuse et on s’est retrouvés dans une réalité parallèle où on jouait comme des chèvres » me semble 100 fois meilleur comme explication que les « c’est incroyable ils ont eu que deux occasions et ils en mettent trois au fond » ou « Estelle épouse-moi » habituels.

Attention, l’abus de mauvaise presse est dangereux, consommer avec modération.

Si tu lis la presse romande, tu sais ce qu’est un botellón et tu es inquiet pour l’avenir de notre belle jeunesse. Si tu ne lis pas la presse romande, je t’explique, en gros: un botellón, c’est des grands rassemblements de jeunes qui apportent chacun leur bouteille, de préférence d’alcool, pour les boire. Je te linke l‘article wikipedia, mais vraiment, vraiment, ça soulève le coeur, comment tolérer que des jeunes qui, pourtant, ont été éduqués dans le respect et l’amour, puissent se permettre de mettre du coca dans leur vin rouge ?

Car, vois-tu, les jeunes boivent de l’alcool, et c’est terrible.

Alors oui, oui, je vois ton sourire narquois. C’est vrai que quand on avait 15 ans, nous aussi, il pouvait nous arriver, dans un instant d’égarement passager, de boire un verre d’alcool ou douze. Mais ce n’était pas pareil. Rien à voir. Oui, ok, on s’est mis deux trois murges mémorables (enfin mémorable n’est peut-être pas le mot le plus approprié, d’ailleurs). C’est vrai que des fêtes où chacun amène sa bouteille d’alcool, ça existe depuis longtemps, la semaine passée j’ai été invité à manger chez mon ami Oswald, j’ai amené une bouteille de rouge, personne n’en a parlé dans la presse. Pourtant, y aurait eu de quoi, mais je dis ça, je dis rien. Mais quand même. C’était une super bonne bouteille, j’estime. Et rien, même pas une brève en dernière page du quotidien local. Alors que entre nous, ce qu’il a servi à bouffer, c’est bien simple, je lui ai mis 2 points, mais quand même 5 pour la déco parce qu’il avait une nappe avec des jolies fleurs, dessus, des hyacinthes, ou alors des fougères, je sais pas.

Quand on était jeunes, donc, il pouvait nous arriver de nous soûler un peu, comme ça, par inadvertance. Mais ça n’avait rien à voir avec ce qui se passe aujourd’hui. Parce que c’était une époque heureuse et bénie où on pouvait tranquillement tester le baileys-vodka-limonade sans que personne ne prenne de photos. Comment veux-tu que notre jeunesse, qui est l’avenir de demain, se construise une identité dans un monde où, si tu ne te souviens plus de ce que tu as fait la veille, il y a demi-douzaine de vidéos sur youtube pour te le rappeler ? Dans un monde où, au lieu de tranquillement avoir la gueule de bois en te disant je ne boirai plus jamais, tu dois passer ta journée à détaguer 3600 photos (dont 3558 très floues, mais tout de même) sur facebook en te disant je ne boirai plus jamais ? Dans un monde où, au lieu de faire des théories à des inconnus dans le même état que toi, tu envoies des sms abscons à ta prof de piano, ce dont tu te souviendras au moment de sa réponse à 8 heures le lendemain et elle est toujours aussi forte cette sonnerie parce que là tu as l’impression qu’on vient de t’arracher un bout de cerveau ? Et dans un monde où tu peux même plus organiser des beuveries tranquille sans qu’un journaliste de gratuit en manque d’indignations gratuites ne débarque en hurlant « chouette, je vais pouvoir mettre un sondage demain dans mon journal, êtes-vous pour ou contre l’alcoolisme ? »

Moi, si j’étais les jeunes d’aujourd’hui dans ce monde où on peut même plus tranquillement affirmer « ajvada gné que jé agnéjghé » en fin de soirée sans faire la une de youtube, de facebook et de 20 secondes le lendemain matin, pour oublier, je boirais.

C’est doux, c’est neuf ?

Je sais pas si tu en as entendu parler, mais Edipresse a été obligé de supprimer 50 emplois, et crois-moi bien que ça les a beaucoup fait pleurer.

Le problème, c’est le recul des recettes publicitaires.

Alors ne t’inquiète pas, les recettes publicitaires, dans leur ensemble, ont encore de beaux jours devant elles. Pour une raison qui m’échappe, des tas de gens sont persuadés qu’il faut absolument dépenser plein d’argent pour venir te dire à la télé, dans ton journal ou dans ton internet que le nouvel Omo lave plus blanc que blanc. Seulement, ils ont plus envie d’en mettre dans les journaux, de la pub, parce que ça a fini par se voir que les gens ne lisaient que leur horoscope et les mots fléchés.

Du coup, les malheureux publicitaires sont obligés d’explorer de nouvelles voies pour faire entendre leur voix. Il y a déjà eu les placements de produits dans les films, les placements de produits dans les blogs qui, de scandaleux espace de liberté de parler de ses problèmes gastriques sont devenus des lieux respectueux d’une morale néo-libérale saine et réjouissante où l’on parle de crème pour la peau et de ses 7230 classements de blogueur le plus influent du monde. Mais cela ne suffit pas. Si tu es le chef de la compagnie mondiale de la publicité, je te fais part d’une idée pour le moins époustouflante qui m’est venue comme ça, au volant d’une voiture bleu-gris, alors que j’essayais d’oublier qu’un de mes collègues avait écouté The Final Condom d’Europe la veille. Et ah tiens, j’aurais pas dû en parler.

L’idée, donc, c’est de personnaliser toujours plus avant la publicité. Demain, vous, moi, chacun, sauf ta voisine chauve à cause de son lumbago, pourra devenir le vecteur de cette merveille de la communication moderne qu’est la pub grâce à ce concept génial, le placement de produit dans des vieilles blagues: C’est l’histoire d’un homme qui, n’ayant pas entraîné son cerveau avec la méthode du docteur Konishiwa, souffre de déraison. Il décide de repeindre son plafond avec la nouvelle peinture Vegetaline à l’huile de bois. Il rencontre sur le nouveau Meetoc un de ses congénères, devenu fou car il n’a pas pu acheter le dvd de la saison 17 de la nouvelle série que le monde s’arrache (et qui parle de médecins qui résolvent des enquêtes). Celui-ci s’exclame alors: « Tiens-toi bien à ton pinceau Offenstrue (si tu en avais acheté deux, le troisième t’aurait été offert), j’enlève l’échelle Ikea en acier inoxydable ».

Rentrée Academy

Je sais pas si tu as eu vent de cette info capitale mais la première école de télé-réalité vient d’ouvrir ses portes à New York.

Alors si tu es le chef de M6, je te fais part, comme ça, gratuitement, d’une idée qui m’est venu entre la poire et le fromage (c’est une expression, hein, je ne mange jamais de poires, ça fait vulgaire): une série qui se passerait dans une école de télé-réalité. Ça s’appellerait…

Oui voilà, « poubelle la vie » c’est une excellente idée.

Extraits:
La cour de l’Académie Raphaëlle Ricci. Harassés par le poids du savoir, mais heureux d’appartenir à l’Elite de leur génération, Mike et Styven discutent
Mike: « Tu as pris quoi, en option, toi ? »
Styven: « Je voulais prendre Ile de la tentation, mais j’ai pas les moyennes en langue de putisme. Et puis je suis célibataire… Comme j’ai les moyennes en rien, j’ai finalement pris Loft Story. Et toi ? »
Mike: « J’ai raté les examens d’entrée en Pekin Express. J’ai eu les moyennes en langue, alors ça allait pas. Ils m’ont mis en Star’Ac, du coup. »

La cantine. Ermelinda pose violemment sa fourchette, l’air dégoûtée
Ermelinda: « Non mais c’est incroyable ! Une chenille, dans ma salade ! »
Styven: « Laisse, c’est normal. Cette semaine, c’est l’option KohLanta en cuisine. »

La classe de blagues scatologiques de M. Bigard. Ermelinda et Suzette chuchotent à voix basse. Mais pas trop sinon après on entend pas à la télé.
Ermelinda: « Dis, tu as fini tes devoirs, toi ? »
Suzette: « Oui, et je te passe pas mon cahier, la dernière fois on s’est fait prendre et j’ai dû aller au confessionnal ! »
Ermelinda: « Non, non, c’est pas ça… C’est pour le cours d’Audimat de cet après-midi… »
Suzette: « Quoi, tu l’as pas encore fait ? Mais on avait ce devoir depuis un mois ! »
Ermelinda: « Oui, je sais, je sais, mais j’ai oublié et puis je savais pas trop comment faire… »
Suzette: « Non mais ma pauvre, si tu es même pas capable d’un truc aussi simple que tromper ton copain devant les caméras, tu arriveras jamais à rien, dans la vie. »

Mike rentre chez lui, dans la banlieue louche de Pontarlier, pour le week-end. Il est nerveux à l’idée de faire signer son carnet de notes à ses parents.
Raymonde Froubeche: « Mais qu’est-ce que c’est que ces notes ? Quand ton père va voir ça… »
Fondu au noir. Intérieur jour. Solo de musique genre un peu inquiétante
Robert Froubeche: « Mais enfin Michel… »
Mike: « Mike, à l’école ils ont dit que je m’appelais Mike maintenant »
Robert Froubeche: « Mais enfin Michel ! Ta mère et moi nous saignons aux quatre vents pour t’envoyer dans cette école et voilà comment tu nous remercie ? Jamais, tu m’entends, jamais je ne me serais permis, à ton âge. Comment comptes-tu être accepté à la Star’Ac avec un vingt de français ? »

Dix ans plus tard. Chez Jean-Luc Delarue
Styven: « C’est toujours moi qu’on choisissait en dernier quand on faisait les groupes pour le cours de piscine, je l’ai très mal vécu. »