Il avait reposé le téléphone encore un peu sous le choc. Bien sûr, il s’y attendait un peu, beaucoup. Les premiers jours, il avait espéré, plus la semaine avançait plus il se disait que voilà, tout était fini. Mais là, cette fois, c’était dit, c’était officiel. Il n’avait pas dit grand chose. Dans sa tête, il refaisait le téléphone, se disait j’aurais pu dire ceci ou ceci, tour à tour agressif, « c’est ça, bon courage avec l’autre, mais faudra pas revenir après », injuste « tous les mêmes, dès qu’il s’agit d’engagement, y a plus personne… », pathétique « mais on pourrait pas au moins passer un dernier entretien ? » Il avait juste lâché un « allez, on reste en contact, vous avez toujours mon CV », fait semblant de croire aux « vous savez, votre dossier était vraiment très bon, ça va être difficile de vous oublier, vous méritez mieux, mais je préfère que nous restions confrères pour le moment, ce n’est pas vous, c’est nous, c’est un peu compliqué en ce moment avec le recul des entrées publicitaires »
Quand ses potes disaient « non mais tu te fais du mal, s’ils ont pas rappelé, c’est qu’ils ne veulent pas de toi, il faut t’y faire », il répondait « tu sais pas, ils ont peut-être un empêchement, mon téléphone est en panne, je devrais peut-être rappeler ? », mais au fond de lui, il savait qu’ils avaient raison. Maintenant, ils allaient lui dire « allez, un de perdu dix de retrouvés, tu étais trop bien pour ce poste ». Il serait d’accord, ou ferait semblant. Oui, ils ont probablement raison, mais quand même, ça aurait pu marcher… Il allait cracher sur ce boulot dont, la veille encore, il parlait avec des étoiles dans les yeux, profiter de se faire réconforter un peu, puis aller de l’avant.
Le plus dur, maintenant, ça allait être de se reconstruire un avenir, sans ce taf, avec qui il avait imaginé tant de lendemains. Faire de nouvelles rencontres. Arrêter de lire le « courrier de Ploutargic », au début, tant qu’il serait encore amer, tant qu’il ne serait pas capable de le feuilleter sans se dire « ils seraient tellement mieux avec moi », se faire violence quand il aurait envie de les appeler, « allez, on pourrait pas se revoir juste une dernière fois, je sais pas, je pourrais faire les cafés ? ». Il s’imaginait, dans quelques mois, revanchard : « j’ai un nouveau boulot, je suis très heureux… et vous, tout va bien avec ton stagiaire, là ? ah, il est parti dans un autre service ? désolé, désolé, sincèrement… tu sais, en fait, avec mon nouveau taf, c’est rien de sérieux, juste un CDI alors si tu as besoin de piges de temps en temps, tu sais où me trouver… »
Nota bene: Ceci est surtout un exercice de style, une auto-fiction avec beaucoup de fiction, une métaphore à la con, si je voulais parler de moi, je ferais un blog, ou alors j’aurais facebook je sais pas. Ou alors j’irais chez Michel Drucker. Mais je kiffe quand même ceux qui me laissent des messages gentils, hein (même si je sais pas bien pourquoi, quand on croit que quelqu’un est au chômage, ce qui n’est pas tellement mon cas, on s’adresse à lui avec un peu le même ton que s’il venait de perdre une jambe dans un accident de tabouret)