Moins d’amalgames, plus de dolce vita

Pardon de revenir là-dessus, mais dans son affligeante prose, le désolant Yann M. a inventé le concept de « lausannéité ». Pour aussitôt le galvauder. Un peu comme si l’inventeur de la voiture avait décidé que ça servait à ranger des pots de fleurs ou celui d’internet à envoyer des photos de chatons.

De Lausanne, pittoresque village de pêcheurs au bord du lac de Genève, ses vaches, son marché, son lac, on aurait pu dire bien des choses en somme.

Par exemple :

Lausanne est une ville qui monte et qui descend tout le temps : le bord du lac est à 375 mètres, le point culminant de la ville à 900. 500 mètres pour aller à la boulangerie racheter des pneus correspondent dans certains quartiers à environ 32 kilomètres effort, surtout le matin qui suit un bloggy friday. La lausannéité pourrait donc être le fait d’être pentu : « La lausannéité suave des rues de San Francisco ». Ou de faire mal aux jambes. Ou alors celui d’avoir des hauts et des bas : « La cyclothymie et le cyclotourisme ont en commun leur lausannéité ».

Lausanne est une ville qui a la réputation d’avoir une forte densité de jolies filles. Justement à cause de ses dénivellations, dont la légende dit qu’elles fusèlent la gambette. La lausannéité pourrait donc définir le fait de se retrouver en un lieu où s’écarquillent les yeux. Ou alors la frustration de ne pas trouver de lien sur les internets pour corroborer une rumeur entendue 1000 fois : « je konpran pa pourkoa je trouve ri1 kan je tap Joni Alidé émor, sa doi etr ankor 1 kou de la lausannéité »

La lausannéité pourrait aussi désigner le fait d’être dirigé par un obèse aux goûts cravatesques discutables, mais dans ce cas là le mot ne s’utiliserait quand même pas tous les jours.

Lausanne est également une capitale olympique qui n’accueillera jamais de Jeux olympiques, le siège de nombreuses fédérations sportives internationales avec un club de hockey rigolo et un club de football désopilant. La lausannéité pourrait donc être le fait d’avoir beaucoup de structures pour un truc qu’on connaît finalement très peu : « Un ministère des affaires étrangères en France ? Quelle lausannéité ! »

Ou alors, la lausannéité pourrait définir le fait de parler, comme Yann M., de quelque chose qu’on ne connaît pas : « La pertinente lausannéité des trois-quarts des détracteurs de Guillaume Musso. » Ou de galvauder un concept : « Rouler dans une voiture ? Alors que ce serait si pratique d’y mettre des fleurs ? Quelle lausannéité ! »

Berner Oberland ist schön

D’un dictateur fou à un écrivaillon en mal de buzz en passant par quelques ministres-receleurs, le Swiss-Bashing est très à la mode en ce moment, joyeusement relayé par les médias d’un pays qui aime tellement qu’on parle de lui qu’il est prêt à donner la parole au premier pinggeli venu, pourvu qu’il ait un peu de Suisse dans les idées.

Or, cette habitude est dangereuse : en voyant cette liste d’ennemis de la patrie s’allonger, moi qui ne suis d’habitude nationaliste qu’en cas de hockey, je me suis dit qu’un pays détesté par autant de gens détestables devait avoir pas mal de qualités et je me suis surpris à siffloter l’hymne national. Alors que je ne comprends même pas ce que ça veut dire, les qualités d’un pays.

Non-compatriotes, regardez, là-bas, je crois que je viens de voir un wapiti géant. Compatriotes, il faut donc réagir, et vite. Et comme le disait souvent Lao Tseu au chat de Schrödinger, la meilleure défense, c’est l’attaque. Et une de nos spécialités nationales, c’est détourner l’attention. Je vous propose donc qu’on trouve un autre pays à détester (mais pas les Etats-Unis ni la France, ça compte pas, tout le monde le fait et pas la Chine, à cause de la crise économique et tout ça), et qu’on s’arrange pour le faire assez fort pour être un peu suivis, histoire de pas se retrouver tous seuls dans notre coin à critiquer le Lesotho ou le Vanuatu.

Mais attention, pas de la détestation de puceaux ! Kadhafi n’a pas dit « La Suisse est un état mafieux, mais Federer, quel revers ! », Yann Moix n’a pas dit « La Suisse n’a pas eu de génies depuis Rousseau, mais le dernier Henri Dès est pas dégueu ». Il faut être prêt à critiquer intensément et aveuglément, sinon ça ne marchera pas. La haine doit être totale, humaine, politique, historique, géographique, gastronomique, culturique.

Maintenant, reste à trouver qui.

J’ai quelques pistes.

  • Le Honduras, parce qu’on sait vaguement où c’est, qu’on ne sait plus trop comment la situation politique a évolué, si ça se trouve c’est des communistes, ce serait bien leur genre. Et, surtout, si on se démerde bien et que tous le monde les déteste dans trois mois quand ils nous sortiront de la Coupe du Monde de foot, on pourra lâcher un « ouais, ouais, ça m’étonne pas que les arbitres soient systématiquement pour eux, quand on sait ce qu’on sait, mais enfin je dis ça je dis rien » toujours efficace.
  • La Suède, parce que plein de gens nous confondent déjà avec eux, donc sur un malentendu ça peut marcher, mais aussi parce qu’ils ont fait énormément de mal à la musique, à l’arbitrage et que c’est quand même à cause d’eux que tous tes amis ont la même armoire que toi.
  • La Lettonie, parce que c’est super pour les jeux de mots.
  • Le Swaziland, parce qu’il y a probablement quelques Américains qui nous confondent avec eux et que leur roi est peu recommandable.
  • Le Vanuatu parce que de toutes façons, avec le réchauffement climatique, ce sera bientôt un état sous-marin, on les regrettera moins.
  • Le Liechtenstein, parce que c’est imprononçable.
  • Le Portugal, parce que bon, quand même, on a beau dire, mais la morue, c’est pas très bon

Maintenant qu’on a le qui et le pourquoi, reste le comment. C’est assez simple, si tout le monde s’y met. Il suffit de manier habilement les clichés (ce qui va être plus dur si on choisit le Vanuatu, je te le concède), puis de lâcher un « quand on voit comment ils se sont comportés pendant la guerre » définitif et assez efficace, les guerres où les protagonistes s’offrent de la soupe restant assez rares.

Voilà, non compatriotes, vous pouvez revenir, c’était pas un wapiti mais un koudou, je confonds toujours.

Catcheurs dans le riz

J’ai encore fait une mauvaise note à mes examens de droit. Papa va encore me gronder. Je trouve ça injuste, ce système où ce sont ceux qui ont le plus de connaissances qui ont les meilleures notes. Sérieux.
Alors j’ai pris une décision de cinglé. Je suis trop un fou malade dans ma tête. Sérieux. Je vais fuguer. Je suis pas comme tous ces moutons qui affrontent les difficultés, je suis trop un rebelle dans ma tête de fou malade dans ma tête.

Je n’ai peur de rien, moi, tellement je suis un fou malade. Même pas de vider un des huit comptes en banque où je verse chaque mois ce qu’il me reste de mon argent de poche après mes divers placements en bourse pour survivre dans la rue. Même si je dois aller à pieds en Suisse pour ça. J’en profiterai pour visiter la fosse aux ours de Berne, à Zurich. Enfin sauf que je vais pas y aller à pieds, mais prendre le train, je suis comme ça, trop un fou malade qui privilégie la mobilité douce pour mes semelles.

Dans le train il y a une fille qui est belle comme un soleil couchant sur la rosée du matin, elle ressemble un peu à ma copine Pélagie qui est belle comme un soleil couchant sur la rosée du matin (je connais qu’un seul compliment mais il est super). Je lui demande si elle veut que je lui paie un Cacolac mais elle me dit non alors je ne lui en paie pas. LOL, FAIL, VDM. J’arrive à la gare de Zurich, à Genève, et je cherche la banque, mais comme je suis trop un fou malade, je décide de profiter de ma visite pour aller au casino de Montreux.

A l’entrée un type me demande si j’ai vraiment 18 ans, et c’est vrai que je suis beau comme un enfant, mais il ne me laisse tout de même pas entrer, alors je suis très malheureux et je suis obligé de passer la nuit sous un pont. Un hôtel cinq étoiles situé sous un pont, j’avais jamais vu ça.

Mais je m’ennuie un peu, alors je décide d’aller regarder ma soeur dormir, mais comme je me souviens soudain que je suis fils unique, je regarde plutôt un documentaire sur les girafes et Planète, et je m’ennuie un peu.

Ensuite, je n’ai plus d’argent alors je rentre à la maison et mon père me regarde avec des grands yeux tristes, il est obligé de me placer dans une nouvelle école privée, c’est déjà la dix-huitième cette semaine, que va-t-on faire de moi mon pauvre John-Mike ? alors je décide de me lancer dans la politique. Je suis trop un fou malade, sérieux.

Poïkilotherme

Quand Fragonard Chourpaud avait déclaré « Je veux que tout le monde, dans ce pays, soit rétribué selon son mérite », tout le monde avait haussé les épaules, sauf ceux qui étaient plutôt en train de regarder des nains s’enduire d’huile d’olives sur une autre chaîne. Et à vrai dire, c’est surtout à défaut de mieux qu’il avait été élu à l’immense majorité des 22,3% de non-abstentionnistes.

Paradoxalement, la plupart des gens qui avaient défilé dans les rues dès l’entrée en vigueur de ses premières mesures faisaient justement partie de ses électeurs. Les mauvaises langues dirent que cette grève fut la moins remarquée de tous les temps, tant les nouvelles grilles de salaire définies par Fragonard Chourpaud étaient bien ficelées. Pendant que traders, coaches de vie et autres responsables du suivi du controlling post-operating battaient le pavé, les éboueurs et les nettoyeurs de WC publics se préparaient une deuxième tartine de caviar.

L’opinion publique commença, comme toujours, par grommeler puis finit, comme toujours, par s’habituer. Et par s’adapter. Un célèbre magazine féminin, dont les rédactrices étaient bénévoles depuis peu, mit en avant les tenues orange dans ses pages mode. Puis la presse people suivit et commença à s’intéresser de près aux frasques de Robert Chompard, éboueur, de son épouse Raymonde, caissière de supermarché et de leurs enfants Robertina, Ramuncho, Rigobert, Rihanna et Supercopter. Le couple fut même rebaptisé Romonde. Ils furent invités à raconter leur itinéraire sur toutes les chaînes de télé («les dates de votre prochaine tournée, les déchets verts, s’affichent en ce moment même à l’écran»).

Robert expliquait de chaîne en chaîne que «vous savez, ça a l’air simple de porter les poubelles, mais c’est beaucoup de travail pour en arriver là», pendant que chez lui, Pernambucco Thijssens, numéro 10 de la sélection nationale de football, pestait en pensant à ces mecs payés des millions à se balader à l’arrière d’un camion pendant que d’autres triment toutes les semaines pour perpétuer l’art ancestral du 4-4-2.

Puis tous les présentateurs télé devinrent éboueurs ou balayeurs, sauf un qui devint réalisateur de biopics racontant le destin magique d’éboueurs ou de balayeurs.

Avatar que jamais

C’est une anecdote peu connue : quand John-Mike Katsopoulos découvrit le voyage transuniversal, il cherchait en fait une nouvelle recette de pâtes.

On connaît mieux les conséquences de sa découverte : l’humanité eut alors une quantité innombrable de planètes habitables à portée de vortex à blougou giratoire inversé et si l’impossibilité de revenir sur ses pas freina quelque peu les ardeurs exploratrices les premiers temps, l’irrespirabilité croissante de la Terre les défreina assez vite.

Les gouvernements tentèrent bien évidemment de s’emparer des nouvelles terres, et je crois qu’il existe encore, quelque part dans l’Univers 63bis (le troisième à gauche en partant de la Terre), une Nouvelle Belgique du Sud. Mais le trop grand nombre de mondes disponibles fit que, bientôt, ce fut l’effervescence, les nouvelles colonies se multipliaient comme petits pains au soleil.

Une bande d’idéalistes décida ainsi de s’installer sur une planète tempérée, aussitôt rebaptisée Esperanza, où ils voulaient vivre dans la paix, la fraternité, le végétarianisme et la nudité. Ils découvrirent six mois plus tard que les genre de koalas rigolos qui peuplaient ce monde n’étaient finalement pas aussi rigolos que ça : lassés par les disputes incessantes de leurs hôtes, ils les expédièrent sur un monde parallèle où la température moyenne était de -16 degrés. Inutile de dire que sur New Esperanza, on vivait dans la nudité, la pneumonie et pas très longtemps.

Moins dramatique fut le cas de ces membres d’un forum de cuisine qui décidèrent de s’en aller tous ensemble s’installer sur une planète, avant de découvrir que seul le chou de Bruxelles y poussait. Les cruciverbistes et les scrabblophiles se réunirent beaucoup plus harmonieusement et l’on dit qu’ils vivent toujours sur Xwyzz, où ils ont inventé un nouveau langage constitué uniquement de mots de 7 lettres.

De nombreux adolescents refusèrent de suivre leurs parents sur des mondes trop nazes, et fondèrent Kikoolandia, une planète merveilleuse où poussaient 647 fruits distillables et 123 fumables. Mais deux ans plus tard, la plupart d’entre eux trouvaient cette planète juste ringarde.

Les catholiques découvrirent un Univers où Dieu existait vraiment et, en plus, répondait personnellement, sous trois jours, à chaque prière. Par contre, il avait un humour relativement douteux et Ses miracles étaient en général des blagues plutôt aléatoires, comme la fois où il avait changé l’eau en mousse à raser. Tout le monde voulait sa propre planète, et celle des amateurs de karaoke était à peine moins insupportable que celle des traders.

Sur Terre ne restaient que ceux qui avaient peur du changement, les vieux et les Suisses, ainsi que les indécis et les procrastinateurs. Les geeks partirent six mois après tout le monde, car ils étaient très pris par un jeu en réseau trop bien. La plupart d’entre eux décidèrent d’aller s’installer sur une planète où, six mois plus tôt, s’étaient réfugiées les blondes lasses des quolibets. D’autres découvrirent un monde merveilleux où vivaient des petits êtres bleus toujours heureux et où tous les êtres vivants étaient connectés en une sorte de réseau planétaire. Une fois encore, les nouveaux venus furent mal accueillis. Premièrement, parce que leur arrivée fut rapidement suivie par celle du premier spam (« Enlarge your ramure »). Deuxièmement, parce que chez des gens qui remercient leur viande avant de la manger, ouvrir un McDonald’s est une très mauvaise idée : il y a très vite des files interminables.

Quant à John-Mike Katsopoulos, il mourut dévoré par des gigantesques spaghettis mangeurs d’homme.

Foulque macroule

– Non mais tout le monde fait ça, c’est humain. Seulement, c’est aussi illégal et là, ben va falloir réparer les dégâts, quoi.

Ce flic était bien trop compréhensif, se dit John-Mike. Il devait se tramer quelque chose de louche.

– Moi même, je peux vous l’avouer, ça m’est arrivé. Seulement, ça n’a pas eu de conséquences aussi embêtantes, vous voyez…

Et l’agent de raconter à un John-Mike ébahi comment, des années auparavant, il avait lui aussi été envoyé en mission temporelle politique et en avait lui aussi profité, discrètement, pour tenter de redessiner quelques contours de son passé. Ses ordres étaient simples : il devait remonter en 1987, retrouver Bertille Schopakowsky, grand-mère de l’actuel Guide Suprême de la Révolution Rosilicorniste Buccorhodanienne, dont la montée en puissance inquiétait les autorités de la République Autonome de Morges, de Monaco, et de Deux Trois Autres Coins Sans Importance., et lui voler une botte de poireaux, des scientifiques ayant calculé grâce à des ordinateurs très compliqués que ce simple fait allait entraîner toute une série de modifications dans la structure du continuum espace-temps et que dans le nouveau présent ainsi engendré, le Guide Suprême serait marchand de volaille dans une triperie à l’ancienne. Ainsi donc, le voyage temporel était organisé depuis des années par les gouvernements ! Quelle stupéfaction !

– Seulement voilà, reprit l’aimable pandore, y a toujours un moment où on se dit, bon, je vais aller corriger deux trois trucs de mon passé. Genre moi, je suis revenu à la 87e minute du match FC Grésivaudan – Chatuzange le Goubet, et au lieu de tirer en force, j’ai passé à Gonçalvo Lambelet, résultat on a gagné le match 2-1, et quand je suis revenu dans le présent, le rosilicornisme n’était plus une menace pour la société, par contre j’étais dépressif et mes enfants étaient désobéissants, colériques et hockeyeurs… Vous voyez, c’est ça le truc, c’est que quand on revient dans le présent, on se rend toujours compte que ce malheur passé que l’on a corrigé, en fait, il avait fait de nous ce que nous étions vraiment, enfin, ce genre de conneries, quoi, pour que les auteurs de science-fiction puissent tirer une morale de notre histoire.

La tête de John-Mike lui faisait mal, tout tournait autour de lui comme ce jour d’enfance où il était allé faire du carrousel avec son père et Flanagan, leur hamster domestique, mais ces souvenirs étaient réels, l’étaient-ils toujours, de quoi pouvait-on être sûr dans un monde où n’importe quel flic pouvait aller repeindre le continuum espace-temps comme une vieille Lada mal tunée ?

– Non mais ça aussi, c’est des conneries pour auteur de science-fiction, si vous vous souvenez un truc, c’est qu’il a eu lieu et basta, faut pas chercher à se mettre martel à quatorze heures. Oui oh, je sais ce que vous allez dire, mais c’est une expression très usitée dans cette réalité. Bref, revenons-en à la raison de votre arrestation, voulez-vous ? Vous être bien Duchomois John-Mike, 116 bis, avenue de la Fonderie, Ploutargic, envoyé en 2015 voler une collection d’images Panini à Sarkozy Solal et qui avez préféré en profiter pour régler divers problèmes personnels d’ordre sentimentaux concernant au premier chef la dénommée Günstra Pélagie ?

– Ben… oui, j’avais oublié d’acheter du pain alors en 2015 alors j’en ai profité pour le faire.

– C’est moi qui pose les questions, reprit le soudain bien moins sympathique policier. Voilà alors avec vos histoires, là, le pouvoir est désormais occupé par une race de limaces géantes à trois têtes, et on ne peut même plus remonter dans le temps car la machine parle désormais breton, une langue morte depuis plus de 42 ans, donc que comptez-vous faire pour réparer ça ?

– Mais, s’interrogea John-Mike dubitatif, tout ça c’est juste parce que j’ai acheté du pain ?

– Hé, c’est compliqué, le continuum, c’est comme les mailles d’un vieux pull, qui sait quelles sont les conséquences quand on tire trop dessus ?

– Ben pas des limaces, en tous cas. Bon, organisez-moi trois tonnes de sel et on va voir ce qu’on peut faire.

– Le sel a été interdit à l’arrivée au pouvoir des limaces, vous voulez pas de la crème chantilly, à la place ?

(Pas à suivre du tout)

Fuligule morillon

« Ouf, tout cela n’était qu’un rêve ! », se dit, encore en sueur, John-Mike, alors que les brumes nocturnes s’estompaient doucement et que son cerveau parvenait tant bien que mal à discerner le gris-pâle du monde réel de la chatoyance bigarrée de ses errances solitaires.

« Ben merde », se dit John-Mike, qui n’était pas du matin. Lui qui ne se souvenait quasi jamais de ses rêves se demandait s’il était aussi génial toutes les nuits. Lui qui avait si peu d’imagination que même James Cameron aurait pu passer pour un génial visionnaire à ses côtés, lui qui était aussi plat qu’une batterie d’iPhone après cinq minutes d’utilisation intensive, avait tissé en songe les contours, il en était sûr, du roman le plus imaginatif depuis le truc avec le hérisson. Il se voyait déjà en haut de l’affiche, scénariste au moins pour Luc Besson.

Fébrile, il se mit à retranscrire sur un carnet ce dont il se souvenait, avant que son rêve ne s’en aille à jamais. Quand sa callipyge épouse Pélagie s’étonna de le trouver là, en caleçon fleuri, ni rasé ni petit-déjeuné, en train de griffonner rageusement alors qu’il ne s’était plus servi d’un stylo depuis l’époque où le sudoku était à la mode, il lui raconta.

– C’est, narra-t-il, l’histoire d’un mec qui a une tache de naissance et une tâche à accomplir. Comme il est plutôt genre cool, il décide d’accepter de sauver le monde, comme le lui demande un vieux magicien que tout le monde croit fou mais en fait non. En chemin il rencontre Zbrodja, son amour d’adolescence, qu’il avait cru morte enlevée par la mafia norvégienne. Leurs sentiments sauront-ils renaître comme jadis, ou seront-ils à jamais effacés par la patine du temps ?, d’autant plus qu’il doit tuer le père de cette dernière à cause d’une sombre histoire de rivalité villageoise ancestrale.

– Ca me rappelle quelque chose, un peu, lui répondit sa pétulante épouse Pélagie, qui avait des lettres. Tu es sûr de pas avoir déjà lu ça quelque part ?

– Ah je pense bien, rétorqua John-Mike tout en nourrissant Flanagan, leur hamster domestique, de l’autre main, puisque de toutes façons, tout a déjà été écrit. Mais c’est là qu’intervient la chute, géniale et surprenante.

– Je suis tout ouïe, s’enquit Pélagie, qui aimait les surprises et les Fiat Panda.

– Alors à la fin, en fait, et ça tu vas pas me dire que tu l’as déjà lu quelque part, le héros se réveille et s’exclame « Ouf, tout cela n’était qu’un rêve ! »

Résolution d’octobre

Lectrice, lecteur, public chéri mon amour,

Je vais pas te faire le coup des bonnes résolutions de début d’année : toi comme moi savons qu’en général, le 5 janvier, on s’est déjà rendu compte qu’on n’allait pas pouvoir les tenir.
Par contre, assieds-toi cinq minutes et causons, veux-tu bien ? Pas de la météo, pour ça il y a facebook ou twitter, mais de ce blog, sur lequel tu viens depuis six ans ou six minutes, régulièrement ou par erreur.

Ces derniers temps, je me retrouve de plus en plus souvent dans cette phase énervante où 117 idées m’arrivent en même temps et où, au mieux, je ne fais rien, au pire, je me lance dans la rédaction d’un billet onze minutes avant l’heure où je dois absolument partir avec, au final, un texte un peu trop bâclé et dix minutes de retard au rendez-vous de ma lasagne, ce qui est mal, j’ai de l’identité nationale suisse plein mes désirs de ponctualité. Et c’est valable aussi pour mes autres projets d’écriture, qui avancent à la vitesse d’une plaque tectonique au galop.

D’ailleurs, là, je dois partir. Et je ne suis pas du tout en train de venir là où je voulais en venir.

Je sais pas toi, mais j’ai bien aimé cette série de posts du mois de décembre – même si, au final, je les ai tous écrits en quatre minutes alors que je voulais en consacrer au moins douze. Et je pense que c’est un peu vers ça que je veux faire évoluer bptp : des textes un peu plus construits, un peu moins souvent. Moins de réactions à chaud à l’actualité, parce qu’il y en a déjà beaucoup (trop) un peu partout ailleurs, moins de paroles de chansons mais ça c’est parce que ça devient quasi impossible de les trouver sans fautes sur les internets, moins de recettes de pâtes. Ce qui devrait faire partir la moitié des gens qui viennent encore ici – mais comme j’ai désinstallé tous les trucs à stat, ça ne se verra pas trop trop.

Mais bon, peut-être que j’aurai changé d’avis avant même d’avoir le temps de poster.

Ah oui, tiens : là, je suis vraiment à la bourre. Alors que je voulais caser une super blague vers le troisième paragraphe et que je l’ai oubliée en route.

John McEnroe de Noël

Il était une fois, il y a bien longtemps, un petit homard qui s’appelait Adhémar. Il aurait pu être heureux et faire des trucs de homard toute sa vie, genre faire le malin avec ses grosses pinces pour faire bisquer les copains. Mais il avait un souci : il détestait tout ce qui était natation. Son truc, c’était les sommets enneigés, le grand air. Dès qu’il eut atteint sa mue définitive, il décida donc de s’en venir en Suisse, à Gstaad, pour y mener une vie de bohème et d’alpinisme.

Adhémar arriva dans la station oberlandaise au début du mois de décembre. Mais quelle ne fut pas sa déception de voir que l’accueil, qu’il avait imaginé chaleureux, était au contraire aussi glacé que les frimas hivernaux qui frimaient hivernalement. Partout, les gens couraient, à la recherche frénétique qui du dernier cadeau pour tante Hiltrude, celle qui est chiante et critique toujours, qui d’un peu de chocolat noir pour la dinde vespérale. Personne n’avait le temps de se soucier de lui et, sans oser se l’avouer, Adhémar commençait à regretter un peu son pays natal et les Noël de son enfance. La larme au pédoncule, il repensait au soir où, alors qu’il était encore tout larve, son oncle Bergundo avait raconté l’histoire du bulot qui repeint sa conque. Las, ce temps était désormais révolu et le malheureux arthropode était contraint de passer ses nuits dans un vivier bon marché et surpeuplé, où les congénères qu’il côtoyait avaient autant de conversation que des anémones de mer.

Pour arrondir ses fins de mois, car le plancton coûtait cher dans cette station huppée, Adhémar avait mis au point un petit spectacle mêlant claquettes, jonglage et arithmétique, qui ne lui rapportait à vrai dire que quelques piécettes et de nombreuses insultes. Le journal local avait même consacré sa Une au danger représenté par ces crustacés peu intégrés qui viennent chez nous jongler, et bien des internautes avaient réagi en affirmant que si on laissait faire, bientôt, des hordes de gastéropodes même pas capables de s’adapter à nos moeurs viendraient voler nos chats pour les manger et convertir de force nos enfants à la sous-marinité. Mais, alors qu’Adhémar songeait sérieusement à entrer en dépression, le miracle de Noël se produisit. Une vieille femme chenue l’appréhenda, et jamais suisse allemand n’avait paru si mélodieux. « Dis donc, mon gaillard, lui dit-elle avec cet accent rocailleux si typique des femmes chenues, ça te dirait pas de passer ce soir à la baraque pour le réveillon ? Tu as l’air de grelotter, je te préparerai un bon bon bien chaud. Bouillant. Tu vas en rougir de plaisir. »

Et jamais homard ne se sentit si aimé que ce soir-là.

Moralité :