Quand l’humain a inventé les chiffres et les nombres, il a commencé par ne pas en faire grand chose. Puis il a décidé de trouver des applications pratiques, pour ne pas avoir appris à compter jusqu’à 147 pour rien.
En cette époque où la nature était hostile et les éléments déchaînés, les compétitions sportives étaient rares : si tu étais mauvais au 10’000 mètres haies, tu avais de toute façon fini depuis longtemps en croquettes pour tigre à dents de sabre.
Par une longue soirée d’hiver, un dénommé UhhGruhr inventa le loto. Cela permettait d’utiliser des chiffres jusque là sous-exploité, comme 47, 23, 68 et 76 et de s’occuper intelligemment. Or, il advint que l’on remarqua assez vite que les vainqueurs de ces compétitions acharnées exerçaient une étrange fascination sur leurs pairs. UUhHGruhr, 33 fois vainqueur du Super Loto, avait régulièrement droit aux meilleurs morceaux des mammouths, voire parfois aux meilleurs morceaux de ses pairs.
En cette époque fruste, ces perpétuelles quêtes de la chère et de la chair avaient, hélas !, bien plus d’influence que le bonheur de l’élévation spirituelle. C’est pourquoi les compétitions commencèrent à se multiplier. C’est à cette époque que fut par exemple inventé le football mais, comme le ballon n’existait pas encore, l’idée fit long feu.
Mais c’est dès la fin du XIXe siècle, époque où les Anglais, qui devaient quand même sacrément s’ennuyer, inventaient trois nouveaux sports par semaine, que les classements eurent leur heure de gloire. Aujourd’hui, ils sont partout, omniprésents, du concours de l’Eurovision des tenues à paillettes à l’élection de Miss Fromages du Nord, au point que si tu n’as jamais été 23e de quelque chose à 50 ans, tu as raté ta vie.
Il est, heureusement, des domaines où les classements n’ont pas droit de cité. Un exemple au hasard : la paix. Jamais on n’offrira de récompense au meilleur dans ce domaine-là, tant il n’est pas compatible avec l’idée même de compétition. Je ne sais même pas trop comment je suis arrivé à cette idée.
Ou la littérature. Comparer des styles, des techniques, des mondes différents et dire « Bon alors tertio Musso, deuxio Nothomb et primo Lévy », c’est absurde.
Autre exemple plus récent, les blogs. D’une part parce que les blogueurs sont mus par l’envie de créer, par la passion de communiquer, par le besoin de s’exprimer, pas par l’envie d’être vingt-deuxièmes ou septante-quatrièmes, il y a des hôtels, pour ça. De l’autre, parce qu’un blog est un outil, et que comparer les utilisateurs d’un même outil est une idée idiote, qui ne viendrait à l’esprit de personne : « Meilleur utilisateur d’écrous, Fulgor Chompard, garagiste, devance Pulchérie Catachrèse, plombière et Matteo-Eudes Swanson, éleveur de Pokémon ». Ou encore : « Surprise lors de la remise des Oscars de presse-purées, où Fulgor Chompard, restaurateur, patron du premier bar à purées du monde, et Pulchérie Catachrèse, inventeur du hachetague #jemangeraisbiendelapuree, grandissimes favoris, ont été devancés par Matteo-Eudes Swanson, célèbre pour avoir assassiné sa femme au presse-purée ».
Tout ça pour te dire qu’un truc tel que :
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