Lao Tseu la montagne

« Choisis un métier que tu aimes et tu n’auras plus à travailler un seul jour de ta vie »,

n’a absolument jamais dit Confucius, puisque cette citation absolument hippogriffe émane en réalité d’un certain Jean-Capitalisme Givemesomemoulaga aux alentours des années 1989.

Non mais ok, il l’a pas dit, mais il aurait très bien pu le dire, c’était trop son genre, de ouf

n’a probablement jamais affirmé Voltaire au cours d’un after work trop arrosé. Car c’est totalement faux.

Confucius a dit plein d’autres trucs très bien, attention, par exemple :

Je voudrais ne plus parler.

qui est une citation franchement très bien, parce que parler, ça va cinq minutes

Confucius, l’air confus. Wikimedia commons – Gary Todd

Mais Confucius n’a jamais dit « choisis un travail machin tout ça ». Et il y a plusieurs raisons à cela. Déjà parce qu’en 551 avant Jean-Christophe, il n’y a pas 153 choix de carrière. Tu pouvais faire, en gros, paysan ou paysanne, soldat, soldat mort, moine, esclave, empereur ou, comme la Chine était très en avance sur son temps, fonctionnaire. Mais dans la plupart des cas, c’est moyennement toi qui choisissais.

Alors qu’aujourd’hui, on a le choix, on peut faire collaborateur spécialisé en processus itératifs du workflow externe, responsable de la transition lumineuse, chief of green things that squeeze when you walk on it, pléthore de choix de carrière s’ouvrent à nous à chaque seconde, enfin, à condition d’avoir le bon diplôme, notre choix s’est porté sur une autre candidature mais sachez que cela ne remet pas en cause la qualité de votre dossier, même si on ne l’a pas lu, on devait faire un post sur LinkedIn avec 52 retours à la ligne, vous savez le temps que ça prend, 52 retours à la ligne ? alors hein, votre dossier. Mais du temps de Confucius, avant l’invention du retour à la ligne, les choix de carrière étaient moindre alors pourquoi aurait-il dit « choisis un métier » ?

Et pourquoi aurait-il dit « choisis un métier que tu aimes », alors que c’est la pire chose possible. Tu es là, tranquille, tu adores les tableaux excel, les présentations PowerPoint, les réunions interminables où quelqu’un dit, à la fin, « bon alors on fait comme on a dit ? » alors qu’on avait rien dit, tout ça te passionne, tu décides d’en faire ton métier et là, paf, l’engrenage infernal, on te colle des objectifs à atteindre, « vous avez un peu tendance à vous contenter de 52 slides alors que vous pourriez facile en faire 55, à quoi est dû ce manque de motivation ? il faudrait les finir pour demain mais sans faire d’heures supplémentaires, merci », et de fil en aiguille, tu te mets à te demander si vraiment, tu aimes tellement ça, la dernière fois que tu es passé devant un flipboard ça ne t’a même pas ému, c’est dire.

Mais surtout, pourquoi aurait-il dit « et tu n’auras plus à travailler un seul jour de ta vie » ? Eventuellement, oui, si tu t’engages dans l’armée de l’air, c’est possible. Mais sinon, le principe même du travail, c’est le travail. Il faut quitter son lit et faire des heures de transports en commun pour aller faire un truc qu’on aime avec des gens qu’on n’aime pas à l’autre bout de l’univers, alors que ce serait nettement plus simple de faire des trucs qu’on aime dans son lit, par exemple dormir, mais en cherchant bien on peut en trouver d’autres, mais enfin il paraît que ce ne sont pas des métiers.

Après, bien sûr, je ne suis pas complètement objectif puisque j’aime principalement raconter des blagues navrantes à mes enfants, paner des trucs, regarder le soleil qui se couche, rester dans mon lit, manger des trucs et raconter des bêtises sur internet, mais enfin il paraît que rien de tout ça n’est un métier, même si c’est beaucoup de travail. Alors qu’est-ce qu’il y connaît, Confucius ?

Bon par contre il a dit

Les femmes de second rang et les hommes de service sont les personnes les moins maniables. Si vous les traitez familièrement, ils vous manqueront de respect ; si vous les tenez à distance, ils seront mécontents. 

mais ce n’est pas le propos.

Nos hameçons tordus

Quand j’avais votre âge, j’exerçais la profession de journaliste. C’était pas mal, ça consistait à poser des questions au président de la foire à la saucisse de Rebeuvelier, et à retranscrire les réponses tant bien que mal, ensuite les gens disaient « tous des gauchistes à la solde du patronat », sauf le président de la foire à la saucisse de Rebeuvelier qui disait « mais pas du tout je n’ai jamais dit ça » et ma mère qui disait « tous des gauchistes à la solde du patronat sauf toi qui n’a jamais été un grand reporter » alors que quand même, la foire à la saucisse de Rebeuvelier c’est pas rien, cette année il y aura une pêche au canard.
J’aimais bien mais après je suis parti sous de sombres et fallacieux prétextes de travailler moins pour gagner plus. Je ne souhaite ça à personne.
Comme je suis actuellement en jachère professionnelle, je me suis dit « c’était quand même bien, ce métier », principalement à cause de ce sentiment étrange qu’est la nostalgie, qui vous fait soupirer en repensant à cette ex pourtant xylophage et à la foire à la saucisse de Rebeuvelier. Mais aussi parce que c’était bien.
Et – un autre truc qui était bien, c’étaient les très longues introductions du blog « Bons pour des pâtes », à la fin on ne comprenait plus du tout où il voulait en venir alors que lui, enfin moi, non plus, c’était vraiment le bon temps – j’ai décidé de me tenir un peu au courant de l’évolution du journalisme, des fois qu’il y aurait moyen de faire rejaillir le feu de l’ancien volcan qu’on croyait trop vieux.
A l’époque, quand on s’est séparés, en bon termes, d’ailleurs on se revoit de temps en temps mais rien de sérieux, le truc à la mode c’étaient les titres incitatifs (on employait un autre mot), qui est vraiment ce lien sur lequel vous avez très envie de cliquer ? le huitième va vous étonner !
Mais aujourd’hui, foin de tout cela, cliquer ? Mais enfin, madame, plus personne ne lit les articles, mais c’est pas grave, tant que les gens cliquent sur voir les commentaires. Alors il faut faire du angry bait, en français fâché hameçon. Il faut parler d’un truc qui met les gens en colère (la météo, les gens qui font ce qu’ils veulent de leur corps ou même carrément de leur sexualité sans demander son avis à Jean-Robert Michard expert en expertises sur Facebook, les gens qui possèdent des nationalités, et accessoirement le fait qu’on va tous mourir et que pendant ce temps-là la moitié de l’humanité se met sur la figure pour des raisons plus ou moins fallacieuses, les images générées par l’intelligence artificielle mais bon je ne sais plus utiliser wordpress), comme ça les gens cliquent pour pouvoir donner leur avis en brandissant un poing rageur. Je ne comprends pas trop à quoi ça sert,mais c’est important d’exprimer ses émotions, c’est ma psy qui m’en a parlé, et quand même c’est vrai qu’il fait chaud.
Alors j’ai décidé de m’entraîner, au cas où la vie déciderait de me rentraîner vers mes premières amours.
L’autre jour, par exemple, j’allais voir un match de football (et ça aussi, c’est un sujet très clivant, saviez-vous que de nos jours ce sport est pratiqué par des personnes de genre féminin devant des stades plein sans que personne ne demande son avis à Jean-Robert Michard ? alors que lui quand il avait 17 ans une fois il a couru pour prendre son bus alors c’est bien la preuve) et il y avait beaucoup de gens dans le train car les gens aiment bien le football, mais genre vraiment beaucoup de gens, comme dans la chanson de Patrick Sébastien et là, j’ai proposé un débat, pour ou contre le déodorant, mais un consensus s’est rapidement dessiné, même si certaines personnes étaient probablement de mauvaise foi, mais bon je débute en fâché hameçon.
Tout cela pour vous dire que les gens font bien leur carbonara comme ils veulent, après tout c’est leur problème, tant qu’ils ne font pas leur raclette comme ils veulent moi ça me va.

Livre et débutant

Je sais pas si vous avez remarqué, mais les gens ne lisent plus de livres. Ils préfèrent être sur leurs smartphones. Pourtant, les livres, c’est bien : on y met des tas de mots qui, ensemble, forment des phrases et si on se débrouille bien, ça peut raconter des histoires, qui vous font trop voyager. Un avion aussi, ça peut vous faire voyager, mais il faut aller à l’aéroport, alors que pour les livres il faut aller dans une librairie, c’est très différent. C’est pas avec un smartphone qu’on pourrait voyager, sauf si on achète des billets d’avion.
Moi, je me souviens, j’en avais lu un une fois, c’était l’histoire d’une jeune fille qui a de nombreux amis animaux et un jour, elle va à la plage avec eux, ça m’avait trop fait voyager à la plage, mais comme je l’ai lu à la plage c’est un mauvais exemple, mais je n’avais pas d’amis animaux sauf une crevette grise, mais ça pique, ces saloperies, alors qu’elle si, elle en avait.
Les gens ne lisent plus de livres alors j’ai eu une idée super, je ne comprends pas que personne n’y ait pensé avant, à mon avis c’est à cause des smartphones qui empêchent de voyager : je vais écrire des livres. Je voulais écrire l’histoire d’un écrivain, il résout des mystères car il est très malin et après, il écrit comment il a résoudu les mystères et il écrit ça dans son livre et c’est le livre que vous êtes en train de lire ! vous ne l’aviez pas vu venir, parce que vous aviez le nez dans vos smartphones, et parce que c’est une astuce très intelligente. Et aussi, entre deux mystères il rencontre des femmes pour qu’elles lui donnent des indices, mais elles font rien qu’à tomber amoureuses de lui et ça l’embête un peu parce qu’il doit déjà résoudre, écrire, alors il peut pas en plus compter des fleurettes, surtout qu’il fait son pain lui-même, mais comme il est poli, il couche un peu avec, mais vite fait.
On m’a dit ah oui, je connais ce livre, il est bien, je l’ai lu l’été dernier à la plage et j’ai répondu mais non je l’ai pas encore écrit tu confonds pas avec ton smartphone ? mais en fait il paraît que quelqu’un a utilisé une machine à remonter dans le temps pour me voler mon idée.
Alors j’ai eu une idée : l’histoire d’un écrivain qui écrit l’histoire d’un écrivain, qui résout, écrit, séduit mais c’est pas de sa faute. Mais il paraît que ça a déjà été fait. Alors j’ai eu une idée. L’histoire d’un écrivain qui écrit l’histoire d’un écrivain qui écrit l’histoire d’un écrivain. Ca s’appellera L’écrivain qui écrit.
Mais c’est long d’écrire des livres car il faut plein de pages sinon on appelle ça des livrets et moi à l’école je n’aimais pas ça, sauf celui de 7 alors j’ai eu une idée. Je m’étonne que personne n’y ait pensé. Ce serait comme un livre mais en plus court, et ça serait sur un ordinateur ou un smartphone dans l’internet. Et ça serait bleu. Ou pas bleu, à cause des mises à jour.