Il était une fois un petit ours blanc qui s’appelait Jarod. Oui, oh, je sais. C’est facile de se moquer. Mais imagine-toi. La banquise. Six mois d’hiver et six mois de nuit. Le temps dure longtemps, la vie sûrement plus d’un million d’années, sauf si tu meurs du rhume avant. Quand, en plus, tu es un ours blanc, tu hibernes. L’hibernation, c’est un peu un dimanche, mais en plus long (et sans pantoufles Kermit).
Donc tu as le temps, entre deux siestes, de regarder des tas de mauvaises séries. Et quand tes petits viennent au monde, alors que tu es toujours en train d’hiberner, forcément, les idées de prénom, t’en as pas des masses.
Dans la famille, on était plutôt chasse, pêche et traditions. Mais Jarod était un jeune ours espiègle et curieux. Autant te dire que quand il affirma que son rêve le plus fou était de visiter le musée du Louvre, ses parents le prirent relativement fraîchement. « Zyva, t’es complètement ouf, sérieux ? », s’enquit sa mère, inquiète de cette curieuse marotte. Comme c’était une ourse consciencieuse et prévoyante, elle l’enferma à double tour dans son terrier pour l’hiver.
Mais Jarod était le plus malicieux des oursons. Il parvint à s’échapper et se glissa discrètement dans l’avion d’une organisation écologiste qui organisait des voyages organisés pour que les touristes puissent se rendre compte de l’état alarmant de la banquise.
Une fois arrivé à Paris, Jarod, qui avait eu tout le temps d’étudier google maps, tu penses, se dirigea tout droit vers le Louvre. Hélas, alors qu’il allait enfin réaliser son rêve, le videur lui barra la route d’un ton sec et péremptoire. « Pas d’ours ici », lui dit-il, « c’est contraire à la législation européenne en vigueur ».
« Groumpf », se dit le malheureux plantigrade, « aurais-je fait tout ça pour rien ? » Désappointé, il se dirigea vers un bar des environs et entreprit d’y écluser moult bières. Il était en larmes. Or, même à Paris, il se trouve des gens que le sort d’un ours, seul, en larmes, à la table d’un bar en plein de milieu de l’après-midi émeut, par exemple s’ils n’ont pas déménagé depuis très longtemps ou s’ils sont avec un cousin provincial: « C’est normal, l’ours, là `? » « Ahaha mais bien sûr, attends, tous les jours y a des ours, ils aiment bien ce bar, ça leur rappelle l’Afrique je crois, ou l’Asie, enfin ça leur rappelle un truc » « Oui mais là, il pleure » « Non mais c’est normal, c’est les ours, ça, ils ont l’air costauds et tout, mais ils sont sensibles » « Tu veux pas lui demander ce qu’il a ? » « Ahahaa mon pauvre, tu es si province… bon allez je vais voir mais c’est pour te faire plaisir »
Jarod raconta donc son histoire à un sémillant autochtone, Doogie. Sous ses dehors blasés, celui-ci cachait un coeur d’or, enfin c’est une métaphore, sinon il serait mort, car l’or est très mauvais conducteur, et décida de s’investir pour son nouvel ami en créant un groupe facebook.
La nouvelle de la présence d’un ours muséophile, dépressif, alcoolique et doté d’un prénom rigolo fit vite le tour de la capitale de la France et, très vite, ce qui devait arriver arriva: il fut invité chez Laurent Ruquier. Eric Zemmour, touché, expliqua que c’était de la faute à l’Europe si les ours ne pouvaient plus aller tranquille dans les musées. Puis tout s’enchaîna, Ardisson, Denisot, et même Drucker. Mais Jarod n’était pas habitué à ce déferlement médiatique et, un soir, sur le plateau de Ça se discute, alors que son interlocuteur était en train de faire je ne sais quoi avec un saumon, il lâcha un « Groumpf » décontenancé. La vidéo fut visionnée des milliards de fois sur youtube dès le lendemain, les blogueurs s’indignèrent, les journaux gratuits reprirent l’info et, très vite, de nouveaux groupes facebook se créèrent pour qu’on renvoie chez eux ces putains d’ours qui viennent dire Groumpf sur nos plateaux sans que personne ne s’en offusque, et tout ça aux frais du contribuable bien sûr.
Jarod décida alors de repartir sur sa banquise, ça vaut pas la peine de quitter ceux qu’on aime pour aller tourner des pubs pour le fromage, mais, à cause de la crise et du réchauffement climatique, sa famille vivait à 18 sur un iceberg de 50 mètres carré et avait sombré dans l’alcool et les rediffusions de Ça va se savoir.