C’était dans le silence poussiéreux d’un matin nonchalant. Il tira sa main droite, dont il se servait régulièrement pour rissoler des pommes vapeur, de sa poche gauche et lui fit lentement parcourir le chemin qui la séparait de sa destination. Son geste, auquel certains observateurs auraient sans doute trouvé une certaine grâce, était net, précis. Il faut dire qu’il l’avait déjà accompli des milliers de fois et qu’aujourd’hui, il l’accomplissait machinalement.
Mais un je-ne-sais-quoi d’inéluctable flottait dans l’air ce jour-là. Un pressentiment l’avait déjà assailli, quelques minutes auparavant, alors qu’il achetait un paquet de fraises tagada pour Jean-Youki, son chinchilla artois, à la boulangerie au coin de la rue, mais pas celle qui est tenue par un yougoslave, ou roumain, je sais pas trop, l’autre, celle avec les volets bleus, ça me revient maintenant, je crois qu’il est fidjien.
Ou scandinave.
Il ne savait pas trop ce qui l’avait troublé, peut-être un scintillement iridescent dans l’air évanescent d’un juillet trop éthéré, peut-être le sourire évasif de la boulangère au moment où, dans un élan subit, il avait osé, pour la première fois, lui avouer qu’elle pouvait garder la monnaie. Mais quelque chose d’inhabituel se tramait, il en était certain.
Soudain, au moment où il s’apprêtait à ouvrir la porte de son modeste appartement des faubourgs de Kuala-Lumpur, survint le drame.
“Et merde”, pensa-t-il in petto en lui-même à l’intérieur de sa tête où se trouvaient par ailleurs divers organes, “j’ai oublié mes clés”. Dans un élan de lucidité subit, il ajouta: “à la boulangerie, probablement”.
Avec la rapidité et la grâce d’un supporter français après un improbable France-Espagne, il fit alors volte-face sur lui-même et repartit les chercher.
Tags: clés, littérature, scandinave
je pense que celui-ci devrait remonter un peu. (pour ceux qui font les archives en attendant le retour du darron du coin)
D’accord avec Tica.
Un concentré de littérature. D’autant que l’incipit en est tout à fait flaubertien, et la suite est un vibrant hommage à “Une Vie”, de Maupasasant. Le tout mâtiné d’un hymne au nouveau roman.
Suisse Roman, en l’occurrence.