Beurre remanié

Ce dimanche, nos amis français, en plus de la Formule 1, du rôti et de Drucker, ils ont eu droit à un remaniement ministériel.

C’est une spécialité locale. Chez nous, on laisse les ministres prendre la poussière pendant seize ans aux transports, pour pas gâcher. Probablement un héritage calviniste. Chez eux, la durée de vie est de six mois, probablement pour bien montrer que les ministres, ça sert pas à grand chose. Ici, tout le monde s’énerve quand les départements sont tous détenus par des jeunots qui ont moins de cinq ans de fonction, en France, on commence à s’agiter quand il y a pas eu de rumeurs de remaniement depuis plus de six semaines. Ici, quand on vire un ministre, on en parle encore dix ans plus tard, outre-Doubs, quand on vire un ministre, on en profite pour faire un paquet de douze. Ici, pour être ministre si t’es socialiste, faut plaire à la droite et donc être un socialiste pas trop marqué à gauche et… ah non, ça c’est pareil, tiens. Et chez nous, pour créer un nouveau sous-département, ça prend environ 120 ans de discussions alors qu’en Sarkozye, à chaque remaniement, y a douze nouveautés. Ce coup-ci, c’est les ministères auprès des ministères, qui servent avant tout à dire, si j’ai bien compris, “ah mais si, regardez, on a des femmes dans notre gouvernement, la ministre auprès du ministre en charge de la campagne et des oiseaux, c’est pas une femme, peut-être ? En plus elle est noire, arabe, rousse, gauchère, extrême-centriste et fan du FC Arles-Avignon, toutes les minorités sont représentées au sein de ce gouvernement !”

Et de temps en temps, on trace un ancien ministère, et c’est de ça que je voulais te parler : la France n’a déjà plus de ministère de l’identité nationale. Comment vont-ils vivre sans ? Vont-ils finir comme nous, malheureux hérétiques qui, dès que Federer est éliminé et les étrangers criminels expulsés, oublions fissa toute notion d’identité nationale et nous laissons aller sans vergogne aux blagues sur les Valaisans ?

Je te laisse y réfléchir, tu viendras me dire. Parce que de toutes façons je n’ai jamais tellement compris l’utilité de l’identité nationale pour des pays qui existent déjà. Ça te force à te passionner pour le ski de fond ou l’escrime en fauteuil roulant, c’est une vraie saloperie.

Par contre, si tu veux déclarer indépendant ton quartier, ton immeuble, ta région ou ton groupe facebook, ça devient très utile. Mais il te faudra la fabriquer. Et c’est comme la mayonnaise, la recette a l’air simple mais si tu fais pas un tantinet gaffe, ça prend pas.

Pour fabriquer toi même ta propre identité nationale, il te faudra d’abord une peuplade, si possible pré-romaine ou à la rigueur médiévale, qui a vécu plus ou moins dans le coin. Avec un héros. Genre un mec qui, deux semaines avant que la peuplade ne se soit fait rétamer la gueule par César comme vous et moi, aurait déclaré « Moi les Romains, tu sais ce que je leur dis ? De toutes façons c’est des truites ». Tant pis si, en fait, ladite tribu a passé à peine deux semaines dans le coin et pratiquait le sacrifice félin, le but c’est que tu aies des mythes fondateurs. Après tu te démerdes pour métaphorer tout ça, montrer à quel point ça illustre le combat actuel contre l’oppresseur. Parce que forcément, il te faudra un oppresseur, sinon ça risque de moins marcher.
Mais pour ça, c’est facile, tu trouves un vieux qui parle un peu patois, ou alors qui radote et qui a perdu son dentier, et tu expliques que c’est à cause de l’oppresseur qu’on a perdu notre langue et si on n’y prend pas garde, demain, ils nous empêcheront de danser nos danses traditionnelles (il te faudra une danse traditionnelle, du coup. Essaie de demander au même vieux, ça peut marcher). Après tu trouves un graphiste au chômage pour te faire un beau drapeau avec du rouge pour la résistance contre l’oppresseur, du fuchsia pour le poids des traditions et une licorne parce que c’est classe, et un chanteur au chômage pour composer l’hymne national et, grâce à la danse traditionnelle, remporter le prochain Eurovision et le tour est joué, tu as ton identité nationale et tu pourras occuper tes ministres au chômage. Il te faut aussi une devise nationale, que tu trouveras facilement sur evene.fr, et une équipe de foot. Ensuite, tu fais comme tu veux mais le mieux c’est encore de lancer une guerre.

Ensuite, tu te souviens que c’est un peu comme la mayonnaise et que ça va pas être possible, tu es au régime, et tu jettes.

17 Responses to “Beurre remanié”

  1. fraise_desbois says:

    mince. je me sens dans l’obligation de partager ceci sur facebook.

  2. Leïleï says:

    Merci.
    special ah ah ah à evene.fr
    mais un ah ah ah global
    du coup, tu as sauvé ma journée (mais la blague du pinceau déjà c’était pas mal).

  3. lotre says:

    Moi je vous laisse la formule 1 et Drucker (le genre d’émissions à dormir debout en bout) Pis à la place du rôti je prendrais une escalopes au marsala qui se fait pas avec un beurre manié (ou remanié) mais avec de la crème fraiche bien de chez nous ou de chez vous ou d’ailleurs là ou l’herbe est plus verte (on s’en fout d’ailleurs).

    J’ai failli mettre la recette du beurre manié sur twitter parce que le remaniement moi ça me gonflait mais finalement j’ai rien twitté parce que j’avais la flemme de manier et remanier un tweet de 144 caractère sur un truc dont j’avais rien à battre (les oeufs en neige, ce qui n’est pas utile pour un mayonnaise )

  4. Nekkonezumi says:

    Selon tes critères je vénère donc Marie Myriam, Frida Boccara, Isabelle Aubret, Jacqueline Boyer et André Claveau. J’ai envie de pleurer… passe moi donc la mayonnaise au lieu de la jeter, va.

  5. Laure says:

    Eh y a même une chute!
    Pourquoi des blagues sur les Valaisans alors que les Vaudois et les Genevois sont tout indiqués pour ça? ;-)

  6. raph says:

    ahah des blagues sur les Genevois ! tu n’y penses pas

  7. Moukmouk says:

    tu parles des Valaisans mais moi je dis que dans le petit canton de Genève, il se passe des choses pas catholique.

    mais tu démontres une fois de plus que la Suisse est en avance sur l’Amérique. Ça fait 12 000 qu’il y a des amériendiens et ils ne sont pas foutus d’en faire une identité nationale. Pas étonnant que les riches américains envoient les gros sous chez toi.

  8. hurluberlulu says:

    De toute façon, le monde entier est rien qu’une grosse truite à coté de nous, la France (tu l’entends la marseillaise là ?). Et le G20, que Notre Sublime va commander pendant un an va le comprendre illico.

    Vous seriez bien aimable donc de ne pas ricaner. D’autant que nous avons enfin dans notre gouvernement l’Immense Frédéric L. (y’avait un monseigneur avec le même nom chez vous) en charge du commerce et qu’il ne serait pas surprenant qu’il fasse rapidement du commerce avec vous (avant 2012).

    Sur ce je garderai bien la mayonnaise moi, j’ai des ½ufs mimosas ce soir à diner.

  9. fonji says:

    Au régime, oui, mais dictatorial, le régime, alors.

  10. Hatman says:

    Je m’insurge contre les blagues sur les Valaisans ! C’est pas possible des choses pareilles !

  11. Fennec says:

    @ fonji : je soupçonne ce billet d’avoir été écrit dans le seul but de caser ce bon mot final. C’est d’ailleurs à ça qu’on reconnait les billets qui ont une chute : l’auteur a commencé par la fin…
    (comme dans ceux qui expliquent une expression saugrenue)

    Raph, j’espère ne pas connaître un crime de lèse-identité-nationale en n’enrichissant ma culture de la chanson française uniquement sur un blog suisse (et bleu). Quoiqu’il en soit je viens de voir une affiche du dernier album de Cali qui se nommerait “La vie est une truite arc-en-ciel qui nage dans mon coeur”. Et je commence à penser qu’avec des titres pareils, les paroliers nourrissent tous le secret dessein d’être expliqués ici !

  12. raph says:

    Fennec : oui, je pense que Cali me provoque directement. En revanche, non, la chute est venue parce qu’il me fallait une chute, mais content de faire illusion.

  13. Hellsy says:

    Ouais ricane, ricane, mais nous, notre régime (alimentaire) vient d’être classé au patrimoine immatériel (?) de l’Humanité par l’UNESCO, ouaiche môssieur. Et pas simplement le rôti, Drucker (c’est qui ?) ou la mayonnaise. Non, “le repas gastronomique” : apéritif, entrée, plat de poisson, plat de viande, fromage, dessert et digestif, plus les vins.

  14. raph says:

    Ouais. Du coup c’est con, on va plus oser y toucher, alors que j’aurais bien repris un peu de fromage avec ma daube.

  15. Isabelle says:

    Ta recette de l’identité nationale m’a rappelé le film “La souris qui rugissait”.
    Rien que pour ça : merci.

  16. Luthi says:

    Bien vu…

    Par contre attention, faut pas le dire trop fort, mais il paraît que les Français aussi, ils se moquent d’eux entre eux.
    Les Marseillais roublards, les Auvergnats consanguins en plus d’être radins, les Bretons alcooliques (ah non pardon, ça c’est les statistiques). Et on ne parle pas des Parisiens.
    Quoique, ça fait un moment que je suis partie, peut-être que c’est plus légal maintenant.

  17. Pour les disparitions, c’est moi, ou personne n’a remarqué la disparition du “codéveloppement” ? Car ça faisait parti du même ministère que l’identité nationale ça.

    Remarquez qu’il semble surtout que personne ne savait que le “codéveloppement” existait