Le doigt pointé droit sur moi, d’un air presque méchant, il lance: “Deviens mon entraîneur-assistant”. Au début, j’y ai pas trop pris garde, ma maman m’a toujours appris à ne pas écouter ce que disent les gens dessinés sur des packs de Carlsberg. Mais quand même, ça m’a un peu titillé. Je veux dire, que Köbi Kuhn pense à moi pour l’assister, c’est déjà surprenant. Ok, avec les juniors D du FCT, on avait d’assez bons résultats. Mais c’était y a longtemps et bon, ma tâche principale était de les aider à attacher leurs chaussures. Je suis sûr que tous les joueurs de l’équipe nationale savent attacher leurs godasses tous seuls. Enfin, je suppose. Je dis pas que ça me ferait pas plaisir, hein, mais c’est tout de même un peu étonnant.
Mais que Köbi Kuhn me tutoie, comme ça, en pleine coop, je trouve ça bizarre. Pour ceux d’entre vous qui le connaissent mal, Kobi Kuhn c’est l’entraîneur de l’équipe suisse de football. Un gars bien, je crois, mais que je connais pas plus que ça. J’ai rien à lui reprocher pour le moment, même si les entraîneurs de foot, c’est comme les steaks de cheval, ils peuvent passer d’excellents à bons pour la poubelle en quelques secondes. Mais bon, que je sache, on se tutoie pas.
C’est là que je me suis rendu compte que Köbi (je l’appelle par son prénom, puisqu’il me tutoie) ne parlait pas à moi, mais à tous les gens qui passent. Même à la voisine, qui a bien la portée de voix nécessaire pour le poste, mais qui ne connaît probablement même pas le prénom de Tranquillo Barnetta. Même à des français ou à des irlandais. (Quoique des irlandais ne boivent probablement pas beaucoup de Carlsberg). Et il fait pas ça seulement à la coop du quartier. Il passe même à la télé pour demander à des gens de devenir son entraîneur-assistant. En les tutoyant.
En fait, Carlsberg, sponsor officiel de l’équipe suisse de football, organise un concours. Et le premier prix de ce concours, c’est donc de devenir l’entraîneur-assistant de Köbi Kuhn pendant deux jours. J’ai participé, pour voir, sur le site de Carlsberg. On m’a rien demandé sur le 4-3-3, ni sur qui je pensais faire jouer sur le flanc gauche. On m’a posé une question à choix multiple avec deux choix, dont un plutôt peu choisissable. Donc si ça se trouve, ma voisine aurait facilement trouvé.
Si ça se trouve, elle a trouvé et c’est elle qui va assister Köbi Kuhn pour le match contre la France. Au moins, on l’entendra pas hurler dans les escaliers ce soir là, c’est déjà ça de gagné. Mais quand même. Si ça se trouve, elle sait même pas ce qu’est un 4-3-3. Si ça se trouve, sur le flanc gauche, elle va vouloir faire jouer son fils.
Il est sûrement très bon, hein, mais il a sept ans et a aucune expérience internationale. A part un match contre les portugais de l’immeuble d’à côté, sur la pelouse derrière chez nous mais bon, je crois pas que ça comptait comme match officiel.
Et le plus étonnant, c’est que personne proteste. Quelques bien pensants râlent parce que le sponsor de l’équipe de Suisse, c’est de la bière et que ça se fait pas. Mais personne ne râle parce que ma voisine va mener l’équipe nationale tout droit à la catastrophe en insistant pour faire jouer son fils de 7 ans. Ni, ce qui est encore plus grave, parce que pour éviter ça, il va falloir se taper de la mauvaise bière.
“Mais c’était y a longtemps et bon, ma tâche principale était de les aider à attacher leurs chaussures.”
C’est pas toi qui sait pas faire tes lacets ?