WiFi génie

Jean-Olaf avait pris une décision importante. Une décision qui allait peut-être bien changer sa vie. Il allait se passer d’internet. Pendant toute une semaine. “Ca peut paraître fou, mais c’est comme ça”, lâcha-t-il lors de la conférence de presse qu’il avait organisée pour annoncer l’évènement, “le wifi de l’hôtel ne marche pas très bien au cinquième étage alors je me suis dit, pourquoi pas ? Ce sera l’occasion de questionner notre rapport à la société de l’information dans un quotidien surconnecté. Et puis les frais de roaming sont super élevés, en plus. Vous me direz si Federer gagne, hein, déconnez pas ?”

Aussitôt, les questions fusèrent : “Mais comment allez-vous faire si par exemple Slate publie un article pour parler de l’article du Huffington Post France, qui est une traduction de l’article américain qui cite fortement une étude citée par le Daily Mail online affirmant que les gens qui possèdent des chats sont plus doués en hula hoop que les trompettistes ? Ou si, par exemple, le hashtag #remplaceletitredunfilmpardessaucissesapéritives devient très populaire ?”

Jean-Olaf tressaillit à cette évocation. Il y a trois ans, lors du célèbre Robert Merlu gate, il s’était fait l’auteur de plusieurs blagues désopilantes, dont l’une avait été reprise dans l’article de 20 minutes “Robert Merlu – les internautes se déchaînent”, ce qui lui avait valu sept nouveaux followers. Pouvait-il se permettre d’être absent si un tel événement se reproduisait ? Mais il devait être fort. Il ne pouvait pas craquer. Pas maintenant.

Le temps passait. Lentement. Si lentement. Jean-Olaf s’ennuyait comme rarement il s’était ennuyé. Il avait du mal à croire qu’au temps de sa folle jeunesse, lui et tant d’autres avaient réussi à surmonter des épreuves telles que attendre que le feu passe au vert, attendre que le serveur passe prendre la commande, attendre que le serveur amène l’addition, aller aux toilettes sans internet ou écouter une phrase de plus de dix-sept syllabes sans téléphone portable connecté. Que faisaient-ils de tout ce temps ? Rien. Pas étonnant qu’ils aient été si bizarres.

Mais Jean-Olaf essayait de faire contre mauvaise fortune bon coeur. Il doit bien y avoir des aspects positifs. Tout ce temps, je peux le passer à méditer sur le sens de la vie, se disait-il. Tiens, cet oiseau à la grise robe, son vol n’est-il pas majestueux ? Si seulement je pouvais aller sur wikipedia pour tout connaître de ses habitudes alimentaires et sociologiques !

Déjà vingt minutes. Cela commençait à devenir plus facile. Il n’avait plus cherché son téléphone dans sa poche depuis quatorze secondes. Il sentait qu’il commençait à se détacher. Son esprit était déjà plus libre, plus serein, comme un oiseau à la grise robe.

Il redécouvrit le plaisir simple de lire le journal. C’était étonnant. Ainsi, une personnalité était décédée la veille. Il ne la connaissait pas. Un acteur, semble-t-il, qui avait joué dans plusieurs films. Hé bien le journaliste ne disait pas “Incroyable, il va tellement nous manquer !!!” et ne faisait aucun jeu de mot. Quel manque de professionalisme. Il sauta les pages politique et économie : personne ne s’insultait dans les commentaires, c’était bien la preuve que le sujet n’était pas si intéressant. Il posa sur une chaise le journal du matin et commanda un café en riant. Toute cette histoire commençait à lui peser sur les nerfs.

Heureusement, il avait prévu dans l’après-midi une visite guidée à travers la ville, ses venelles étroites et chamarrées, ses façades bucoliques, ses monuments fiers témoins d’un passé révolu, ses chats alanguis. Il se réjouissait de pouvoir enfin flâner, simplement, s’imprégner de cette culture millénaire. C’était magnifique. Il prit 293 photos. Puis il héla des passants : “Regardez, madame, j’ai pris des photos !” “Oui, bon, moi j’ai mon bus à prendre.” “Non, pardon, vous ne comprenez pas. J’ai pris des photos, #igersmaubeuge #ruelleporn #crustacés #nofilter #…” “Oui bon si vous continuez j’appelle la police.”
Neuf minutes plus tard, personne n’avait liké le moindre de ses clichés. Quand il y repensait, il avait fait une blague (est-ce que je pourrais avoir du sel… de cheval !!!) à midi dans ce petit restaurant typique et personne ne l’avait retweetée. Et personne n’avait répondu à ses pokes. Il se sentait seul, si seul, abandonné de tous… Il s’assit sur le trottoir et pleura à chaudes larmes.

Un quidam, voyant son désarroi, entreprit de le réconforter. “Hé bien, monsieur, que vous arrive-t-il ?” “Je suis sans connexion fixe depuis… houla, plus de huit heures, je me sens vide, je me suis inexistant, je ne sais pas, je ne sais plus” “Ah, oui, je comprends, l’autre jour, le réseau est tombé en panne au bureau, j’ai été obligé de travailler plusieurs minutes d’affilée sans aucune distraction, ça a fait la une de tous les quotidiens, une horreur, je vais déposer plainte au conseil des droits de l’homme” “Fort bien mais d’ici là, peut-être pouvez-vous m’aider, me dresser la liste des onze derniers motifs d’indignation, par exemple ? J’aimerais pas que les gens me pensent insensible parce que j’en ai raté un, voyez” “Je vois, je vois, mais hélas, je les ai moi-même ratés car cinq nouveaux niveaux de Candy Crush viennent d’être débloqués.”

Pour se réconforter, Jean-Olaf tenta de penser que des tas de gens devaient être dans la même situation que lui, parce qu’ils étaient trop vieux et n’y comprenaient rien à tous ces internets, parce qu’ils vivaient dans des pays où, hélas, les infrastructures numériques laissent à désirer, ou alors parce qu’ils passaient le week-end au chalet. Des gens qui ignoraient tout du top 10 des chatons qui ressemblent à des chevaux, qui n’avaient jamais lu le courrier du coeur de Slate et pensaient naïvement que cette rubrique existait depuis toujours dans des magazines pour adolescentes, voire qui, ignorant tout de la vraie et unique recette des pâtes à la carbonara, les cuisinaient comme bon leur semblait sans se douter du drame terrible qui se tramait dans leurs assiettes en porcelaine véritable. Il fondit en larmes.

Jean-Olaf avait pris une décision importante. “Lol, vous y aviez cru ? Une semaine sans internet ? Lol c’était trop un fake, les nuls”, lâcha-t-il lors de la conférence de presse qu’il avait organisée pour annoncer l’évènement.

5 Responses to “WiFi génie”

  1. Monsieur Prudhomme says:

    au moment où Nabila et Thomas traversent une grave crise dans leur couple, c’est sur qu’il allait pas pouvoir tenir.

  2. TT02 says:

    Eh ben alors y a du wififi sur le net ?

  3. Alinéa says:

    Ce post est un fake : cet homme ne connait rien à l’internet mondial, sinon il saurait que les nouveaux niveaux Candy Crush arrivent par 15.
    Je pense à un complot.

  4. Leina says:

    Encore une fois, bien vu…!

  5. Nadezda says:

    RT. Définitivement, RT.