Lapon de garenne

Ikea, donc.

A cinq ans, le sentiment est mitigé: on sait que, pour avoir droit à la piscine de boules, va falloir arpenter (même si à cinq ans, on dit pas forcément arpenter) les rayons pendant des heures et vaguement écouter ses parents se poser des questions existentielles genre “est-ce que cette table basse Öfenstrüe irait bien avec le chandelier blanc Louis XII?” Des heures de souffrance pour quelques minutes de plaisir: et si le vrai but d’Ikea c’était de préparer mentalement les enfants au calvinisme?

Des années plus tard, c’est pareil. Sans les boules.

D’abord, il faut accéder au magasin, souvent faire la file au parking, chercher une place de parc. L’humain est masochiste. Puis se promener dans les rayons, s’extasier devant les abat-jour en bois massif, les porte-cendrier en rotin incarné et les sous-verre en fonte sans serif et se dire: faudrait que j’arrête avec les mots composés, là.

Tout ça en supportant les cris des gosses qui aimeraient retourner dans les bulles, des parents qui hurlent pour que leurs enfants se taisent, de la belle-mère attachée dans un placard Skrüttüfü.
Mais y a quand même des compensations: soucieux des détails, les décorateurs-ikeaistes ne laissent jamais une étagère vide. Donc quand on en a marre de regarder les canapés saumon, on peut feuilleter un peu les best-sellers décoratifs. En général, c’est des trucs en suédois avec des titres super drôles genre Här kan du läsa. En France, les jeunes auteurs rêvent de passer chez Pivot (ou Ruquier, c’est selon), en Suède, ils doivent rêver de passer chez Ikea.

Une fois le tour du magasin fini, faut entasser les 112 meubles choisis sur un chariot fait pour en contenir 111, se battre pour les faire entrer dans la voiture et se les coltiner sur quatre étages si on habite au quatrième étage.

Puis vient le grand moment. Les Danois ont inventé les Lego, les Suédois Ikea. La Scandinavie, ça doit vraiment pas être drôle tous les jours. Quand on paume un Lego sous un tiroir, dans l’aspirateur ou dans son estomac, y a toujours moyen d’improviser. Mais quand la dernière vis de l’étagère Sztrf file sous l’armoire Gudrun qu’on venait justement de remplir avec la collection d’enclumes anciennes du petit, tout devient plus difficile.

Par contre, y a quand même un point commun avec Lego: y a toujours un moment ou on se rend compte que la pièce qu’on avait employée en bas à gauche, en fait, elle allait en haut à droite et qu’on l’a confondue avec une pièce qui lui ressemble un peu, mais qui fait 3 millimètres de plus et que maintenant va falloir tout recommencer sinon on risque de créer une faille spatio-temporelle qui va plonger le monde dans dix-mille ans de domination Elisabeth-Teissier-ienne.

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