Coming outre

Finalement, ça s’était plutôt bien passé.

Evidemment, sa mère avait fondu en larmes. “Mais comment je vais annoncer ça à mes copines du yoga ?” C’était la première chose à laquelle elle avait pensé. Puis elle avait ajouté, en sanglotant, “c’est de ma faute, j’aurais dû m’en douter, tu aimes tellement le football”. Son père s’était énervé. “Comment est-ce que tu as pu nous mentir si longtemps ?” En réalité, il n’avait jamais menti, il n’avait juste jamais démenti.

Il n’avait pas démenti quand on l’avait appelé “pédé”. C’était au camp de basson, les autres garçons le trouvaient bizarre parce qu’il ne considérait pas quelqu’un qui pète comme la meilleure des plaisanteries possibles et ne pensait pas que relire seize fois le même magazine pornographique était un passe-temps passionnant. Alors quand le grand Fulgence lui avait dit “mais tu serais pas pédé, toi ?”, il avait juste répondu “désolé, t’es pas du tout mon genre”. Deux jours plus tard, toute l’école, tout le village, toute sa famille avaient été au courant mais il n’avait pas démenti : ceux qui l’évitaient désormais étaient des gens par lesquels il était assez fier d’être évité, ça lui permettait donc de faire un tri assez efficace.

Il n’avait pas démenti, évidemment, quand Gunda s’était déshabillée devant lui. La plus belle fille de l’école, tous les garçons prétendaient « se l’être faite », presque tous mentaient. Il avait juste fait semblant de détourner le regard mais n’en avait pas perdu une miette. Il avait bien failli tout avouer, deux heures plus tard, quand elle lui avait demandé “mais tu n’as jamais eu envie d’essayer avec une fille ?” mais il avait bien fait de ne pas le faire. Et depuis, il avait entendu cette phrase bien souvent, avec à chaque fois les mêmes agréables conséquences.

Et il n’avait jamais démenti devant ses parents, pour ne pas leur faire de peine. Ils étaient si fiers d’avoir un fils homo. Du jour où ils avaient appris sa prétendue préférence, il avait enfin existé à leurs yeux. Il ne jouait pas de harpe dans un groupe de post-punk comme son frère Anaximandre, il n’avait jamais été en prison pour outrage à agent comme sa s½ur Clytemnestre, il était étudiant en économie et capitaine de son équipe de rugby, il n’avait pas grand chose dont ses parents puissent se réjouir jusque là. Alors il faisait semblant. Il avait même demandé à un ami de jouer le rôle, juste un soir ou deux, de son amoureux pour faire taire un peu les “mais quand vas-tu nous présenter ton copain ? Tu es quand même pas hétéro, ahahah” si récurrents.

Mais là, il ne pouvait plus mentir. “Papa, maman, j’ai rencontré quelqu’un, j’aimerais vous la présenter”, ça ne devait pas être si dur à dire. Finalement, ça s’était plutôt bien passé. Comme dans les films, comme personne ne le fait jamais dans la réalité, il avait répété la scène cent fois devant le miroir. Demain, il oserait enfin.

4 Responses to “Coming outre”

  1. TT02 says:

    Oh le vilain, vilain, vilain. Il n’a pas démenti. Le CO QUIN ! (Huhuhu)

  2. Gunda says:

    Se faire Gunda

  3. J’aime beaucoup le concept :)

  4. cédric says:

    Fulgence?
    Mais c’est le nom du juge du roman de Fred Vargas “Sous les vents de Neptune”, n’est ce pas?
    Ou le hasard (qui n’existe pas).
    Allez, des “mens pas” … euh non! Allez, démens pas !
    Mais quel comportement déchirant pour Gunda. La pauvre. Elle qui se croyait irrésistible… quelle tragédie, quel drame!
    Ah oui, parce que :”Au théâtre, une seule question : “baiseront-ils?”. S’ils baisent, c’est une comédie. S’ils ne baisent pas, c’est un drame.” (Marcel PAGNOL)
    Sur ce…