It’s complicated

Aujourd’hui, Facebook a dix ans. Beaucoup plus que, par exemple, Caramail, voyages-sncf.fr ou exhibamateur.com, le réseau social de Marc Montagnedesucre a durablement changé la face du monde depuis sa création. A titre de comparaison, tout ce que Bon pour ton poil a réussi à accomplir, en presque onze ans, c’est un bouquin auto-édité.

Car Facebook a considérablement modifié la vie de ses utilisateurs, comme nous allons le voir avec les témoignages suivants.

Ignazia Fonjallaz, misanthrope
« Mon arrivée sur Facebook a été un grand moment. Autrefois, j’avais le sentiment, l’intuition, que les gens étaient des cons. Désormais, j’en avais la certitude. Je passe encore sur les parents qui, soudain, se sentent obligés de s’exprimer comme s’ils avaient le même âge que leur nouveau-né. On peut leur pardonner. Le manque de sommeil. Mais les autres. Ceux qui sont en représentation permanente. Ceux qui s’indignent vingt fois par jour. Ceux qui se sentent obligés de venir commenter le moindre statut avec une blague désopilante. Ceux qui relaient la moindre rumeur, sans jamais user de leur cerveau. Ceux qui, une fois la rumeur démentie, accusent les médias d’être responsables de leur absence total de sens critique. Les lanceurs de moutons, les acharnés de Candy Crush. Tous. Je les haïssais cordialement. Et puis, un jour, j’ai découvert que ce sentiment était partagée. Quelle joie ! J’ai découvert un groupe secret, havre de haine, où d’autres misanthropes se réunissaient pour déverser leur bile. Nous avons commencé à organiser des rencontres, régulières. C’est là que j’ai fait la connaissance de Predrag, mon époux. Nous avons tant de choses en commun. Nous allons régulièrement dans des restaurants dégueulasses, pour pouvoir ensuite les descendre en flamme sur TripAdvisor. Nous n’allons voir que des films français. Nous avons trois enfants, d’une laideur abyssale. »

Egoyan Chobaz, employé de bureau
« Avant Facebook, je m’emmerdais. Je faisais des petites statuettes en trombones. Heureusement, ce temps-là est bien fini. Je ne m’ennuie plus jamais au travail. Ni dans le bus. Ni en voiture. Ni quand je me lève au milieu de la nuit pour aller aux toilettes. Chaque instant, je peux le mettre à profit pour poker, liker. Parfois même pour lire un article. Quel progrès ! »

Marcella Ramirez, preneuse d’otages
« Vous savez, mon métier est encore trop mal considéré. Surtout pour une femme ! Peu de gens savent reconnaître une belle prise d’otages artisanale. Les médias, il faut le dire, sont souvent de parti pris quand ils parlent de nous. Et du coup, souvent, je doute, je me demande si c’était un bon choix de carrière.
Le rapport avec Facebook ? Bien, voyez-vous, je lisais, l’autre jour, cet article qui critiquait les réseaux sociaux, il paraît que selon une étude américaine, ça rend bête et allergique au ketchup. Toute la journée, des gens l’ont partagé. C’est amusant, parce que ces gens, je venais de les prendre en otage et on s’était ajoutés en amis, mais je sentais qu’ils étaient un peu distants vis à vis de moi. Et justement, le fait que plus les gens passent leur temps sur Facebook, plus ils aiment en dire du mal, ça m’a redonné pas mal de foi en ma profession. Parce que rien, dans la prise d’otage traditionnelle, n’est plus beau qu’un beau syndrome de Stockholm ! »

Hjjrun Dubey, narcissique
« Facebook ? C’est ringard. C’était bien en 2009, quand ils ont ajouté le bouton like. Désormais, je vais sur Instagram. Vous avez vu ce coucher de soleil ? 143 personnes l’ont <3é. Moi, je ne suis pas du genre à me vanter, mais quand même, ce n'est pas tout le monde qui voit des aussi beaux couchers de soleil. »

Kundun Beuchat, humoriste
« Fessebouc ? Je déteste ! Regardez, ce matin. J’apprends la mort de Philip Seymour Hofmann. Un acteur, je crois, ou un footballeur. Vite, je poste “Philipe, C’est mort !!!” Quelqu’un l’avait déjà faite. »

Testuya Apothéloz, community manager en recherche d’emploi
« Je fais un métier qui n’existait pas il y a dix ans. Tous les jours, je gère ma communauté. C’est énormément de travail. Un like pour montrer que je suis réactif. Un commentaire pour faire preuve de rebondivité. Très important. Je ne manque jamais d’y ajouter trois hashtags. Je suis d’ailleurs l’inventeur du hashtag #parfoislesoirjemangedesfruitsmaispastoujours. Alors vous allez me dire, le hashtag, c’est plus twitter. Mais il faut savoir faire preuve d’interconnectivité multiplateformiale. A ce propos, je ne manque jamais un “apéro”, ces événements sociaux où des utilisateurs des réseaux sociaux se retrouvent IRL pour faire du networking et parfois des interactions interpersonnelles intergénitales. Très important, pour le branding, quelqu’un qui n’a pas couché avec au moins huit personnes de sa communauté n’existe pas, il faut le savoir. Il y a dix ans, on appelait ça glander et se bourrer la gueule. C’était le Moyen-Âge. »

Bonaventure Perretgentil, titreur
« Ah, ça, je m’en souviens, comme on me moquait, jadis ! « Les titres, c’est un détail, l’important, c’est le contenu ! » Je leur répondais « un jour, vous verrez, plus personne ne s’intéressera au contenu ! Plus personne ! Plus personne ! Gnahahaha ! Bien fait ! » Ils me riaient au nez, ils me traitaient de fou. Vous avez vu passer cet article, la semaine dernière, « Ivre, une femme nue maltraite des bébés chiots sous les yeux de Justin Bieber, temps de lecture estimé trois minutes » ? Ça parlait des championnats d’Auvergne d’haltérophilie, une bête erreur de typo. »

Athanagor Mudry, météorologue
« Ça, ma petite dame, on peut dire que les réseaux sociaux ont fait beaucoup pour la reconnaissance de la profession… Oh ! Attention, derrière toi ! L’anticyclone des Açores ! »

Evarista Berlincourt, philosophe et graphiste amatrice
« Nous faisons ça de père en fille. Regardez, c’est un chaton qui dit « un sourire ne coûte rien mais il enrichit beaucoup ». Mon grand-père l’a réalisé sur carte postale. Ça n’a jamais vraiment marché. Il fallait renvoyer la carte postale à dix de ses amis, c’était compliqué. Mon père, lui, créait du pps traditionnel, avec les animations. On se les envoyait par mail. C’était le bon temps. Il est aussi un pionnier du gif animé traditionnel français. Mais cet art avait bien failli se perdre. Heureusement, Facebook a bien relancé nos affaires. 99 personnes sur 100 n’auront pas le courage de partager ça sur leur mur !!! Et toi ? »

Horst Dévanthéry, timide
« Jadis, pour moi, la séduction était une chose difficile. Je me souviens, par exemple de cette fille pour qui j’avais eu un petit coup de foudre sur Caramail: kikinou72. En trois mois d’utilisation de ce chat, puisqu’il faut appeler un chat un chat, c’était la première personne à ne pas m’ignorer ! Je me souviens encore de notre conversation : je lui avais dit “salut” et elle m’avait répondu “cc sa va”. Jamais je n’oublierai ces mots. Car ce furent les derniers que nous échangeâmes : je ne la connaissais pas, elle ne me connaissait pas, je ne savais pas trop quoi lui dire. Son profil, sous une très belle photo d’ange devant un clair de lune, m’indiquait qu’elle aimait les amis, les sorties et la musique, et qu’elle n’aimait pas les hypocrites, la pluie et la tristesse. Je me sentais en phase avec elle. Je réfléchissais encore à la façon de bien entamer la conversation avec cette jeune fille sensible et sophistiquée, quand je reçus cette notification : kikinou72 vous a ignoré(e).
Lorsque je découvris Facebook, un beau jour d’automne 2007, il en alla tout autrement. A l’époque, nous n’étions pas si nombreux que ça à être connectés sur le fameux réseau social. Je décidai d’ajouter à mes amis tous mes anciens camarades de classe: ils n’avaient pas de compte. Je décidai alors d’ajouter à mes amis toutes mes ex: je n’en avais pas. Je décidai alors d’ajouter à mes amis un peu n’importe qui que je connaîtrais un peu, même vaguement. Par exemple Isaline Creuteuf, la fille d’une amie des cousins de mes parents, que j’avais rencontré une fois à un enterrement. Elle refusa ma demande. Pendant de longs mois, je passai mon temps à lancer des moutons à Fiodor Dévanthéry, mon chat, pour lequel j’avais créé un compte. Puis un jour arriva la superbe Semilia Frouchaux, dont j’avais longtemps été amoureux, en 6e primaire on avait été en classe verte et on avait joué à action ou vérité, elle m’avait dit qu’elle était amoureuse d’un garçon de la classe et je n’avais pas osé lui demander si c’était moi et j’avais bien fait, ce n’était pas moi. Et voilà qu’aujourd’hui, c’est elle qui me demande en amitié, après toutes ces années ! Sept ans plus tard, je n’ai pas encore osé lui parler de mes sentiments, mais je ne manque jamais de liker ses changements de situation amoureuse. »

4 Responses to “It’s complicated”

  1. Nekkonezumi says:

    Je ne sais pas si c’est mieux de commenter ici ou sur Facebook.

  2. Monsieur Prudhomme says:

    Montagnedesucre, c’est un peu ridicule comme pseudo, non ?

  3. Malko says:

    Il est où le bouton pour liker ce billet ?

  4. raph says:

    Il est dans ton coeur