Avec ma gueule de patrimoine

Un samedi, la famille Chouffron, de Frambouhans (25), reçut à dîner des amis, les Planchaud. Catachrèse Chouffron, (qui avait grandi en Côte d’Or) prépara son fameux boeuf bourguignon, avec en entrée une terrine au poivre. Paul-François Chouffron s’était chargé du dessert, une tourte dont il disait détenir la recette d’une vieille tradition familiale, mais qu’il avait en réalité découverte sur marmiton, alors que les Planchaud avaient amené un petit vin d’Arbois et les fromages. Et c’est justement au moment du morbier que débarqua un car entier de touristes japonais venus immortaliser le repas gastronomique à la française, récemment inscrit au patrimoine mondial de l’humanité de l’UNESCO.

Pendant ce temps-là, des gens essayaient de faire inscrire Le Corbusier au même patrimoine mondial. Pas juste une de ses constructions les moins laides, non, tout son patrimoine architectural.
Puis ce fut la folle cavalcade. Tout le monde voulait voir ses spécificités culturelles reconnues. Les Italiens firent inscrire le farniente au patrimoine mondial de l’humanité, les Suisses les bacs de géraniums devant les fenêtres des chalets au gazon soigneusement tondu et orné de nains, les Espagnols tentèrent d’y faire inscrire le fait de gagner toutes les compétitions sportives, les Russes le petit verre de vodka d’avant 9 heures du matin et les Bretons leurs chapeaux ronds. Partout, dans le monde, il se formait des comités de soutien pour tout et n’importe quoi, le quadrille, la country, le ukulele, l’alpinisme, la viande en sauce.

Un village fit inscrire son architecture particulièrement banale, un autre ses toits particulièrement rouge, un troisième son bar PMU particulièrement fermé le lundi, un dernier son allée de platanes, une des seules au monde à compter 17 platanes. Les demandes ne cessaient d’arriver et cette année-là, l’UNESCO embaucha des centaines de nouveaux spécialistes en inscriptions.

C’est à ce moment-là que quelqu’un demanda “mais à quoi ça sert, au juste, un patrimoine ?”, mais il se fit très vite rappeler à l’ordre.

Une twitteuse jusque là méconnue demanda officiellement à l’UNESCO d’inscrire ses seins au patrimoine mondial de l’humanité. L’idée fit débat: de notes de blogs en vidéos youtube et en groupes de soutien sur Facebook, le buzz fut énorme. Les journaux s’emparèrent de son histoire, déclenchant des centaines de commentaires (tout ça, c’est pour détourner l’attention des vrais problèmes de la société que sont l’islamisation rampante et la construction européenne (Le Figaro) / tout ça, c’est de la faute à Sarkozy (Libération)). Puis, au bout de six mois, quelqu’un demanda “au fait, on les a vus, les nichons de la meuf” et comme tel n’était pas le cas, on passa à autre chose.

Puis un groupe de militants postnéoalterhippies proposèrent d’inscrire l’humanité au patrimoine mondial de l’humanité. Ce fut accepté, ce qui provoqua immédiatement une fissure dans l’espace-temps et, à terme, l’invasion du monde par des créatures ressemblant un peu à des kangourous mais pas trop.

Quant à Paul-François Chouffron, il aurait bien repris un peu de salade.

17 Responses to “Avec ma gueule de patrimoine”

  1. Lou says:

    Madame Chouffron a un chouette prénom.

  2. Nekkonezumi says:

    Ben oui, c’est connu, du patrimoine à ma poitrine, il n’y a qu’un léger désordre.
    Non, c’est pas moi. Je pourrais, mais j’ai le sens du ridicule, parfois.
    Je ris depuis Catachrèse, ça fait long mais c’est bon.

  3. Wini says:

    On ne souligne pas assez que les Belges ont, sur ce coup-ci, été encore plus fort. Tapez “Gilles de Binche” dans Google, et pleurez…

  4. funambuline says:

    “La viande en sauce” ? Il y a un groupe FB ou le soutien se fait via # ???

  5. raph says:

    « Contrairement à leurs homologues des villages environnants, les Gilles binchois ne sortent que le Mardi-Gras et doivent respecter certaines coutumes (ne pas se déplacer sans l’accompagnement d’au minimum un joueur de tambour, ne pas s’assoir en public, ne jamais être saoul, être obligatoirement Binchois d’origine…). »
    Des gens pas saouls dans un Carnaval, rien que ça, ça mérite largement le patrimoine mondial immatériel

  6. Algayani says:

    L’unesco, ok, mais l’autre?

  7. shalf says:

    Morbleu, j’reprendrais bien du Morbier !

  8. judipich says:

    on devrai mettre ce blog au patrimoine de l’humanité.

  9. Hellsy says:

    J’étais sûre que tu écrirais un truc sur cette affaire de repas gastronomique patrimoine de l’humanité.
    A quoi ça sert ? A se souvenir d’un truc un peu mort. Qui s’amuse encore à préparer pendant une semaine des repas qui durent 4 plombes, crise de foie à l’appui ?

  10. Gamacé says:

    Ah ah merci beaucoup, grand sourire :D (depuis Catachrèse au moins aussi)

  11. Fennec says:

    Donner le patrimoine de l’humanité, c’est comme sourire : ça ne coûte rien et ça rend des gens heureux. Tout individu a soif de reconnaissance, alors pourquoi pas distribuer des patrimoines de l’humanité, des médailles et des journées thématiques à l’infini ?
    Tant que ça fait illusion, laissons les gens se gargariser d’avoir obtenu leur quart d’heure de célébrité. Un citoyen heureux est un citoyen productif et qui consomme… et qui est heureux de le faire :)

  12. Laure says:

    Oh voui, les commentateurs sont pleins de bonnes idées: inscrivons bptp au patrimoine de l’humanité, et décrétons une journée bptp par an, s’il reste un jour libre.

  13. Shadok says:

    L’alternative, c’est le Nobel de la Paix, non ?

  14. Fof says:

    aah ça fait du bien d’entendre parler de sa chère Franche-comté qd on est exilée au pays des rosbifs! Qui eux voudrait surement inscrire le fish&chips au patrimoine de l’humanité, yeurk

  15. Veig says:

    C’est pas bien de plagier ton compatriote Estebe…

  16. raph says:

    J’ai failli cuisiner une de ses recettes une fois, mais je ne pensais pas que c’était considéré comme du plagiat

  17. raph says:

    Je ne comprends point trop ce que je suis supposé avoir plagié, à part le tag salade, mais je me dis que je devrais lire son blog bien plus assidument