Vaut-il mieux vivre, comme le dit la sagesse populaire, avec des remords, ou avec des regrets ?

Pour le savoir, mettons-nous en situation.

Nous sommes au tribunal, un mardi. La juge interroge le principal suspect. Il porte une moustache broussailleuse, mais cela n’est d’aucune importance pour la suite de l’histoire.

• Vous êtes accusé d’avoir tué treize personne de sang-froid…
• Ouais je sais, j’ai merdé !
• Ah, des remords, donc ? Acquitté !
• J’aurais pu en tuer quatorze, ou quinze, facile, mais j’ai eu un moment de flottement.
• Des regrets, donc ? Vingt ans de prison.
• Non mais parce que il y en a un qui ressemblait à mon ex, à qui je n’ai jamais pris le temps de dire tout ce que j’aurais voulu dire…
• Encore des regrets ! Vingt ans de prison dont dix en cellule avec Nicolas Sarkozy qui vous lit son livre audio, là.
• J’aurais voulu lui dire que c’était moi qui avais cassé le petit vase en porcelaine, pas Jean-Claude, son hamster…
• Des remords ? Bon ben allez, je vous mets du sursis et je vous paie le café.

Non mais évidemment, tout de suite les situations extrêmes, me direz-vous de but en blanc. On ne pourrait pas trouver une autre situation, mais par exemple moins extrême ?

Nous sommes dans le bus, un mardi. Louis prend son bus comme tous les matins. Il croise cette fille avec son doux parfum, je comprends pas pourquoi les gens qui prennent le bus ont le droit de se parfumer, attendez un peu que je sois chef des bus et ça changera, mais ça n’est pas le sujet, elle est super belle avec des bras et des jambes et tout et en plus elle lui a souri une fois, la fois où il avait un bout de salade sur la tête, il est si distrait, Louis, mais ça n’a rien à voir, elle lui a souri, ça veut bien dire qu’elle veut construire une maison en Indochine et en bois avec lui, faire douze enfants et adopter un hamster et surtout lui faire l’amour passionément, sinon pourquoi elle sourirait ? toujours à provoquer, les meufs. Mais Louis, ce con, il va pas lui parler, elle descend du bus et toute sa vie il regrettera et pensera à tous les horizons possibles, car il était fou amoureux d’elle avec ses bras et ses jambes franchement elle était faite pour lui mais bon elle est descendue du bus alors jamais plus il ne connaîtra l’ivresse des sens.

Alors que s’il était allé lui causer, elle lui aurait dit : « Non mais j’ai souri parce que vous avez l’air d’être d’ici, pas comme tous ces étrangers pas d’ici qui volent notre pain pour fabriquer des antennes 5G qui nous provoquent le vaccin à cause des chemtrails qu’ils mettent dans les panneaux solaires, je l’ai entendu dans une émission d’Hanouna, vous aimez Hanouna ? Venez chez moi, on regardera son best-of nus en mangeant des pop-corns à la viande, ça se voit que vous êtes pas végane, vous n’auriez pas ce teint rougeoyant si vous ne mangiez pas vos 103 kilos de vraie viande, pas comme le lobby LGBT qui veut nous imposer l’écriture inclusive pour pas qu’on se rende compte qu’ils ont mis du saumon à la place du chorizo dans leur raclette, et ensuite on baise ? » et jamais il ne saura à côté de quoi il est passé.

Du bus.

Il est passé à côté du bus. Il a pris le 17 alors qu’il devait prendre le 19. Maintenant il est en retard pour son rendez-vous et il a des remords et des regrets alors je ne sais plus.

Mais aussi il est passé à côté d’une grosse désillusion, elle n’est pas faite pour lui, elle dit d’Hanouna alors qu’il faut dire de Hanouna, c’est comme haricots, tout le monde sait ça, quelle nulle, alors que là comme il ne lui a pas parlé il pourra toujours faire douze enfants et un hamster avec le fantôme de son absence.

D’accord, mais tu n’as pas un exemple un peu moins extrême, me direz-vous ?

Alors oui, parfois dans la vie il vaut mieux avoir des remords parce que tu es allé à l’Île Maurice en avion alors que tu avais juré de ne plus prendre l’avion à cause de tous ces dodos morts de n’avoir pas pu te rencontrer plutôt que des regrets d’être parti à L’Isle (VD) en Blablacar avec Maurice, qui conduit comme un sagouin et vient de louper un virage.

Mais pas toujours quand même.

Alors qu’est-ce qu’il raconte, Stephan Eicher ?