Album panini

Peut-être, ce lundi était-il synonyme pour toi de rentrée. Peut-être, après des semaines de bombance, t’es-tu rabattu sur ce grand classique de l’alimentation des classes travailleuses, le sandwich au jambon.
Non mais un bon, hein, avec du beurre, de la moutarde, de la salade, des cornichons, et même de l’oeuf quand même pas le pauvre baguette rassie – jambon translucide de bas de gamme.
Tout de même, tout de même, tu as eu du mal à être transporté de bonheur par la préparation, pourtant tartinée avec amour par un employé enthousiaste de “à la mie qui vous veut du bien”, la boulangerie-charcuterie au bas de ton travail.

Alors que pour que tu manges ce sandwich, des gens ont risqué leur vie, des gens ont souffert. Y as-tu songé ?

Ca ne m’étonne pas.

Le pain, déjà. De la farine, un peu d’eau, du sel, de la levure. Rien de bien compliqué.
Pour arriver à faire du pain, il a fallu un long cheminement. Quelque part, dans un faubourg de Sumer, le jeune Ugror est en train de moudre des trucs. C’est son hobby, moudre des trucs. Il est un peu pénible avec ça, même. Mais ses parents, qui se sont attachés à lui pour des raisons sentimentales, ne veulent pas le priver de ce petit plaisir. Alors ils lui donnent du grain à moudre : des céréales qu’on ramasse parfois parce que c’est rigolo, ça fait comme du chewing-gum, mais là elles ont séché alors c’est moins bon. Ca fera de mal à personne s’il les réduit en poudre. Puis un jour, Ugror abandonne là sa préparation, et il se met à pleuvoir, et j’aime mieux te dire que c’est pas tous les jours, dans les faubourgs de Sumer. La poudre devient pâteuse. Ugror, au lieu de la jeter aux cochons, la mange. C’est pas très bon et ça donne mal au ventre. De rage, il la fait cuire. Dans les cinq minutes, tout le village, par l’odeur alléché, vient lui demander de lui filer un pain.

Ensuite, le jambon. Ca n’a l’air de rien, comme ça, le jambon. Mais pense à ces gens qui, plus ou moins à la même époque, à deux trois milénaires près, décident de se mettre à élever des animaux. Au début, probablement, ils ont un peu tout essayé. Les chèvres et les moutons, les aurochs, les impalas, les fourmis rouges, les palourdes, les okapis, les outardes, les pandas roux. Plusieurs de ces projets ont été abandonnés parce qu’il n’y a franchement rien à bouffer, sur ces bestiaux, plusieurs autres parce que c’est pas mauvais, mais bon, il vient encore de me bouffer un bras. Et un jour, le jeune Gruur revient avec un petit marcassin trop mignon. C’est son truc. La semaine passée, il avait ramené une fouine, mais elle arrêtait pas de se battre, la précédente un héron, celle d’avant un bousier, aucune de ses tentatives ne sont franchement couronnées de succès. Mais ses parents n’ont pas le coeur de lui dire “ok c’est trop chou, tu ferais de la vue sur Youtube avec ça si toutes ces conneries existaient, mais il va nous ravager les plantations comme tous ceux de sa race, alors je sais pas si c’est bien la peine”. Le jeune marcassin, appelons-le Naf-Naf ou Kookai, ravage tout, l’expérience tourne court, mais Gruur se dit qu’il tient une idée business, il insiste, et un jour, le jambon. Manque de bol, quelques semaines plus tard, un de ses voisins invente la religion et c’en est fini de ces cochonneries.

Ce qui nous amène au beurre. Il a donc fallu inventer l’agriculture et l’élevage, réaliser que ces grosses bêtes, en fait, elles sont plutôt placides, sauf celles qui ne le sont pas. Il a fallu avoir l’idée de les traire. Ca ne vient tout de même pas au premier venu, tout de même. Mais bon, admettons. Pourquoi pas. Ensuite, il faut avoir l’idée de l’écrémer. Là, bon, en période de régime, je ne dis pas, chacun son truc. Puis il faut se dire “tiens, de la crème, si je la barattais”. Je ne suis pas complètement réfractaire à l’idée de jouer avec la nourriture, j’ai un très bon ami cavalier, mais pour avoir l’idée de baratter sa crème, il faut avoir pas mal de temps à perdre.

Pour l’oeuf, c’est un peu le même principe, sauf que là, c’est la poule qui est à blâmer : pondre chaque jour, poussin ou non, c’est un peu irresponsable, comme comportement.

Après tout ça, le cornichon et la feuille de salade, ça n’a l’air de rien. Et pourtant. Avant de se dire “tiens, ça c’est pas très bon mais je vais de ce pas tenter de voir ce que ça donnerait dans du jus de raisis macéré”, il a fallu goûter et essayer des centaines de feuilles, de racines, de rhizomes et de fruits. Je ne sais pas, peut-être, toi, tu es du genre à toujours prendre la même chose sur la carte. Je veux dire, tu as quand même mangé un sandwich au jambon, à midi. Mais les aventureux, ceux qui se sentent obligés de toujours tout goûter, ceux qui adoreraient prendre le tartare, c’est toujours bon, le tartare, mais il y a du filet mignon d’anguille à la carte, c’est pas tous les jours, ceux qui souvent comprennent pourquoi c’est pas tous les jours : leurs ancêtres ont souffert mille maux pour découvrir que non, les petites baies rouges, c’est déconseillé, ou alors seulement poché 3 minutes à 42 degrés exactement.

Et je ne te parle pas de la mayonnaise, car d’une part, la personne qui s’est un jour dit “tiens, j’ai de l’oeuf, j’ai de l’huile, j’ai pas mes règles, je vais tenter d’émulsionner tout ça lol” m’inquiète un peu, d’autre part, “à la mie qui vous veut du bien” est un endroit sérieux, il n’y a pas de mayo dans leurs sandwiches, ni même de place pour la mayo dans leurs vies.

Voilà. La prochaine fois, je t’expliquerai comment un dangereux maniaque s’est un jour dit : tiens, c’est excellent, le brochet ! je vais mélanger ça avec de la farine et de l’eau, ça sera informe et sans goût, on appellera ça quenelle, le système sera bien embêté !

3 Responses to “Album panini”

  1. Monsieur Prudhomme says:

    Effectivement, c’est un peu cavalier de jouer avec la nourriture…

  2. Super says:

    Oui, enfin là, vous êtes un peu à cheval sur les convenances !

  3. Je Rêve says:

    Ah, quel plaisir de te relire !
    (non c’est pas toi, c’est moi)(qui n’avais plus d’ordi)

    (du coup je n’ai plus trop faim, là)