Mon blog de mode

Cette fois-ci, il ne pouvait pas rentrer bredouille. Il devait mener sa mission à bien, quelles que soient les difficultés. Il le savait. Demain, il serait peut-être trop tard. Son c½ur battait comme une moissonneuse.

Il devait faire vite. Parce qu’il reprenait le travail à 13 heures, d’une part, mais surtout pour faire taire cette horrible reprise de Francis Cabrel par Shakira.

– Puis-je vous aider ? »

Il avait été repéré. Vite, trouver quelque chose.

– Je cherche des chaussures. »
– Ben oui, on est dans un magasin de chaussures. »
– Des chaussures toutes simples, avec des semelles… »
– A la limite, vous auriez pu chercher des radis. »
– Non, des chaussures. »
– Non mais parce qu’on dit des bottes de radis, alors ça fait une blague. Bon, je vous laisse regarder ? »
– Ok… »
– Non mais on ne vend pas vraiment de bottes en radis, hein, je disais ça pour vous faire rire. »

Très bien, il ne pouvait plus fuir, maintenant. Il devait faire face à son destin. Il repéra une paire acceptable, plutôt brune. Elle existait dans toutes les tailles de l’arc-en-ciel, excepté le 45. « Pute vierge », se dit-il.

– Puis-je vous aider ? », derechefa la vendeuse, qu’un écriteau judicieusement placé dénonçait comme se prénommant Gwendoline. Elle avait, grâce à cet écriteau et un rien de bonnasserie dans le regard, subi plus de 116 demandes d’amitié non désirées au cours de la semaine précédente, mais comme cela n’entre pas tellement dans le sujet de cette histoire (les chaussures), nous ne l’évoquerons que du bout des lèvres (enfin, on peut mettre un écriteau dans des chaussures, bien sûr, je n’ai jamais dit le contraire, vous sortez mes propos de leur contexte).
– Non mais je ne disais pas ça pour vous ! »
– Plaît-il ? »
– Non pardon. Alors, ces radis, vous les avez en 45 ? »
– Vous chaussez du 45 ? »
– Sur certaines paires, je peux accepter un 44 et demi, mais il me faut alors un petit escabeau pour enfiler mes escarpins. »
– Hors de ce magasin. Et plus vite que ça. Sécurité ! Il y a là un communiste qui chausse du 45 ! Que je ne vous y reprenne pas. Ah mais ! Ah non, attendez, pardon, je m’emportais, la paire un peu moche et très chère, là, elle vous intéresse ? Nous avons justement reçu un arrivage de 45 par camion express ce matin. »

Il retenta sa chance dans 17 échoppes, mais sans succès. Même sur adopteunegrolle, le site de chaussage à la mode, toutes les paires qui ne coûtaient pas trois fois le salaire d’un trompettiste luxembourgeois ou n’étaient pas de nature à être portées sans arracher de petits glapissements d’horreur à tous les passants croisés (mais des glapissements dignes, tout de même, on est en démocratie) s’arrêtaient subrepticement au 44 pour reprendre sans crier gare au 46. « Foutrebleu », se dit-il, « comment ça se fait qu’on ne puisse jamais trouver des godasses à sa taille dans ce pays, alors qu’on a un gouvernement de gauche, ça ne m’a servi à rien de commander sur internet cette crème hors de prix pour enlarge your feet ».

Pendant ce temps-là, au siège du Complot Mondial®, le chef du département Chaussures se demandait à quoi pouvait bien servir son boulot.

8 Responses to “Mon blog de mode”

  1. Nekkonezumi says:

    Et comment tu sais ça, qu’un trompettiste luxembourgeois ça a un salaire luxembourgeois, toi ? (c’est secret défense pourtant)

  2. Le Gounjou says:

    Sympa, ce nouveau blog mode.

  3. CKBB says:

    Sissi aussi a du un jour faire face à son destin, et ça n’a pas mieux fini.

  4. PascalR says:

    Non non! Ce n’est pas Sissi, c’est Ouioui qui a eu des pb à la fin.

  5. Laure says:

    Merci, ô Raph, d’avoir offert le verbe “derechefer” à la langue française! Ça manquait, il me plaît beaucoup. Excellent billet, mes condoléances pour l’absence de radis à ta taille.

  6. shalf says:

    ALO UI CER RADY.

    Je te rassure, le Complot s’occupe aussi du créneau des paires en 42 1/3.

  7. Leïleï says:

    T’as qu’à chausser du 36, c’est toujours la taille qu’il reste.

  8. Nitt says:

    Je me fais membre du Complot du Rire Bête.

    Et +1 pour Leïleï.