Knacki sonne le glas

Disclaimer : cette nouvelle n’a aucun lien avec une activité cinématographique aussi récente que navrante

Je ne sais pas si vous avez déjà essayé de faire des cachotteries dans une famille de cinq enfants, mais je vous le déconseille. Quand mon petit frère Yvon s’est mis à hurler « Isa elle planque des saucisses sous son lit, elle planque des saucisses sous son lit ! », je n’ai pas été étonnée outre mesure.
« Tu n’as pas de troubles alimentaires, au moins ? », m’a demandé maman, pour qui la nourriture est le truc avec lequel il ne faut pas plaisanter. « Non parce que les gens me posent des questions, tu sais. » J’ai éclaté de rire, forcément. Ça revient souvent sur le tapis. Je ne suis pas anorexique. Même selon les critères de ma mère, qui situe ça autour d’un cheval par jour. C’est un peu comme si on demandait à DSK s’il avait fait voeu de chasteté. Mais, depuis toujours, les gens s’inquiètent pour moi. Du moins, disent d’inquiéter pour moi pour le plaisir de coller leur nez dans les affaires des autres. Parce que je suis, disons, fluette. Maigre, auriez-vous dit, mais c’est moi qui raconte. C’est un truc de famille. Mes quatre frères sont bâtis pareils que moi, des estomacs sur pattes larges comme des Somaliens. Eux, on leur demande s’ils mangent à leur faim, on se dit qu’avec cinq gamins, mes pauvres parents doivent avoir de la peine à acheter suffisamment. Les parents de leurs amis les ont toujours resservis en douce. Moi, je suis une fille alors c’est un peu différent. On ne me demande pas, sur un ton inquiet, « Mais tu manges à ta faim ? », non, on m’engueule : « Mange ! » ou alors « Tu sais, les garçons aiment les filles qui ont des formes. »
Les gens me voyaient manger comme quatre, mais ils continuaient de me croire anorexique, de s’inquiéter pour moi, de coller l’oreille à la porte des WC pour être sûrs que je ne me faisais pas vomir. Ça m’a énervée, inquiétée, déprimée puis, un jour, j’ai compris que, ma foi, je n’aurais jamais de seins, que j’étais fabriquée comme ça et que je ne pouvais changer ni ma constitution, ni le regard des autres. Que maman, régulièrement, à force d’entendre ses copines chuchoter, me pose la question, ça m’a toujours ébahie parce qu’elle devrait se rendre compte que ce n’est pas vraiment dans ce domaine-là qu’il faut s’inquiéter pour moi. Mais j’ai l’habitude. »

Très touchante, ton histoire, mais enfin, ça n’a rien à voir avec la raison pour laquelle tu es là. »
Attendez, attendez, je contextualise.
Petit à petit, donc, je me suis mise à cultiver ce qui faisait ma différence. Je mange beaucoup et, seule fille perdue au milieu d’une famille de goinfres, je mange vite. Question de survie. Et un jour, je suis tombée sur un article sur Takeru Kobayashi, « The Tsunami », l’homme qui avale 63 hot-dogs en 12 minutes. Ça m’a fascinée. J’ai jamais été sportive, jamais été très scolaire, je ne suis la plus forte en rien, mais voilà enfin une compétition dans laquelle je pouvais cartonner. M’empiffrer, c’est dans mes cordes. J’ai lu tout ce que je trouvais sur lui sur Internet, j’ai regardé plein de vidéos pour m’inspirer de sa technique et, enfin, j’ai acheté de quoi m’entraîner, une cinquantaine de pains à hot dog et tout autant de Wienerli. Je pensais garder ça pour moi, parce que les gens me trouvent déjà assez bizarre comme ça, je ne suis pas sûre de vouloir en rajouter.
La famille a nettement mieux réagi que ce que je pensais. Ils ont adoré. Ils ne se sont pas du tout moqué de moi, comme je l’avais imaginé, peut-être bien espéré. Le clan a pris mon entraînement en mains.
Mais il n’y a pas que pour la bouffe ou la procréation qu’ils sont dans l’excès. En faire des tonnes, c’est une marque de fabrique. Enfin, sauf au sens propre, il n’y a guère que pour le tour de taille que nous savons nous maîtriser, et encore, ce n’est pas tellement volontaire. Mon grand frère Corentin s’est mis en tête de trouver la technique ultime. Yvon, le numéro 4, un an de moins que moi et seize ans passés à vouloir toujours faire mieux que moi, a décidé qu’il pouvait se lancer lui aussi dans les compétitions. Papa a téléchargé des tonnes d’articles et a même demandé à un client japonais de lui traduire les articles de presse sur Kobayashi. C’était devenu l’unique sujet de conversation à la maison. Seule maman restait un peu imperméable à l’enthousiasme général : elle secouait la tête et répétait, en boucle : « Mon dieu, mon dieu, mais vous n’aurez plus faim pour le rôti !»
Le pire, là-dedans, c’est que je suis nulle. S’il y avait des compétitions type 24 heures de la fondue chinoise, je les remporterais haut la main. Mais le hot-dog, ça ne passe pas. Je m’étouffe, j’en recrache la moitié, je m’en mets dans le nez, une horreur.
Sauf que je ne pouvais plus faire machine arrière. Pour calmer un peu ces messieurs, j’ai rappelé que je ne savais même pas s’il y avait des compétitions en dehors des Etats-Unis. L’erreur fatale. Papa s’est mis en tête de mettre sur pied un grand événement sur sol helvétique. « Il pourrait même y avoir une épreuve de fondue », a-t-il ajouté. Et il était sérieux, bien sûr. Je me sentais complètement obligée de persévérer, pour eux. »
Ah oui, j’avais lu quelque chose sur cette compétition… Et donc, inconsciemment, tu t’es imaginée que ce Japonais, là, était la cause de tes problèmes et c’est pour ça que tu l’as agressé. »
C’est un peu plus compliqué que ça. Laissez-moi terminer. La compétition approchait, Corentin s’était improvisé chef de presse et avait rameuté les médias, on ne pouvait plus faire machine arrière. Même si, en réalité, nous n’avons jamais eu droit à plus qu’à la rubrique « Insolites » des journaux locaux.
Moi, entre temps, j’étais complètement écoeurée. Je rêvais de hot dog toutes les nuits. Je repensais en permanence à cette planche des Schtroumpfs, vous connaissez les Schtroumpfs ?, où l’un d’eux se retrouve transformé en saucisse. J’avais l’impression qu’il allait m’arriver la même chose, que moi aussi, j’allais courir partout en répétant « Je suis une saucisse, je suis une saucisse. »
Tu as d’étranges lectures. »
Je peux finir ?
Un jour, mon père est arrivé à la maison excité comme un gamin avant Noël. « J’ai une surprise pour toi », a-t-il hurlé. Je l’avais rarement vu aussi survolté et pourtant, il n’est pas du genre calme. Il est reparti en trombe et est revenu une demi-heure plus tard avec un invité. Takeru Kobayashi. Il y a six mois, j’aurais été folle de joie. Là, j’ai repensé à cette vidéo où il tente d’avaler sa pitance plus vite qu’un ours et j’ai eu un haut le coeur. Je me suis dit qu’à la place de la bête, je serais repartie me cacher dans mes montagnes en grognant. Ou alors que je serais passée me plaindre auprès de la SPA locale. Papa, lui, dansait sur place. « Va chercher ton cahier, fais lui signer un autographe, voyons ! » Je ne sais pas du tout de quel cahier il parlait mais, dans le doute, pour ne pas lui casser ses illusions, j’ai attrapé la première chose qui y ressemblait dans ma chambre. Kobayashi a signé, me l’a rendu et… »
Tu l’as attaqué. »
J’ai cru qu’il me tendait des saucisses ! »
Pardon ? »
Je devenais folle avec toute cette histoire. Ma vision s’est brouillée, je ne sais pas, je me disais bien qu’il y aurait dû y avoir ses doigts à cet endroit-là, mais j’ai vu cinq saucisses, alors j’ai mordu. »
Tu me prends pour un idiot ? »
Mais non. Des Knackis. Et ne pointez pas votre index comme ça ! »
Ne me donne pas d’ordres ! »
Ce n’est pas un ordre. C’est un conseil. »
Ne me donne pas de cons…. aïe ! Mais elle m’a mordu ! »

8 Responses to “Knacki sonne le glas”

  1. m'éca says:

    J’adore ton histoire ! et du coup je me suis souvenue de mon binome… Il avait des doigts comme des knakies ^^
    Plus tard on s’est fachés, je ne sais plus pourquoi, et comme son nom finissait en “i”, on l’appellait “Knakie, petit kiki”… (car en plus, on avait su par son ex, qu’il en avait une toute petite… oui, déjà, un peu salope… après il ne m’a plus jamais parlé…)

  2. Petit David says:

    J’ai rien compris… il est vert le schtroumpf saucisse ?

  3. funambuline says:

    Toujours aussi chouette.

  4. PascalR says:

    Trop trop bien, merki

  5. raph says:

    bah merki à vous

  6. jrom says:

    Cette histoire m’en bouche un coin, magnifique

  7. clamauve says:

    Bravo, merci !