Kafka sur le gazon

J’avais marché plusieurs jours et plusieurs nuits (mais moins), par la forêt et la montagne, sous la pluie brûlante et le soleil battant. Je touchais enfin au but et décidai de passer sous silence le fait qu’un arrêt de bus m’y avait précédé.

Je reconnus immédiatement la cabane, qui était telle que je l’avais imaginée, vétuste mais dégageant une atmosphère de sérénité, avec juste une antenne parabolique en plus, et qui contrastait drôlement avec le magasin de souvenirs adjacents. « Entre, je t’attendais », me dit sans tambour ni regrets une voix qui semblait sortie du fond des âges. Je m’essuyai nonchalamment les pieds sur le paillasson, où était écrit « Un sourire ne coûte rien mais produit beaucoup », notai la présence, au-dessus de la sonnette d’un pannonceau précisant « On ne voit bien qu’avec le coeur » et, effectivement, l’essentiel de la sombre demeure resta invisible pour mes yeux le temps que je m’habitue à l’obscurité qui y régnait. « Le bonheur, c’est quand on est bien », reprit la voix, avant d’ajouter « N’engueulez pas le patron, la patronne s’en charge. »

Pas de doute, j’étais bel et bien dans l’antre du vieux sage ardéchois que l’on m’avait chaudement recommandé sur internet, car tous les vieux sages tibétains, japonais et même laotiens ne prenaient pas le moindre rendez-vous avant six mois. « La vieillesse est dans l’oeil de celui qui la voit, et la sagesse dans l’oreille des autres », me reprit-il, et je ne comprends toujours pas ce qu’il entendait par là. « Oui oh, et pour la voix, c’est juste que je fume un peu trop, hein », ajouta-t-il.

J’entrepris alors de lui conter la raison de ma venue en ces lieux. Peu de temps auparavant, il m’était arrivé grand malheur : j’avais été tagué dans une chaîne de blogs. Je savais que je ne pouvais simplement faire comme si de rien n’était, sous peine que de terribles malheurs s’abattent sur moi et ma famille sur sept générations. La dernière fois que j’avais tenté d’ignorer une telle chaîne (le tristement célèbre questionnaire “quelles sont tes 103 couleurs préférées, et pourquoi ?”) avait coïncidé avec de terribles souffrances (dès le lendemain, on m’avait invité à concert de De Palmas)(pas Brian, l’autre). Comment m’en sortir ? Car il ne s’agissait pas cette fois-ci d’une innocente chaînette, balance la couleur de ton soutien-gorge et on est quittes, non, voilà que je devais tous les jours, pendant un mois, lâcher un détail me concernant. Et pourquoi pas aussi ouvrir un blog ou un formspring ? Et où allais-je trouver autant de détails me concernant sans tomber dans des considérations scabreuses concernant des choses aussi privées que ma passion pour les Pokémon de type plante ?

Mes yeux s’habituaient peu à peu à l’obscurité et l’envie me prit de fuir quand je me rendis compte que les murs de l’endroit étaient tapissés de posters de licorne. Mais il était trop tard. Alors le vieux sage prit la parole. « Ouais, ben mon gars, t’es dans la merde », me dit-il et aujourd’hui encore, ses paroles résonnent en moi comme un phare dans la nuit. « Par exemple moi, tel que tu me vois, j’étais un homme respecté et chéri de mes pairs jusqu’au jour où j’ai refusé de répondre au “Questionnaire bricolage, littérature et vernis de fougères et délices”. Aujourd’hui, je ne suis plus qu’un ermite errant. » Quand je lui signalai que le dernier à avoir fait ce jeu de mots était Jean Roucas, il entra dans une colère noire et s’enfuit dans la nuit comme un cheval au galop, tant et si bien que j’ai repris son échoppe de vieux sage. Et depuis, j’apprends à faire des grimaces.

9 Responses to “Kafka sur le gazon”

  1. Moukmouk says:

    Quand tu sauras faire des grimaces comme Einstein, tu pourras faire de la télé.

  2. mlle-cassis says:

    Rien ne peut égaler la brillance magnifique des écailles du grand dragon de jade…

  3. raph says:

    k6 : tu bluffes

  4. monsieur prudhomme says:

    Le vieux sage dans la cabane, c’était pas le mari d’Arielle Dombasle en fait ? C’est les posters de licorne qui m’y font penser. Fais-toi vite vacciner contre le botulisme !

  5. Shadok says:

    Et merde ! J’ai marché dedans !

  6. Océane says:

    T’es arrivé dans la chambre de Kévina, y avait pas aussi des belles photos de cascades enchantées ??

  7. Nekkonezumi says:

    C’est le moment ou jamais de conjurer le sort, le destin t’offre une deuxième chance, car je vais te reposer la question:
    Quelles sont tes 103 couleurs préférées et pourquoi ?

    Ta punition sera seulement de ne pas omettre de joindre au descriptif les codes couleur html, merci.

  8. arpentag says:

    Je trouves que tu échoppes très très bien. Mieux même.
    Le vieux sage était trop vieux tu as bien fait de le faire galoper dans la nuit

  9. Euphrosine says:

    Une collection éclairée de kitcheries faites à coeur, miam miam.