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#pornfood

Tuesday, October 7th, 2014

En ce temps-là, il se produisit une curieuse inversion.

Pendant un temps, manger devint la principale préoccupation des gens, il fallait qu’ils prennent en photo leur kimchi de sucrine stroganoff, leurs röstis dauphinois revisités, leur variation sur le thème du jambon, il fallait qu’ils en parlent, tout le temps. Mais cela n’allait pas durer. Jaloux de leurs amis, ils commencèrent à s’inventer des allergies de plus en plus sophistiquées. Ils couplaient cela à des régimes de plus en plus drastiques : sans viande, sans lipides, sans aliments cuits, sans faïence. Il devint de plus en plus complexe de cuisiner sans offenser l’un et mettre en danger l’autre, si bien que tous les plats cuisinés portaient désormais la mention “attention, peut contenir des traces d’aliments”

Petit à petit, manger cessa d’être un plaisir pour devenir quelque chose d’honteux qu’on ne pratiquait que chez soi, à la lueur d’une bougie, tous volets éteints.

Dans le même temps, la sexualité devint soudain quelque chose de parfaitement naturel. La première émission de télé-réalité ou l’on voyait des experts assister des couples en mal de libido avec force démonstration et moult explication fit bien un scandale le jour où une participante hurla en prime time “Oh oui, chantourne-moi toute”, mais cela ne dura qu’un temps. Petit à petit, cela se banalisa parfaitement.

Pour tous ceux qui vécurent cette période, ce fut un peu déroutant, au début, mais on s’habitue à tout. Les restaurants fermaient les uns après les autres pour être remplacés par des boîtes échangistes – et les gens disaient “oh, à midi, ça me gêne pas d’y aller seul mais le soir… ça fait un peu pathétique, non ?” On disait “Tiens, ça fait longtemps qu’on a pas vu les Müller, on pourrait leur proposer une petite partouze samedi en 8 ? Mais après, on leur dit qu’on est fatigués, hein ? Sinon ils vont encore vouloir faire des jeux de société…”
Dans le même temps, des jeunes hommes ricanaient en disant “Il paraît qu’elle, là, elle va souvent au resto hinhinhin c’est Didier il m’a dit qu’il avait mangé des sushis avec elle. Et même qu’elle a fini toute sa soupe miso, hinhinhin”, alors que des jeunes filles s’offusquaient, “il a voulu me faire à souper, le premier soir ! un risotto, en plus, genre je vais manger un risotto comme ça, tranquille. Il me prend pour qui, celui-là ? Je lui ai dit, non, on baise et après je pars, je ne suis pas celle que tu crois. Bon, n’empêche, il avait l’air pas mal, son risotto, mais je voudrais pas qu’il croie que…”, voire “je me suis endormi et quand je me suis réveillé, elle était en train de me préparer des côtelettes, tu crois que je devrais appeler la police ?”

Des petits clubs glauques ouvraient ça et là, où l’on pouvait sous le manteau manger un bortsch, une feijoada, un poulet yassa ou un tom kha ghai. Les gens disaient “non, non, jamais je mettrai les pieds dans ce genre d’endroit, payer pour de la nourriture, franchement, faut être malade”, mais pourtant, ces clubs étaient toujours plus nombreux. Malgré l’interdiction de la publicité, votée pour protéger l’innocence des enfants.

Mais tout passe, tout lasse et soudain, les jeunes de la génération f (on avait recommencé au début car les gens des noms de génération n’avaient toujours pas trop d’imagination) dirent “oh, non, baiser, y en a marre, on fait toujours ça, c’est ringard, tiens, si on se faisait une bouffe, plutôt ?”, si bien qu’il n’y eut pas de génération g et que le peuple furet put enfin prendre le contrôle de la planète terre.