Archive for March, 2014

C’est un Suisse, un kangourou et la statue de la Liberté qui entrent dans un bar.

Monday, March 24th, 2014

Dans l’humour, une des choses les plus importantes, c’est d’avoir les mêmes référents que ses interlocuteurs.

Imaginez, par exemple, que vous racontiez une excellente blague sur les chauves à quelqu’un, mais que cette personne ignore que les chauves sont des êtres malicieux et intransigeants. Il ne va pas la comprendre.

Prenons un autre exemple. Celui de la toute première personne au monde à avoir raconté cette excellente blague : “Que dit un Belge quand il voit une peau de banane par terre”.

– Hé, j’en ai une bonne ! Tu sais ce que dit un Belge quand il voit une peau de banane par terre ?
– Oui, il dit ça alors, quel laisser aller, les gens ne respectent plus rien, dans quel monde vit-on ?, ah mais voilà que j’aperçois une poubelle au loin, je vais y jeter cette peau de banane, mais en marquant ma désapprobation par un soupir sonore.
– Pas du tout. Il dit “zut, je vais encore tomber”.
– Ah bon ?
– Oui.
– Mais c’est un ami à toi ?
– Non, non, un Belge normal, enfin, n’importe lequel. C’est une blague.
– Mais pourquoi dit-il ça ? C’est bizarre, non ?
– Oui mais les Belges sont bêtes.
– Ah bon ?
– Oui.
– Tous ?
– Oui.
– Même à l’université de Louvain-la-Neuve ?
– Ohlala, ne m’en parle pas.
– Mais il y en a pas un qui a eu un prix Nobel ?
– Il y a un système très complexe de pénalités, comme au saut à ski.
– Tu sais pourquoi il n’y a pas de tremplins de saut à ski, en Belgique ?
– Non ?
– Moi non plus.
Puis, après une courte hésitation :
– Mais au fait, il y a un truc que je ne comprends pas avec ta blague…
– Oui ?
– Pourquoi il tomberait ?
– Les peaux de banane, ça glisse.
– Ah bon ?
– C’est connu. Des milliers d’accidents chaque année !

Il a fallu des années pour qu’enfin, les gens sachent que les Belges étaient bêtes. Et pour que l’on puisse rire de bon c½ur aux blagues, des générations de courageux ont dû se sacrifier sur l’autel du bide. Jusqu’au jour où :

– Hé, super ta blague sur les bananes, là. J’en ai une autre. Combien de Belges pour changer une ampoule ?
– Un seul.
– Mais non, parce qu’ils sont bêtes.
– Non.
– Mais si, enfin, c’est toi qui me l’avais appris à la blague précédente.
– C’est fini, ça. Ils sont comme nous, maintenant. Ce sont désormais les blondes qui sont bêtes.
– Ça alors !
– Oui.
– Toutes ?
– Oui.
– Même celles qui enseignent à l’université de Louvain-la-Neuve ?
– Ohlala, ne m’en parle pas.
– Hé bien, ça alors.
– Oh, d’ailleurs, tu sais ce que dit une blonde qui voit une peau de banane ?
– Quel laisser aller, les gens ne respectent plus rien, dans quel monde vit-on ?, ah mais voilà que j’aperçois une poubelle au loin, je vais y jeter cette peau de banane, mais en marquant ma désapprobation par un soupir sonore.
– Non, ça, ce sont les Belges.
– Ah… alors je ne sais pas.
– Elle dit “oh zut, je vais encore tomber”.
– Ça alors, excellent ! Je connaissais la même blague, mais avec un Belge.
– C’est insultant.
Puis, après une courte pause:
– Au fait, combien de blondes pour changer une ampoule?
– 378
– Excellent !

Evidemment, tout cela demande de la coordination. On ne peut pas décider, tout seul, chez soi, un beau matin, de changer les référents humoristiques. Il faut d’abord faire un peu de lobbying auprès des autorités mondiales de la blague, mener des études de marché. C’est très compliqué. Il y en a qui ont essayé, ils ont eu des problèmes.

Par exemple, prenez cette blague :
– Tu sais ce que dit un Suédois quand il va au bowling ?
– Non.
– Il dit : j’espère que je ne vais pas rater le bus, j’ai perdu ma montre.
– Ah bon ? Rien compris.
– C’est parce que les Suédois se font souvent voler leur montre et que leurs bus sont très ponctuels. Et qu’ils adorent le bowling.
– Je l’ignorais.
– Maintenant que tu le sais, je vais te raconter la blague à nouveau ! Tu sais ce que dit un Suédois quand il va au bowling ?
– J’espère qu’il n’y aura pas trop de peaux de bananes par terre, j’ai horreur de ça !
– Oui. C’est vrai. C’est ce qu’il dit.
– Quels cons, ces Suédois !
– Lol !

L’autre chose la plus importante, c’est d’avoir une bonne chute et oh, regardez ! une peau de banane !

Happy zut, à la fin

Friday, March 21st, 2014

Le vent s’engouffrait, indolent, dans ses cheveux auburn. La sueur coulait sur son front olympien comme au loin coulent les navires. La gueule béante de la grotte s’ouvrit soudain devant lui comme une gueule béante.

Le vieux sage l’attendait en vapotant sa cigarette électronique. Il lui offrit un rafraîchissement électronique et quelques saucisses apéritives électroniques.

– Bonjour, je recherche le secret du bonheur.
– Ah, non, c’est de l’autre côté de la vallée, ça. Ici, c’est le secret de la cuisson des pâtes.
– Ah… ben ça m’intéresse aussi.
– Mais on ne peut pas avoir les deux. Il faut en choisir un des deux.
– Oh, bon. J’étais venu pour le bonheur alors…

Le vent s’engouffrait, indolent, dans ses cheveux auburn. La sueur coulait sur son front olympien comme au loin coulent les navires. La gueule béante de la grotte s’ouvrit soudain devant lui comme une gueule béante.

– Bonjour, je recherche le secret du bonheur.
– Tu vois cet oiseau qui plane au loin ?
– C’est une métaphore ?
– Non, une buse. Ou un aigle. J’y connais rien en ornithologie, moi. Je pourrais regarder sur Wikipedia, mais ça capte pas, dans cette caverne à la con.
– Mais le secret du bonheur ?
– Tu vois cet oiseau qui plane au loin ?
– Oui.
– Moi non. Je n’ai pas mes lunettes. Tu comprends, maintenant ?
– Non. Ou alors vous voulez dire que la réponse est en moi et que ce n’est pas avec ses yeux qu’on voit ?
– Tu dois trouver la réponse dans ton c½ur.

Alors l’homme repartit, car il se dit qu’on l’avait bien roulé et qu’il allait se faire rembourser son forfait thalassothérapie, fromages et secret du bonheur.

En chemin, il rencontra un cheval, qui s’ébrouait joyeusement dans un champ au fier soleil de mars.

– Dis moi, quel est le secret du bonheur ?

Mais bon, les chevaux ne parlent pas.

Comme il commençait à faire faim, l’homme s’arrêta dans une bonne auberge.

– Bonjour, je recherche le secret du bonheur.
– Si vous prenez le menu de midi, avec un supplément de 14 francs 50, il vous est offert avec le café.
– Ça alors, on va parfois chercher bien loin ce qui était dans une bonne auberge. Mais dites-moi, vous même n’avez pas l’air de respirer le bonheur.
– C’est traditionnel, monsieur, c’est la Suisse, il ne faut pas que le client se sente trop confortable, sinon ça l’insécurise, alors on lui fait la gueule.

L’homme savoura ses pommes de terre à l’huile et sa Wienerschnitzel au carton comme jamais personne n’avait savouré car il savait que le secret du bonheur était là, à portée de mains. Enfin.

– Voilà, monsieur, votre “secret du bonheur”, lui dit alors le personnel de service en lui tendant une assiette avec dessus une petite portion de tarte Tatin, un mini moelleux au chocolat et une boule de glace vanille.
– Ah ?
– Ah oui et on m’a chargé de vous dire ceci : “N’engueulez pas le patron, la patronne s’en charge ! Un vieillard m’a dit et il avait raison si tu fais crédit tu perds ta maison ! ”
– Ça alors. C’est une métaphore ?
– Non, une buse.

L’estomac lourd et plein d’interrogations, l’homme repartit alors chercher le secret du bonheur. Ce qui commençait d’ailleurs à le rendre malheureux, ce qui était probablement une métaphore. Ou une buse.

Soudain, il rencontra un vieil homme, l’air guilleret.

– Dis-moi, vieil homme, quel est le secret du bonheur ?
– Acheter des tas d’objets. Plein. Toujours.
– Ah bon ?
– Oui.
– Ça alors.
– C’est prouvé.
– Mais le vrai bonheur n’est-il pas à l’intérieur de nos coeurs ?
– Non.
– Ne seriez-vous pas un vendeur d’objets désireux de me gruger ?
– Ah, oui. Acheter des tas d’objets et gruger.
– Merci pour ce beau secret.

Mais l’homme ne voulait pas se résoudre à accepter cette morale, car il avait une éthique protestante. Soudain, une jeune femme apparut devant lui.

– Dis, pourquoi c’est que des mecs, dans ton histoire ?, demanda-t-elle à brûle pourpoint.
– Non, la serveuse, c’était une femme.
– Oui, et le patron un homme.
– Bah oui mais tu crois que les gonzesses elles ont le temps de chercher le secret du bonheur, avec les gosses et la vaisselle ?
– C’est sexiste.
– Ben oui. Car vois-tu, quand on pense au racisme, au sexisme, à toutes les inégalités, à la pollution et aux bébés chiens torturés, on est malheureux. Alors que quand on s’en fout, ça va », répondit le jeune homme, qui commençait à ressentir un profond bonheur car son interlocutrice était pas mal gaulée.
– Tu ne peux pas dire ça », lui répondit-elle.

Alors, penaud, l’homme s’en revint sur ses pas. Le vent s’engouffrait, indolent, dans ses cheveux auburn. La sueur coulait sur son front olympien comme au loin coulent les navires. La gueule béante de la grotte s’ouvrit soudain devant lui comme une gueule béante.

– Ah, je vois que tu es revenu. Ils reviennent tous. Alors le secret de la cuisson des pâtes, c’est qu’il faut les goûter.

(En réalité, mais ne le répétez pas, le secret du bonheur se trouve dans l’ouvrage “le Sens du Poil“, page 437)